" Osons un débat éclairé "

Peut-on faire disparaître l’extrême pauvreté ?

En une génération, la pauvreté a fortement reculé dans le monde. Mais désormais, nous entrons dans le noyau dur. Se reposer sur la simple croissance ne suffira pas.

En cette journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, partons d’abord d’un constat positif : la pauvreté a reculé dans le monde, en une génération. En 1990, plus d’une personne sur trois dans le monde vivait avec moins de 1,90 dollar par jour, soit l’équivalent d’une canette de coca-cola ; en 2013, c’est le cas d’une personne sur dix. Ce progrès est dû en grande partie à l’essor économique de l’Inde et de la Chine, cette croissance à l’origine des tensions commerciales actuelles. Et la communauté internationale veut aller plus loin encore : les Etats-Membres de l’ONU ont adopté fin 2015, 17 objectifs de développement durable. Le 1er de ces objectifs est d’éradiquer d’ici 2030 la pauvreté extrême.

La pauvreté extrême, c’est celle qui se définit par la privation des ressources élémentaires pour vivre. Elle est résumée commodément par ce minimum vital de 1,90 dollar par jour mais elle ne se réduit pas à la seule dimension monétaire : il s’agit de la privation des moyens et des droits pour mener une vie digne. La pauvreté extrême est présente dans nos rues, mais elle concerne principalement les pays en développement : moins de 2% de la population en Grèce ou aux Etats-Unis, mais 20% en Inde et en Afrique du Sud, 53% au Nigeria, et même 76% à Madagascar.

Un monde sans pauvreté extrême est-il possible? Une des sessions de Rencontres Economiques d’Aix-en-Provence en juillet dernier a abordé ce sujet.

Passer de 10% à 0% de pauvreté sera plus difficile que de passer de 30% à 10%. Car désormais, on rentre dans le noyau dur de la pauvreté, concentré en Afrique sub-saharienne, avant tout dans les zones rurales et souvent dans des Etats défaillants, que ce soient des Etats en guerre ou des Etats prédateurs. Là se forment des trappes à pauvreté, en un cercle vicieux où le manque de revenus des parents aujourd’hui pèse sur les chances de réussite de leurs enfants demain.

Dans ces conditions, se reposer simplement sur la croissance ne suffit pas. En effet, comment garantir que les fruits de la croissance atteindront effectivement les pauvres? La lutte contre la pauvreté est inséparable d’une lutte contre l’inégalité ; il faut des politiques actives de redistribution. Des pays en développement ont ainsi introduit des subventions alimentaires ou des programmes de workfare (des transferts en échange de travail pour construire des équipements publics). Un programme emblématique est celui des transferts conditionnels de revenu, versés aux familles pauvres avec de jeunes enfants, à condition qu’ils soient scolarisés effectivement. Ce programme, initié au Mexique (Progresa) a été repris avec succès au Brésil et dans d’autres pays d’Amérique Latine. Un autre programme multifacettes, combinant don d’un capital de départ, transfert monétaire temporaire, formation et suivi régulier, a été testé dans plusieurs pays en développement et s’est révélé efficace pour sortir de l’extrême pauvreté.

Les programmes de redistribution naviguent entre deux écueils. Le 1er écueil est le ciblage : on veut réserver le bénéfice des mesures aux « vrais » pauvres, mais cibler a un coût. Et ce coût est supporté aussi par les pauvres, en temps et en effort passés à faire reconnaître leurs droits ; aussi, trop souvent, renoncent-ils aux transferts.

Le 2e écueil est le choix du bon mix entre protection et promotion.  La protection, c’est assurer contre un revirement de fortune; la promotion, c’est donner les moyens de sortir durablement de la pauvreté, par exemple par la scolarisation. On met souvent l’accent sur les bienfaits de la promotion, mais on oublie trop souvent que les pauvres vivent dans un environnement extrêmement risqué, à la merci d’une mauvaise récolte ou d’une maladie : assurer des revenus stables, le temps de reprendre pied, est essentiel.

Enfin, si l’on prend conscience que le noyau dur de la pauvreté extrême est de plus en plus concentré géographiquement, enfermant des familles entières dans des trappes, il faut admettre que les migrations sont une des solutions : des migrations à l’intérieur d’un même pays, des campagnes vers les villes ou entre pays limitrophes, les migrations entre continents restant de toute façon minoritaires en raison de leurs coûts et de leurs dangers. Chercher des opportunités ailleurs, n’est-ce pas aussi la manière dont nos sociétés se sont développées?

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