" Osons un débat éclairé "

Quelle dynamique des salaires en France ?

Avec l’accélération de l’inflation, la question du pouvoir d’achat et donc aussi celle des salaires s’installent au cœur de l’actualité et de la campagne présidentielle. Une actualité évidemment chamboulée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les conséquences de tous ordres à en attendre.


En 2021, la hausse des salaires en France a été en moyenne de 1,5%. Un chiffre pratiquement égal à l’inflation moyenne sur l’année (1,6% d’après l’INSEE). Autrement dit, le pouvoir d’achat des salaires aurait été grosso modo maintenu. Mais le raisonnement en moyenne camoufle l’accélération de la hausse des prix de ces derniers mois due aux prix de l’énergie (pour près de 50%), aux prix alimentaires, etc.

Les augmentations de salaires enregistrées récemment correspondent pour partie à du rattrapage, après des années de vaches maigres. Pour les secteurs en pénurie de main-d’œuvre (BTP, hôtels-restaurants…) s’applique la loi de l’offre et la demande qui fait grimper les rémunérations à partir de niveaux souvent modiques. Mais le contexte français diffère ce que l’on constate aux Etats-Unis ou même en Allemagne. Dans ces deux pays, l’économie est proche du plein emploi.

Les spécificités du contexte français

La bonne vieille courbe de Phillips, suggérant qu’un taux de chômage faible engendre de l’inflation salariale et qui avait été rangée un peu vite dans les curiosités historiques, reprend des couleurs. Ainsi, aux Etats-Unis, l’inflation inquiétante de janvier 2022 (7,5% en rythme annuel) se nourrit pour partie de la boucle prix-salaires, ce cercle vicieux dans lequel prix et salaires s’engendrent les uns les autres. Le contexte français est différent. Le chômage a certes diminué de façon spectaculaire, mais nous ne sommes pas au plein emploi avec un taux de chômage de 7,4 % fin 2021… D’ailleurs, où se situe vraiment dans notre pays le taux de chômage correspondant au « plein emploi » ? Entre 5 et 6% ? Personne ne le sait exactement…

La dynamique des salaires en France d’ici la fin de 2022 va dépendre de quelques grands marqueurs.

L’inflation à l’œuvre aux Etats-Unis et en Europe

L’incertitude majeure vient de la guerre en Ukraine, donc des perspectives à court terme pour le pétrole, le gaz, d’autres matières premières industrielles et agricoles (blé…). L’hypothèse privilégiée jusqu’alors par la BCE comme quoi la « bosse » d’inflation atteindrait son pic au premier semestre 2022 avant de refluer au second a désormais du plomb dans l’aile. L’inflation va s’incruster aux Etats-Unis. En Europe, les tensions inflationnistes risquent de se transformer en un réel processus inflationniste. Et l’inconfort des banques centrales, déjà patent avant, est accentué par la guerre en Ukraine. Car il va leur falloir resserrer la politique monétaire dans un contexte où les marchés financiers sont déjà déprimés par les bruits de bottes. La révision générale à la hausse des anticipations d’inflation devrait peser sur les négociations salariales en cours ou à venir.

Les incertitudes sur la reprise de l’activité

Après la récession due au Covid, l’économie mondiale pourrait affronter une nouvelle récession due à l’embrasement né de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Avant l’Ukraine, une croissance de l’ordre de 4% était attendue pour la France en 2022. Comme en 2021, il s’agit pour une bonne part d’une croissance de rattrapage. Par-delà les incertitudes majeures de la géopolitique, le vrai test de la résilience de l’économie française (comme de beaucoup d’autres pays) est encore devant nous : la remise en cause nécessaire et progressive du « quoi qu’il en coûte » va-t-elle s’accompagner de faillites, en particulier de PME, et d’une remontée du chômage ? Incertitude quasi-totale, qui se répercute sur la dynamique salariale.

Le contexte social marqué par le débat sur la répartition des richesses

Vu la prégnance du débat sur les inégalités, je m’attends en cours d’année à au moins un coup de pouce sur le SMIC, pour aller au-delà du résultat mécanique de la formule de référence. Par ailleurs, la profitabilité élevée de nombre de grandes entreprises aiguise les appétits. Elle légitime une réforme souvent évoquée, jamais vraiment réalisée : diffuser les formules d’intéressement et de participation vers les PME et les ETI, mais aussi pour l’ensemble des salariés.

 


 

Christian de Boissieu est vice-président du Cercle des économistes et professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

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