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Renégocier l’Aléna, une bonne idée

En 23 ans, la situation économique du Canada, des Etats-Unis et du Mexique a profondément évolué, tout comme la nature des échanges internationaux et le paysage industriel nord-américain.

Le principe de la gravitation s’applique aussi au commerce international : les frictions au commerce, liées à la distance (coûts de transport) et aux droits de douane, s’opposent à la force d’attraction des masses économiques (la taille économique des partenaires à l’échange). Les accords de libéralisation commerciale, ou plus généralement d’intégration économique, devraient ainsi être signés d’abord entre pays proches.

Chaque membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en plus d’accepter les disciplines multilatérales de l’organisation, a en réalité signé au moins un accord régional discriminant accordant à titre dérogatoire un accès préférentiel à un ou plusieurs pays. Il y a aujourd’hui 279 accords de ce type en vigueur.

Plausible dénonciation de l’accord

Celui liant le Canada, les Etats-Unis et le Mexique (Aléna, ou Nafta en anglais), signé en décembre 1992 et entré en vigueur le 1er janvier 1994, est aujourd’hui remis en cause par l’administration américaine le considérant déséquilibré et destructeur d’emplois. Le triplement des échanges entre les trois voisins peut en effet être considéré comme un succès ou comme un vecteur de désindustrialisation aux Etats-Unis.

Les forces de la gravitation ont conduit à une position moins abrupte que lors de la sortie de l’accord transpacifique : après avoir fait campagne sur la dénonciation, Donald Trump a finalement engagé une renégociation. Le quatrième « round » de discussions a toutefois pris fin le 17 octobre dans un climat tendu, rendant plausible une dénonciation pure et simple de l’accord.

En matière de droits de douane, une telle issue renverrait chacun des trois pays à ce qu’il accorde au niveau multilatéral à tous les autres

membres de l’OMC, et là les Etats-Unis ont beaucoup à perdre, notamment les agriculteurs américains qui se verraient fermer le marché mexicain. En retour, les Etats-Unis ne pourraient pas imposer des droits très élevés aux produits industriels mexicains.

Affaiblir le Mexique, c’est renforcer… le Mexique

A contrario, les Etats-Unis retrouveraient toute liberté en matière de droits antidumping à l’égard du Mexique et du Canada, ce qui serait susceptible d’infliger de forts dommages à certains secteurs dans ces deux pays. Mais la macroéconomie internationale n’est pas un jeu à somme nulle : affaiblir le Mexique avec une politique d’America First, c’est affaiblir le peso, et… renforcer la compétitivité des produits mexicains sur le marché américain.

A la question « qui perdrait ? qui gagnerait ? » à la dénonciation de l’accord, la réponse est donc sans ambiguïté que tout le monde perdrait – beaucoup. Et ceci sans résoudre le déséquilibre commercial bilatéral entre les Etats-Unis et le Mexique – un sujet irritant pour Donald Trump – relevant des lois de la macroéconomie.

A l’inverse, renégocier l’Aléna n’est pas une mauvaise idée. En 23 ans, la situation économique des trois pays a profondément évolué, tout comme la nature des échanges internationaux et le paysage industriel nord-américain. Certains domaines exclus pourraient faire l’objet de discussions (les télécommunications ou les services financiers), et certaines questions pourraient être examinées en s’emparant de l’approche adoptée avec succès par les Etats-Unis dans le TPP (l’e-commerce, l’environnement, les clauses sociales, etc.).

Surcoût élevé pour les consommateurs

Mais même en écartant le scénario catastrophe, il n’est pas certain que l’on s’entende sur un meilleur accord. Les Etats-Unis pourraient obtenir une révision à la hausse des taux d’intégration locale (le pourcentage de valeur ajoutée nord-américaine dans les produits échangés en franchise de droits de douane entre les trois pays : 62,5 % dans l’automobile par exemple).

Le Mexique pourrait adopter des restrictions « volontaires » aux exportations (une politique imposée aux industriels japonais dans les années 1970). Enfin les Etats-Unis pourraient retrouver toute liberté en termes d’antidumping. Dans tous les cas, ces solutions feraient revenir des emplois aux Etats-Unis, mais au prix d’un surcoût élevé pour les consommateurs et d’une désorganisation des chaînes de valeur régionales dans l’industrie.

 

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