" Osons un débat éclairé "

Pierre Jacquet : « Les jeunes ne trouvent pas dans le débat politique actuel les réponses à ce qui les intéresse »

A la veille de l’élection présidentielle, le Cercle des économistes veut placer le sujet de la jeunesse au cœur des débats, et lance l’opération « Discuter, Agir, Changer – Jeunesse 2022 ». Pierre Jacquet analyse pour Où va l’éco ? les enjeux de cette grande conversation lancée avec la jeunesse.

Pourquoi les jeunes doivent-ils être placés au cœur de la campagne pour la présidentielle ?

Je crois que le problème va bien au-delà de la campagne présidentielle. Il va aussi au-delà de l’impact de la pandémie du COVID. Il tient fondamentalement à la désaffection des jeunes pour la politique, pour le politique, et c’est à mon avis très préoccupant pour l’avenir de la démocratie. Donc ce n’est pas tant que la campagne présidentielle ne s’intéresse pas aux jeunes, c’est plutôt que les jeunes, dans leur majorité, ne s’intéressent pas à la campagne présidentielle, ils n’ont pas confiance dans les partis politiques, dans les institutions représentatives de notre démocratie. Je crois qu’il faut en chercher et en comprendre les causes.

Les jeunes ne trouvent pas, dans le débat politique en général et dans ce moment électoral en particulier, les réponses à ce qui les intéresse. Comment ne pas les comprendre ? Où sont les vrais débats, sur les valeurs collectives, sur le sens, sur la société que l’on veut construire ? Nous sommes face à un dialogue de sourds, où l’idéologie tient lieu d’explication. La question, c’est : que faire de ces annonces, de ces catalogues de mesures, qu’on appelle les « Programmes », dont on sait pertinemment qu’elles seront rarement mis en œuvre ?

Tout cela est grave parce que les jeunes, et c’est une évidence, sont la société de demain. Notre pays et l’ensemble des pays du monde sont en transformation rapide, donc le manque d’engagement des jeunes va se retrouver dans le délitement de la cohésion sociale, dans le délitement de la capacité d’action collective dont nous avons besoin dans cette période de transformation. On le trouve dès maintenant dans la difficulté de prendre des décisions qui portent sur l’avenir à moyen et long terme et non pas sur le présent immédiat.

Est-ce grave pour tous les jeunes, ou doit-on faire quelques différences ?

C’est bien sûr grave pour tous les jeunes. C’est vrai qu’il y en a parmi eux, notamment, ceux qui ont une éducation supérieure, qui s’en sortiront peut être mieux parce qu’ils auront davantage accès aux opportunités qu’offre la société. Ceux-là, d’ailleurs, savent mieux s’organiser pour se faire entendre. On pense aux réactions dès qu’un projet de réforme de l’éducation est mis en place, par exemple. Mais pour les autres, plus précaires, pour les décrocheurs, on est dans une réalité, dans une dynamique d’exclusion, et c’est pour moi un gâchis humain, social, économique et politique considérable.

A part quelques déclarations de principes, pourquoi ce sujet est-il absent, ou pratiquement absent, des programmes des candidats sur le fond ? Est-ce que le sujet fait peur ? N’a-t-on pas de solutions ?

Le sujet est évidemment difficile. Il peut se prêter à de la démagogie pour attirer des voix, le vote des jeunes. Mais je crois qu’il y a un paradoxe de société développée. Les jeunes sont l’avenir, mais ce ne sont pas eux qui ont le pouvoir. Du fait du vieillissement, les jeunes risquent d’avoir un accès plus tardif aux postes à responsabilités. Ils ont du mal à avoir accès aux ressources, au capital. Et puis on observe que, souvent, ce sont les les « vieux » qui parlent aux « vieux », parfois des « jeunes ». Il n’est donc pas surprenant qu’ils s’intéressent moins au débat. Mais il y a une autre difficulté.

Nous vivons une période de progrès technique, qui a connu des accélérations fulgurantes. Avec lui, les besoins, les pratiques et les comportements évoluent, les institutions ne sont plus adaptées, la culture bouge, invente de nouveaux concepts, de nouvelles utopies. Je crois que ce besoin de changement, les jeunes le perçoivent bien davantage que les plus vieux, qui en général préfèrent s’accrocher à l’existant.

Par ailleurs, l’enseignement dispensé ne suit pas ces évolutions. Et nous, les plus âgés, considérons que ce que nous avons appris est essentiel, que les structures de la société, les modes de vie doivent rester stables. Je crois qu’il y a un vrai problème de contenu des formations, d’incapacité de préparer les jeunes à ce monde en transformation rapide. Et ce monde, d’ailleurs, ne parvient pas à prendre la main sur ces transformations, à les diriger, à les organiser. C’est pour ça que c’est le thème retenu par le Cercle des économistes pour les Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence les 8-9-10 juillet 2022. Ce décalage entre ce que les jeunes vivent et l’éducation qui leur est proposée est un problème important.

La jeunesse est source d’idées, de possibilités d’innovation. Quelles sont les pistes exploitables aujourd’hui ?

Oui, bien sûr, les jeunes sont sources d’innovation, et pas seulement dans le domaine économique avec les start-up, les licornes qui font régulièrement les gros titres des journaux. Ils le sont aussi sur le plan de la création culturelle et surtout dans les changements de comportements.

Les sondages et l’observation quotidienne le montrent : les jeunes sont en quête de sens, et cela va faire changer les entreprises très profondément. Mais cela va aussi faire changer le monde du travail. Les jeunes se préoccupent de l’environnement, ils adaptent leurs comportements en termes de consommation, de mobilité. Ils montrent que d’autres façons de vivre sont possibles et ils pestent devant la lenteur des transformations de la société. Ils veulent changer le monde, et c’est dommage d’en faire des déçus.

Je ne vais pas tomber dans le piège qui consisterait à définir les pistes exploitables qui les concernent au premier chef. Je crois que la première solution, c’est de les écouter davantage, de leur donner l’occasion de s’exprimer, dans toutes les strates sociales, à tous les niveaux d’éducation. Cela requiert un effort important, du temps, des ressources, mais c’est la façon la plus immédiate et efficace, je pense, d’intégrer les jeunes dans le débat démocratique.

Je pense aussi qu’un facteur de exclusion, très lié au fonctionnement du capitalisme de marché, est lié à la hiérarchie – implicite ou explicite – faite en fonction de la qualification. Bien sûr, il faut des qualifications, évidemment encore plus dans un pays qui est en transformation rapide. Mais je pense que des emplois considérés comme peu qualifiés sont en fait qualifiés d’une autre façon, et qu’ils ont une valeur sociale souvent très supérieure à leur rémunération et à leur considération. Donc je crois qu’il faut trouver un système dans lequel on incite certes à la qualification, mais on n’en fait pas le seul critère d’évaluation et de rémunération. Puis, pour le reste, il faut par des règles, des pratiques, veiller à ce que le vieillissement ne pénalise pas l’accès des jeunes aux responsabilités dans les entreprises.

On peut d’ailleurs penser que la responsabilité managériale devrait, avec l’âge, devenir plus souvent qu’elle ne le fait une responsabilité de conseil. Car les « vieux » ont évidemment un rôle à jouer, un rôle de conseil, d’accompagnement, de mentorat, et ce rôle aujourd’hui n’est pas bien assuré.

Sur toutes ces questions, les économistes n’ont pas le monopole de la réponse. Je me réjouis que le Cercle des économistes se saisisse du sujet. Mais l’idée, c’est aussi de faire intervenir des sociologues, des anthropologues, des psychologues capables de comprendre les fossés intergénérationnels, que le vieillissement des sociétés est en train de créer.

Alors justement, comment mieux écouter les jeunes, tenir compte de leurs idées, de leurs aspirations ? Il y a une vraie valeur ajoutée derrière…

Je crois qu’il faut leur donner davantage l’occasion de s’exprimer ou d’agir. On pourrait penser à davantage de bourses d’innovations, par exemple, données à des jeunes pour explorer, exploiter une idée. Et puis, le faire dans une optique de prise de risque. L’idée, c’est qu’on ne cherche pas à cadrer le projet pour en limiter les risques, pour être sûr qu’il réussisse avant qu’il soit lancé, mais on soutient la prise de risque. On regarde ce qui se passe et on valorise l’échec. L’échec est normal, il est signe d’un esprit d’entreprise, de dynamisme, d’apprentissage. Il n’est pas négatif.

Cela fait des années que le Cercle des économistes cherche à donner la parole aux jeunes avec le programme « La Parole aux 18-28 », qui permet d’inviter 120 jeunes de tous horizons aux Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence. Cette année, la question qui leur est posée est « Et si vous transformiez, le monde : quelles seraient vos priorités ? ». Ces 120 jeunes sont invités à Aix-en-Provence et, je peux en témoigner, leur présence change vraiment les débats.

Cette année, le Cercle des économistes va bien au-delà…

Oui, en plus de ce programme, qui en est d’ailleurs à sa 10e édition, le Cercle des économistes lance un dispositif, « Discuter, Agir, Changer. Jeunesse 2022 », qui est une vaste conversation menée avec la jeunesse, avec l’idée d’en tirer des messages et des orientations pour le futur quinquennat. Dès à présent, le Cercle lance cette conversation, qui va être rythmée par cinq discussions thématiques auprès de plusieurs centaines de milliers de jeunes. A l’issue de ces conversations, des ateliers de débat vont être organisés pour analyser les données, pour porter des idées concrètes et tout cela sera intégré au programme des Rencontres Économiques d’Aix-En-Provence.

 


 

Pierre Jacquet est membre du Cercle des économistes, professeur à l’École des Ponts ParisTech et président du Global Development Network (GDN).

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