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Pourquoi le modèle Tesla n’est pas tenable

Le constructeur automobile californien sait fabriquer des « ordinateurs sur roues », mais ne maîtrise pas encore une technologie : la production de longues séries.

Si les constructeurs automobiles traditionnels ont depuis longtemps intégré un ordinateur dans votre voiture, Tesla a mis des roues à votre ordinateur. Les projets risqués ayant besoin d’une part de rêve pour être financés, et d’une communication portée par un entrepreneur charismatique, le producteur californien nouveau venu dans l’industrie automobile a pu attirer suffisamment de capitaux pour maintenir une activité à perte et s’orienter vers un modèle industriel difficilement soutenable. Voici pourquoi.

L’industrie automobile est une activité à technologie cumulative. L’Allemagne a encore aujourd’hui un avantage compétitif dans l’industrie automobile parce qu’elle était avantagée dans cette activité il y a une décennie. Et son avantage il y a une décennie s’expliquait de la même façon. Les innovations dans l’automobile sont incrémentales : il s’agit de faire toujours un petit peu mieux ce que l’on faisait déjà, tout en s’adaptant aux goûts évolutifs du consommateur et au déplacement de la demande vers de nouveaux marchés.

Economie d’échelle

Les nouvelles technologies peuvent déplacer de la valeur vers les équipementiers, mais les constructeurs automobiles gardent la main. Dans une industrie de ce type, la longueur des séries compte. Pour maximiser les économies d’échelle la même plate-forme est utilisée pour produire de multiples modèles. L’exemple le plus connu en est probablement la plate-forme PQ35 servant de base à 19 modèles du groupe Volkswagen. Les séries longues favorisent une structure de marché concentrée où les barrières à l’entrée sont très élevées.

Seule une innovation de rupture peut déstabiliser un tel oligopole, et les constructeurs automobiles s’y préparent. Trois évolutions majeures se profilent. La première est celle du changement d’attitude du consommateur, s’orientant vers l’usage plutôt que la propriété du véhicule. La deuxième évolution concerne le problème posé par les limites physiques du moteur à explosion. La motorisation électrique, partielle ou totale, est une réponse possible – probablement la réponse à court terme. La troisième évolution, avec la voiture autonome, concerne les données et la géolocalisation.

Massification des séries

Une seule de ces évolutions ne suffirait probablement pas à déstabiliser l’oligopole, mais la combinaison de deux d’entre elles pourrait être un levier suffisant. Un ordinateur avec des roues combinant l’énergie électrique et le traitement des données, les investisseurs ont acheté l’idée que Tesla allait ainsi pouvoir entamer les marges de l’oligopole automobile. Encore aurait-il fallu pour cela ne pas déroger à la règle de la massification des séries.

Produire de longues séries est une technologie en soi : les constructeurs japonais en ont fait leur avantage compétitif. A l’opposé, l’objectif pourtant modeste de Telsa pour son Model 3, soit 5.000 véhicules par semaine, n’est pas tenu. Et même si cet objectif finissait par être atteint, Tesla ne serait pas pour autant un acteur majeur : Toyota produirait toujours 35 fois plus, tout en étant profitable. On prête à Ettore Bugatti l’adage selon lequel, en matière d’automobile, « rien n’est trop beau, rien n’est trop cher ». Tesla s’est au départ inscrit avec un relatif succès dans cette stratégie de niche, qui n’a pourtant rien à voir avec la déstabilisation de l’oligopole. Les marchés commencent à le percevoir.

Les difficultés de Tesla ne sont pourtant pas la preuve qu’une rupture n’interviendra pas. La motorisation et le stockage électrique sont des technologies dans lesquelles les industriels chinois sont performants, et il s’agit d’un immense marché futur en raison du durcissement des réglementations en matière d’émissions. De plus, avec la voiture autonome, l’application systématique du traitement des données et de la géolocalisation fait entrer des acteurs aux moyens démultipliés par rapport à Tesla. La Google Car ou le projet Uber indiquent comment la valeur pourrait être déplacée aux dépens des acteurs traditionnels, une fois les difficultés techniques et juridiques initiales surmontées.

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