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Privatisation : L’Etat n’a pas de vision idéologique

Rester maître de la situation. L’Etat vient de lancer la cession partielle de ses participations au capital d’entreprises non stratégiques. Il s’agit de récupérer 10 milliards d’euros pour financer l’innovation. Patrice Geoffron constate qu’ « il n’y a pas de volonté de l’Etat de sortir massivement du capital des entreprises. On a pu l’observer  lorsqu’ Emmanuel Macron était ministre de l’Economie : il a bataillé pour faire monter l’Etat dans le capital de Renault ou encore, à l’heure actuelle, dans l’affaire des chantiers navals STX, où l’Etat se bat plutôt pour, non seulement rester dans le capital,  mais aussi  parvenir à rester aux commandes en co-pilotage avec les italiens ». L’économiste en conclut qu’ « il n’y a pas de volonté idéologique », de la part de l’Etat dans les opérations en cours.

Volonté budgétaire. Selon Patrice Geoffron, il s’agit probablement d’ « inscrire les capitaux qui pourraient être récupérés – de l’ordre de 10 milliards d’euros – dans le récit esquissé récemment par Emmanuel Macron dans l’entretien accordé à l’hebdomadaire Le Point ». Dans cet entretien, il est question de Schumpeter, de destruction créatrice. C’est-à-dire de recréer des activités nouvelles avec ces capitaux. « Ces 10 milliards d’euros seraient mis au service du financement de l’innovation et de la recherche, un peu à l’image de ce qu’avait fait Nicolas Sarkozy lorsqu’il avait levé, dans le cadre du grand emprunt, plusieurs dizaines de milliards d’euros orientés vers des activités dites d’avenir ».

Marges de manœuvres difficiles. Aujourd’hui, les participations de l’Etat dans les entreprises dont il détient du capital s’élèvent à quelque 100 milliards d’euros, dont 70 milliards pour la quinzaine d’entreprises cotées. « Il y a une série d’entreprises auxquelles il sera difficile de toucher, notamment dans le secteur de l’énergie (EDF) ou Airbus, dans lesquelles il y a la participation d’autres Etats, en particulier de l’Allemagne », analyse Patrice Geoffron. « Tout  cela réduit donc singulièrement les entreprises potentiellement candidates à ce type d’opération. Par exemple ADP, dont l’Etat peut espérer retirer 7,5 milliards d’euros ; Orange (5 milliards)… on peut imaginer aller au-delà des entreprises cotées : la Française des Jeux… ».

Est-ce à l’Etat de financer l’innovation ? « L’idée générale est de gagner des marges de manœuvre budgétaires dans un environnement très contraint, et d’envoyer un signal dans le récit du quinquennat, tourné vers l’innovation », insiste Patrice Geoffron. Quelles cibles ? « On peut imaginer, par exemple, le soutien à l’intelligence artificielle, ou des financements plutôt orientés vers des petites entreprises, pour inscrire cela dans la vision que le Premier ministre, et surtout le président de la République, souhaitent promouvoir de cette destruction créatrice. C’est-à-dire la capacité à créer de nouveaux types d’activités, faire monter en puissance des entreprises de petite taille ».

Juste rôle et bon timing. « Pour ce qui est du soutien à l’innovation, notamment chez les entreprises émergentes, on peut considérer que c’est la place de l’Etat d’accélérer un certain nombre de processus d’innovation. Qui plus est dans un contexte international dans lequel la globalisation, en particulier la confrontation avec les américains, créé la nécessité de faire émerger en Europe des entreprises puissantes, capables de concurrencer les entreprises américaines. Autant dire on en est plutôt loin », semble regretter l’économiste, pour qui le timing des opérations est une autre variable capitale. « Comme l’a dit le Premier ministre, il va falloir trouver le bon moment pour céder nos participations. Et le bon moment est difficile à déterminer en fonction des fluctuations sectorielles et boursières. Par ailleurs, il faut bien avoir à l’esprit que se priver d’une partie du capital de ces entreprises, c’est se priver des dividendes annuels versés par ces dernières.  En vendant des participations, on récupère plus facilement du capital à court terme mais on se prive sur le moyen et long terme des recettes afférentes ».

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