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Pourquoi la révolte sociale peut durer

La révolution technologique va continuer de détruire des emplois non qualifiés. Si nous ratons le défi de la formation, la révolte sociale perdurera et s’amplifiera.

Il y a quelques années, les impératifs de sécurité routière ont généralisé la détention de gilets jaunes fluorescents dans les voitures afin que les personnes en danger puissent se signaler aux autres. Leur utilisation symbolique dans les mouvements sociaux récents relève malheureusement de la même logique. Le danger est bien réel et il meurtrit depuis des années ceux qui aujourd’hui se révoltent.

Toutes les enquêtes de terrain l’attestent, les « gilets jaunes » sont très majoritairement peu qualifiés, ce qui ne signifie pas qu’ils sont tous pauvres ou sans emploi, mais qu’ils risquent de le devenir. Et la dégradation ne date pas d’hier. Avec Ikpidi Badji, nous avons estimé que le niveau de vie des hommes non titulaires d’un baccalauréat ne cesse de diminuer de génération en génération ; par exemple, entre une personne née en 1979 et une autre née quarante ans avant, la baisse est de 20 %.

Pour les peu qualifiés, ce sont bien sûr les opportunités sur le front de l’emploi qui se sont raréfiées. Selon l’Insee, le taux de chômage des hommes non diplômés et âgés de 25 à 49 ans s’approche aujourd’hui des 20 %, alors qu’il n’était que de 4 % au début des années 1980. Les personnes peu qualifiées sont principalement victimes du progrès technique et des « machines » qui non seulement les remplacent mais demandent une main-d’oeuvre toujours plus qualifiée.

Opposition à la mondialisation

L’attachement des « gilets jaunes » à la voiture, symbole des révolutions technologiques d’autrefois, manifeste en creux une opposition à celles d’aujourd’hui. Mais le rejet n’est pas frontal et l’on ne perçoit pas d’émergence d’une version moderne des « saboteurs », ces ouvriers agricoles qui, pour les détruire, mettaient leurs sabots dans les rouages des machines agricoles importées d’Angleterre.

Au contraire, l’utilisation massive des applications Web de réseautage social par le mouvement social révèle soit une adhésion à la révolution de l’Internet, soit une part de naïveté vis-à-vis des dangers qu’elle apporte. De fait, le mécontentement se fédère davantage par opposition à la mondialisation et à ses manifestations les plus visibles telles que, pêle-mêle, l’immigration, la finance et les grands sommets internationaux, qui pourtant ne sont pas directement en cause.

Le ressentiment, quant à lui, s’exprime face à l’Etat et les symboles de son pouvoir, et plus généralement, à une élite accusée de bénéficier d’une dynamique qui broie les plus fragiles. Les conséquences dans les sondages et les urnes ont été maintes fois discutées et conduisent parfois au pouvoir ceux qui, malheureusement, portent des réponses inappropriées. Les Britanniques non qualifiés, qui ont majoritairement voté en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, seront les premiers touchés par le ralentissement économique que ce choix a déjà engendré.

Deux écueils

La réponse du gouvernement au mouvement des « gilets jaunes » se comprend dans un contexte d’urgence politique et sociale. Elle vise à utiliser l’argent public afin d’améliorer le pouvoir d’achat des salariés et retraités modestes. Ces mesures rendent indéniablement le système fiscal plus redistributif, mais elles ont deux écueils. Elles démontrent que les oppositions violentes au pouvoir sont payantes, ce qui augure mal de la suite du quinquennat.

Mais surtout, elles ne sont qu’une réponse conjoncturelle à une inadéquation structurelle de la main-d’oeuvre aux transformations actuelles. Il ne suffit pas de répéter que l’éducation et la formation au cours de la vie sont les priorités du gouvernement, il faut réellement accroître l’effort dans ce domaine et, notamment, enrayer la chute de la dépense publique par étudiant.

Les emplois non qualifiés vont continuer de se réduire en France, et il n’y a pas d’autre solution que de former la population aux besoins engendrés par la révolution technologique que nous vivons. Si nous nous détournons de ce défi, la révolte sociale perdurera et s’amplifiera.

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