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Rachat de dette d’entreprises par la BCE, opération risquée ?

0e388067a823c1bf5fcf48a11c8c2961-627x392La Banque centrale européenne vient d’ajouter un outil à sa politique monétaire. En plus des dettes souveraines, la BCE rachète désormais de la dette privée, de certaines entreprises. Selon Philippe Trainar, la mesure destinée officiellement à relancer un peu d’inflation n’est pas sans risques.

Les politiques monétaires non-conventionnelles, que ce soit le « quantitative easing » ou les taux d’intérêt négatifs, s’installent progressivement dans le paysage, à côté des opérations conventionnelles. La dernière étape de cette « normalisation » du non-conventionnel vient d’être franchie le mercredi 8 juin dernier, date à partir de laquelle la BCE a commencé à acquérir des obligations d’entreprises.

Certes, les titres éligibles doivent être notés « BBB- » par au moins une des trois grandes agences de notation, et leur maturité ne peut aller au-delà de 31 ans. Ceci laisse à la BCE la possibilité d’investir dans des obligations considérées comme des « junk bonds » par deux agences. En outre, à la différence des titres publics que la BCE ne peut acquérir que sur le marché secondaire, les titres d’entreprise pourront aussi être souscrits sur le marché primaire.

Tous les prix des actifs, publics ou privés, sont donc désormais instrumentalisés par la banque centrale, au service de sa politique monétaire. On pourrait imaginer que la BCE se contente de translater homothétiquement (de manière similaire) l’ensemble des taux vers le bas, ou vers le haut. C’est ce qui s’est passé pour les acquisitions de titres souverains que la BCE a peu ou prou achetés en proportion du stock existant, à l’exception de la dette grecque. Mais, on voit bien que cela n’est plus possible dès lors que l’on inclut la dette des entreprises dans le programme.

De fait, la BCE va devoir discriminer entre les titres privés, en acheter certains et pas d’autres. Les taux d’intérêt sans risque, les spreads de crédit et la valeur des actifs, ne vont donc plus être des prix de marché reflétant l’opinion des investisseurs mais des variables manipulées par la banque centrale. Ils ne vont donc plus nous renseigner ni sur la valeur intrinsèque du temps et du risque, ni sur le quantum de risque incorporé dans les différents titres de dette.

Cette situation est extrêmement risquée. Jusqu’à présent les banquiers centraux s’étaient gardés de porter une appréciation, même implicite, sur les risques micro-économiques des entreprises. Ils laissaient ce rôle aux banquiers et aux investisseurs. Mais, depuis le 8 juin, la banque centrale est devenue une banque commerciale de fait. Dans la mesure où son appréciation des risques a de fortes chances de diverger de celle des banques commerciales, il devrait en résulter des incitations extrêmement perverses à des arbitrages spéculatifs. Il sera d’autant plus difficile de revenir ultérieurement en arrière que ces arbitrages se seront sédimentés en une allocation sous-optimale de l’investissement, du capital et de l’emploi.

Finalement, le non-conventionnel s’installe dans le paysage comme une nouvelle normalité. Non point parce qu’il serait devenu normal par rapport aux nouvelles conditions économiques, mais parce qu’il risque d’être très difficile, voire impossible, d’en sortir sans provoquer une crise économique et financière grave

 

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