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Pouvoir d’achat : comment limiter l’inflation des loyers ?

Limiter la hausse des loyers à été une façon efficace de préserver le pouvoir d’achat des ménages lors des 40 dernières années. Alors que l’inflation repart à la hausse, faut-il revoir les règles de l’IRL, et sortir les prix de l’énergie de son calcul, comme le propose Hippolyte d’Albis ?

Le site internet de l’Insee regorge de chiffres et d’analyses qui font le bonheur de ceux qui dissèquent l’économie française. Mais à la grande surprise de ces derniers, la page la plus visitée du site n’est pas celle du PIB ou du chômage mais celle de l’Indice de référence des loyers (IRL). Cet indicateur est, en effet, mentionné dans tous les contrats de location aux particuliers, car il permet de calculer la revalorisation du loyer qu’un propriétaire peut imposer tous les ans à son locataire ou lors d’un changement d’occupant.

L’ICC, une première tentative pour maîtriser le coût des loyers

Ce que l’on sait moins, c’est que l’IRL a aussi, par le passé, servi d’outil aux gouvernements pour maîtriser l’évolution des loyers. Alors que la préservation du pouvoir d’achat a été qualifiée de prioritaire par la Première ministre et que les appels au « blocage des loyers » sont peu convaincants du fait des difficultés juridiques entraînées, la piste d’une réforme de l’IRL mérite qu’on s’y attarde.

Petit retour en arrière, en 1982, précisément. Roger Quilliot, ministre de l’Urbanisme et du Logement de Pierre Mauroy, fait voter la première loi destinée à réglementer les rapports locatifs dans le cadre d’un bail d’habitation. Il y est mentionné que les révisions de loyers ne peuvent « excéder la variation d’un indice national mesurant le coût de la construction ». Le calcul de cet indice, appelé ICC et dont les modalités sont fixées par décret, est confié à l’Insee.

Naissance de l’IRL

Une évolution majeure a lieu en 2005, sous le gouvernement de Dominique de Villepin, avec le vote d’une loi en faveur de la cohésion sociale. Elle remplace l’ICC par un nouvel indicateur formé à partir de l’indice des prix à la consommation (hors tabac et loyers), d’un indice des prix des travaux d’entretien et d’amélioration des logements et de l’ICC. L’IRL était né.

Trois ans plus tard, alors que la France est touchée de plein fouet par la crise des subprimes, le gouvernement de François Fillon fait passer une loi, dite « pour le pouvoir d’achat » qui réforme de nouveau le calcul de l’IRL, en ne le faisant plus dépendre que de l’indice des prix à la consommation.

Ces changements – apparemment anodins – du mode de calcul de l’indice ont, dans les faits, puissamment contribué à la maîtrise des loyers en France. Entre 2006 et 2021, l’ICC a en effet augmenté de 38,5 % tandis que l’IRL a… diminué de 3,5 % !

En adossant les loyers à l’indice des prix à la consommation, les gouvernements Villepin et Fillon ont été d’efficaces défenseurs du pouvoir d’achat des locataires. Et par ricochet, de puissants opposants à la rentabilité locative, notamment depuis le retournement des prix de 2016.

L’inflation ravive les tensions entre locataires et propriétaires

Mais aujourd’hui, alors que l’inflation est revenue et semble s’installer pour de bon, l’équation se complique et les loyers sont susceptibles de repartir à la hausse. La tension entre locataires et propriétaires refait surface, chacun avançant ses arguments maintes fois entendus, et le gouvernement doit trancher. S’il souhaite préserver les locataires, une possibilité serait d’adosser l’IRL sur l’évolution des prix, non seulement hors tabac et loyers comme c’est le cas actuellement, mais également hors dépenses énergétiques.

Les locataires subissent déjà la hausse des prix de l’énergie qu’ils consomment, est-il juste que celle-ci impacte aussi leurs loyers ? Un simple article dans la prochaine loi en faveur du pouvoir d’achat permettrait d’y remédier. Sans coût supplémentaire pour les finances publiques, cette mesure soulagerait les locataires, qui peuvent consacrer jusqu’à 45 % de leur revenu à leur logement.

 


 

Hippolyte d’Albis est professeur à l’Ecole d’économie de Paris, directeur de recherche au CNRS et coprésident du Cercle des économistes

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