" Osons un débat éclairé "

Planification écologique, faux dilemmes

La Première ministre, Elisabeth Borne, s’y engage : elle entend mener le chantier de la planification écologique à marche rapide. Pour Pierre Jacquet, si cette planification ne peut se limiter au traditionnel débat entre défenseurs de la croissance et ceux de la décroissance, il convient toutefois de revoir de manière pragmatique notre modèle actuel qui n’est plus viable.

La planification écologique est à la mode. Deux lignes de force idéologiques ont sous-tendu son émergence : d’abord le lien entre transition écologique et croissance – faut-il vouloir la « décroissance » pour rendre possible cette transition ? Deuxièmement, l’arbitrage entre les rôles respectifs de l’État et des marchés, en particulier autour de la fonction des prix relatifs de l’énergie. Et, comme d’habitude, au lieu d’entrer dans la complexité, ces débats se sont polarisés : en faveur ou contre la décroissance ; en faveur ou contre l’action par les prix relatifs pour orienter les comportements.

La croissance que nous recherchons doit évoluer en accord avec notre société

Prenons d’abord la question de la croissance. Il est difficile de réfuter la position consistant à constater que, telle qu’elle est mesurée, la croissance nous conduit collectivement dans le mur écologique et climatique. La réponse à ce constat n’est pas la « décroissance », mais le changement de mesure de la croissance. Ce qu’on a appelé croissance jusqu’à présent n’est simplement plus viable, et n’est plus synonyme d’amélioration des conditions de vie. Pour autant, comme l’argumentent Sébastien Bohler et Thierry Ripoll dans un entretien récent donné au journal Le Monde, l’être humain semble câblé par ses neurones pour une quête insatiable de croissance.

Mais la « croissance » que recherchent nos enfants ne ressemble pas à celle que nous mesurons et connaissons : un processus de changement profond de valeurs sociales est à l’œuvre, et ce qui en résultera sera une nouvelle forme de croissance, et un imaginaire de la croissance profondément transformé. On ne répondra pas aux exigences de la transformation écologique en s’arrêtant à l’obsolescence et l’impossibilité des rêves passés, mais plutôt en contribuant à l’émergence de nouveaux rêves et de nouveaux indicateurs. Cela prendra du temps, et quels que soient leurs insuffisances et leurs excès, les prises de position militantes peuvent y contribuer.

La planification et la réglementation amélioreront le fonctionnement des marchés

Faut-il par ailleurs opposer le rôle des prix et celui de la planification ? Pour un économiste, les prix, lorsque les marchés fonctionnent bien, jouent un rôle fondamental de révélateur de rareté, de signal et d’incitation affectant les comportements. Les marchés étant imparfaits, le prix actuel de l’énergie carbonée ne reflète cependant pas son coût social. Il est difficile de concevoir comment la transition écologique peut spontanément se produire dans ces conditions, et cet argument pousse à recommander une taxe carbone suffisamment conséquente (de l’ordre de 70 à 100 euros la tonne) ou un ensemble de réglementations contraignantes et crédibles, avec des mécanismes de contrôle et sanction en garantissant le respect.

En fait, il ne faudrait pas opposer les deux : la taxe carbone renforcera la crédibilité de toute réglementation en la matière, puisqu’elle alignera les intérêts particuliers avec le respect de la réglementation. Mais ce n’est pas la taxe carbone qui va créer, par elle-même, les alternatives à la consommation d’énergie carbonée, et elle peut à court-terme accentuer pauvreté, inégalités et conduire au rejet.

C’est là où la planification, aidée par la réglementation, intervient. Planifier la transition, c’est gérer en douceur mais fermement l’abandon graduel des énergies carbonées en atténuant les coûts de cet abandon, et en soutenant les alternatives, aussi bien en termes de production d’énergie que d’utilisation de cette dernière. Cela suppose des analyses fines des comportements et usages, des investissements en effet planifiés, et une meilleure compréhension de la complémentarité entre gouvernements et marchés, souvent opposés de façon beaucoup trop stérile.

La pauvreté des débats de fond fragilise nos démocraties

L’existence de ces faux dilemmes suggère que ce qui fragilise nos démocraties, ce n’est pas l’impossibilité de l’action, mais plutôt la pauvreté des débats de fond, où le refus de la complexité et l’impatience amènent à une polarisation idéologique source d’éternels blocages. En sortir fait probablement partie des nouveaux rêves !

 


 

Pierre Jacquet, membre du Cercle des économistes et Président du Global Development Network

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