" Osons un débat éclairé "

Mettre la transition énergétique sur de « bons rails »

L’écologie et la protection de l’environnement occupent une place importante dans la campagne pour l’élection présidentielle. En matière d’économie et de transports, le prochain président de la République aura un outil à sa disposition : le train. Saura-t-il tirer profit de ses nombreux avantages en déployant une politique adaptée ? Patrice Geoffron en explique les grands équilibres.

Le « gendarme » du rail (ARAFER) vient de rendre un avis sur le contrat à long terme (2017-2026) de SNCF Réseau, saluant une priorité « à l’amélioration de l’exploitation et à la maintenance du réseau », mais pointant un risque fort sur la soutenabilité d’une dette qui avoisine déjà les 40 milliards d’euros. Un point de tension est que SNCF Réseau prévoit un accroissement du soutien de l’Etat, hypothèse que l’ARAFER met en doute. Cette « passe d’armes » est l’occasion, en ces temps de débat présidentiel, de s’interroger sur la cohérence des politiques publiques du rail et sur les moyens que la collectivité est prête à y dédier.

Dans un pays qui s’enorgueillit d’avoir accueilli la COP 21 et qui a adopté une Loi de Transition Energétique et de Croissance Verte (en 2015), la question prioritaire devrait être : quelle est la contribution du rail dans nos ambitions environnementales ? Pour mémoire, l’objectif est de drastiquement réduire nos émissions de CO2 (-80 % en 2050) et d’améliorer la qualité de l’air (dont la pollution coûte 100 milliards/an selon le Sénat).

Dans cette perspective, le transport pèse 37% des émissions de CO2 et le rail, qui assure 10% du trafic, en émet moins de 1%. L’explication est simple : 9 trajets sur 10 (voyageurs et fret) sont opérés sur voies électrifiées (plus de 15 000 km) et l’électricité fournie « contient » moins de 100 g de CO2/kWh (contre 300 g dans l’OCDE et 500 g en Allemagne). Fragiliser le rail (par un soutien public insuffisant) revient à favoriser, par la route ou les airs, des modes systématiquement plus carbonés. Certes, le covoiturage réduit l’empreinte carbone de la route, mais le rail, en terme environnemental, est toujours le plus performant sur de longues distances (selon l’ADEME). Au global, si les flux opérés sur chemin de fer étaient réalisés par la route, 10 millions de tonnes de CO2 de plus seraient émises chaque année (sans compter les pollutions de l’air, l’accidentalité, …).

Le rail français constitue donc un atout essentiel pour tenir les objectifs de la Loi de Transition Energétique, d’autant que cette dernière vise une décrue de 30 % des énergies fossiles en 2030, supposant un fort recul des produits pétroliers. Fragiliser le rail serait d’autant moins cohérent que, dès lors que la France développe plus de solaire et d’éolien sans faire moins de nucléaire, le rail constitue un des débouchés naturels pour une électricité décarbonée très abondante (les intérêts de la SNCF et d’EDF convergeant en l’espèce).

Face à de tels objectifs, le financement public des infrastructures de transport « durable » fait question. Sur les 32 milliards d’euros (publics et privés) investis chaque année dans la transition (selon I4CE, Institute for Climate Economics), si certains postes progressent (dans la rénovation des bâtiments), les financements dédiés au transport durable (rail, tram, fluvial, …) baissent depuis 2013 (de 11 à 9 milliards/an). Dans d’autres domaines, les investisseurs privés soutiennent déjà la transition (efficacité, renouvelables), mais ce ne sera pas le cas pour les infrastructures de transport : si Etat et/ou collectivités sont impécunieux, la composante transport du processus de transition énergétique sera mise à mal, alors même qu’elle est essentielle.

Cet enjeu n’est pas le moindre de ceux qui parsèmeront la prochaine mandature. Il implique un réexamen du modèle de financement du rail en France, pour que ce très grand territoire européen reste maillé par un réseau ferroviaire performant et durable.

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