" Osons un débat éclairé "

Remettre de l’argent dans l’eurodateur

Agnès Bénassy-Quéré

Agnès Bénassy-Quéré

Après avoir réveillonné, nous émergeons un peu groggys en comprenant que le monde hélas n’a pas changé pendant les fêtes. Le Père Noël n’a pas effacé les dettes européennes. L’âne et le bœuf n’ont pas beaucoup réchauffé nos économies. Quant aux Rois, ils n’ont pas apporté la véritable union bancaire qu’il nous faudrait.

Je propose de discuter ce matin la question des dettes publiques. Il y a trois manières de s’en débarrasser. Reprenez un peu de café et accrochez-vous, je reprends mon souffle et je vous dévoile les trois recettes. La première, orthodoxe mais douloureuse, c’est de relever les impôts et d’abaisser les dépenses pour dégager un excédent permettant non seulement de payer les intérêts, mais aussi de rembourser les dettes venant à échéance. L’OCDE a calculé que pour réduire la dette publique conformément à ses engagements, la Grèce doit dégager de 2014 à 2023 un excédent primaire (donc hors intérêts de la dette) de 9% du PIB, le chiffre étant de 6% pour l’Italie et le Portugal . Or le solde primaire en 2013 était de seulement 4,6% en Grèce et 1,7% au Portugal. Il faut donc poursuivre l’effort d’ajustement en 2014, puis maintenir les excédents pendant dix ans. Les risques politiques sont considérables.

La deuxième recette pour réduire la dette publique est de faire en sorte que les taux d’intérêt auxquels les Etats empruntent soient inférieurs aux taux de croissance en valeur des économies. Ainsi, le rapport dette/PIB voit son numérateur croître moins vite que son dénominateur. le procédé a été largement utilisé après la seconde guerre mondiale, notamment au Royaume-Uni où la dette est passée en vingt ans de 200 à 65% du PIB. Mais la croissance ne se décrète pas et l’expérience japonaise montre qu’il n’est pas si facile de faire de l’inflation. La BCE est en train d’en faire l’amère expérience, ses taux pouvant difficilement diminuer en-dessous de zéro. Par ailleurs, son mandat strict de maintenir l’inflation en moyenne « en-dessous de 2% mais proche de 2% » lui laissera peu de marge de manœuvre lorsque l’inflation reviendra. Impossible, par exemple, de maintenir le taux d’intérêt à zéro si l’inflation remonte à 2%.

La troisième recette consiste à restructurer la dette, par une combinaison de baisse des taux d’intérêt, d’allongement des maturités et, éventuellement, de remises de dette. Cette dernière solution a été appliquée à la Grèce en 2012. Mais les Européens sont terrifiés à l’idée de déclencher une nouvelle crise bancaire en restructurant par exemple la dette italienne. Jusqu’à présent, les partenaires de la zone euro s’en sont donc tenus à la solution n°1 – l’ajustement par les excédents budgétaires. Mais appliquer le même remède à plusieurs malades en même temps réduit l’efficacité du traitement. En 2014, il va falloir envisager les deux autres recettes. Pour la recette n°2, c’est dès aujourd’hui puisque le Conseil des gouverneurs de la BCE se réunit ce matin. Pour la recette n°3, il faudra sans doute attendre l’audit des 130 plus grandes banques de la zone. On saura alors si le système est capable de supporter des restructurations de dettes. Citoyens, banquiers, épargnants, contribuables, accrochez-vous, disais-je.

Chronique diffusée sur France Culture le 9 janvier 2014

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