" Osons un débat éclairé "

Penser l’entreprise autrement

Et si on promouvait les formes d’organisations qui, d’ores et déjà, ne limitent pas leurs ambitions à la seule rémunération de leurs actionnaires ?

L’entreprise privée, souvent cotée en bourse, qui a constitué et constitue encore le modèle de référence de nos économies, est de plus en plus contesté. Deux exemples tirés de l’actualité en témoignent. D’abord le rapport Notat-Senard sur l’objet social de l’entreprise qui vient d’être remis au Gouvernement insiste sur la nécessité de ne pas limiter à la seule rémunération de l’actionnaire l’objectif d’un corps social de plus en plus complexe et inséré de manière de plus en plus protéiforme dans un monde en complète mutation. Ce rapport qui ouvre la possibilité d’une redéfinition du statut même de l’entreprise dans le Code Civil (le célèbre article 1832) fait des propositions pour mieux intégrer à la fois les « partenaires » de l’entreprise (salariés, clients, fournisseurs,…) et les préoccupations sociales et environnementales dans la gouvernance de celle-ci.

Dans un genre très différent – seulement en apparence – la pression qui monte sur les géants de l’internet, ceux que l’on appelle les GAFA, quant à leur optimisation fiscale et à leur accaparement des données personnelles de leurs clients témoigne, là aussi, d’une remise en cause de la finalité même de l’entreprise.

Ce débat quasi-philosophique n’intéresse que très marginalement les médias et les politiques alors même que c’est un débat majeur pour l’avenir de nos sociétés. La réalité devrait amener ceux-ci à changer de point de vue sous un double choc. Celui des nouvelles technologies d’abord qui remettent en cause l’organisation de toutes les entreprises et qui ouvrent d’infinies possibilités en matière d’ « articulation capital-travail », pour reprendre un légendaire concept de la théorie économique. Deuxième choc : celui des jeunes qui, pour une partie d’entre eux au moins, vit de plus en plus mal la relation strictement hiérarchique et l’obsession du profit qui caractérise le modèle d’organisation dominant.

Face à tels défis, si on exclut le statu quo qui paraît impossible, deux solutions se présentent, qui ne sont pas contradictoires. Tout d’abord, la mise en œuvre de réformes qui permettent d’introduire un peu plus de solidarité – car il s’agit bien de cela – dans la mission de l’entreprise. On peut ainsi envisager (rapport Notat-Senard) de créer des « conseils de parties prenantes », ou un statut de « benefit corporations », comme cela existe aux Etats-Unis (statut que Danone a adopté pour sa filiale américaine), et on peut faire en sorte que les GAFA partagent de manière un peu plus équitable une partie au moins de la valeur ajoutée qu’ils distribuent aujourd’hui à leurs seuls actionnaires.

Mais il existe une autre voie à la fois plus simple et plus ambitieuse qui consiste à promouvoir les formes d’organisations qui d’ores et déjà ne limitent pas leurs ambitions à la seule rémunération de leurs actionnaires. Ce que l’on peut qualifier d’ « économie du partage » existe déjà bel et bien et pèse d’un poids croissant dans l’économie française. Ceci regroupe d’un côté les organismes coopératifs et mutualistes qui, dans certains secteurs (banque, assurance, agriculture, santé) sont dès à présent incontournables mais aussi les associations et les fondations dont l’objectif ne se résume pas au seul enrichissement des actionnaires. Ces structures, parfois artisanales, doivent certes se moderniser. Mais l’Etat doit les aider à le faire (ce qui n’est clairement pas le cas aujourd’hui). En élargissant l’horizon des entreprises et les perspectives de carrière des salariés, le défi mérite d’être relevé. Et les jeunes générations devraient se mobiliser sur une telle ambition qui croise nombre de leurs aspirations. Le modèle dominant d’entreprise privée n’est pas mort. Mais d’autres modèles existent, qui correspondent peut être mieux à l’économie du XXIe siècle. Cela mérite au moins réflexion.

Thierry Derez, Président Directeur Général de COVEA

Olivier Pastré, Membre du Cercle des économistes, Professeur Université Paris VIII

Organisateurs des 5èmes Assises Internationales de l’Economie du Partage, 29 mars 2018 – CNAM

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