" Osons un débat éclairé "

Revenu Universel : A prendre ou à laisser ?

Duo éco n° 19: Revenu universel: A prendre ou à laisser  ?

Afin de répondre aux questions qui nous paraissent essentielles pour un débat économique de qualité en France, le Cercle mobilise ses 30 économistes .

3 questions / 2 économistes et 3 mn pour y répondre!

Hippolyte d’Albis et Stéphane Carcillo, membre et Président du Cercle des économistes, répondent aux 3 questions de notre journaliste:

1/ Le revenu universel, une solution miracle pour lutter contre la précarité ?

2/ Comment le financer ?

3/ Doit-il être versé sous conditions? si oui, lesquelles ? Si non, pourquoi ?

 

Journaliste: Emmanuel Cugny
Equipe Vidéo: Point TV

Copyright : Cercle_eco

Point de vue des membres du Cercle

La Matinale de France Inter le 26/01/17 avec D. Meda et JH Lorenzi 

 

Philippe Aghion

Nouvelle donne. La mondialisation et la technologie ont-ils détruit – ou sont-ils en train de détruire – l’avenir de nombreux emplois ? Ce mouvement imposerait-il de nouveaux modes de rémunération et de couverture sociale ? Philippe Aghion estime que « cela pose la question plus générale de comment réorganiser le Code du travail, et le marché du travail, à l’heure des délocalisations et de l’émergence du numérique ». Selon l’économiste, « il faut prendre en compte ces nouvelles données afin d’éviter que l’évolution générale n’aboutisse à des situations individuelles de précarité. Je pense que les pays qui s’en sortiront dans les années à venir sont ceux qui adoptent une attitude que je qualifierais de danoise, qui consiste à mettre l’accent sur la formation et les garanties de revenu ».

Revenu universel et autres modes. Philippe Aghion rappelle l’impératif pour les citoyens de disposer d’une garantie de revenu, « tout d’abord parce qu’ils ont leur famille à soutenir. En plus, il faut garantir une certaine forme d’accès aux soins, aux retraites, etc… ». Mais l’économiste insiste : « il ne faut pas transformer cela en assistanat. Toute la question est de maintenir dans le même temps l’incitation à travailler. Il est bien évident qu’il faut qu’en travaillant, on puisse gagner plus qu’en ne travaillant pas. Mais, en même temps, il faut éviter qu’une frange de la population ne tombe dans la précarité. C’est ce qui nourrit l’électorat de Trump et autres populistes ». Selon Philippe Aghion, « en cela, les Danois ont pris de l’avance sur les autres, sans pour autant avoir tout résolu, car ils ont trouvé une flexisécurité ». Et le Professeur au Collège de France de prendre un exemple : « quand on perd son emploi au Danemark, on touche 90% de son salaire jusqu’à un certain niveau, on reçoit une formation, et enfin on reçoit une aide pour retrouver un emploi. Dans le même temps, on a accès gratuitement à l’éducation, la santé etc… Les pays comme les nôtres, qui ne garantissent pas ces services publics, créent une angoisse légitime dans la population. Ce genre de problème créé des frustrations ».

Piliers fondamentaux. Pour Philippe Aghion, « il faut un vrai système de sécurisation des parcours et un vrai programme de formation professionnelle. De même, il faut que dès l’éducation, la barre soit mise plus haut : grâce à une éducation de plus haut niveau, les gens sont beaucoup plus mobiles avec un socle éducatif important ». En France, « c’est nettement mieux qu’aux Etats-Unis », assure l’économiste. « Nous avons un accès gratuit à la santé et un système éducatif bien plus égalitaire. Mais nous avons de grandes carences, car notre système de formation professionnelle ne fonctionne pas et l’Etat ne met pas d’argent dans l’allocation chômage ». Et de revenir au Danemark où « c’est l’Etat qui finance les allocations chômage. L’Etat en France devrait abonder les fonds de l’allocation chômage. Evidemment pour cela, il faudrait mener une réforme de l’Etat et prendre de l’argent ailleurs. Et c’est là que la réforme du « millefeuille » est importante », entendre : la réforme territoriale.

 

Jean Pisani-Ferry

Expérimenter. A l’heure où la protection sociale représente un peu plus du tiers du PIB de la France, l’instauration d’un revenu de base monte dans le débat politique et économique. Selon Jean Pisani-Ferry, le meilleur moyen d’explorer les champs du possible est de mener des expérimentations. Reste à en définir le cadre précis, ainsi que les objectifs. Lors d’une récente audition au sénat, l’économiste a identifié trois finalités possibles : répondre à une mutation du progrès technique, faire face à l’instabilité et à l’intermittence du revenu, réformer l’assistance sociale. Selon Jean Pisani-Ferry, « la première finalité est peut-être celle qui donne le plus d’actualité à la question dans le débat public. Nous allons vers un monde d’extrême inégalité dans la valorisation marchande du travail humain, et donc dans la distribution du revenu : le travail routinier ne vaudra plus rien, tandis que le travail complémentaire des machines et de l’intelligence artificielle vaudra beaucoup ». Selon l’économiste, « la distance entre la valorisation du travail par la sphère marchande, et ce que l’on estime souhaitable du point de vue collectif, celui de la justice sociale, va se creuser jusqu’à l’insoutenable ».

Instabilité et intermittence du revenu. « Il faut bien mesurer que le socle de notre protection sociale et de notre droit du travail est le modèle de l’emploi salarié stable à temps plein. Or, d’ores et déjà, la prédominance de cette forme d’emploi est mise en cause par la multiplication d’autres statuts », souligne Jean Pisani-Ferry. « Aujourd’hui, le CDI à temps plein ne représente plus que 60% des personnes travaillant dans la sphère marchande ; les autres sont des salariés à temps partiel, des salariés en CDD ou des apprentis et des non-salariés ». « Fondamentalement, notre système de protection sociale repose sur le modèle de l’emploi stable et à temps plein, dont la réalité s’éloigne de plus en plus ». « Notre système de protection sociale répond aux risques des différents types de population. Il répond bien aux risques du vieillissement, mais, aujourd’hui, il répond mal aux risques d’instabilité pour les jeunes », insiste l’ancien Commissaire général de France Stratégie.

Perspectives de réforme de la protection sociale. « Il me semble que la recherche de clarté, de portabilité, de décloisonnement et de lisibilité est très importante dans la phase actuelle. On fait semblant de croire que le mot solidarité nous unit encore, alors qu’il nous divise assez fréquemment. Les Français ne doutent pas de leur modèle social d’une manière générale, au moins pour la santé. C’est moins vrai pour les retraites notamment pour les plus jeunes. Mais ils sont très critiques à l’égard des mécanismes d’assistance », insiste Jean Pisani-Ferry. La couverture des risques concernant les jeunes est une vraie question aujourd’hui : le taux de pauvreté des plus de 60 ans est de 8% ; il est de 15% pour les 25-29 ans et de plus de 20% pour les 18-24 ans. Jean Pisani-Ferry souligne que certains risques, comme la vieillesse et la maladie, sont très bien couverts, alors que d’autres, notamment ceux liés à l’entrée dans la vie active et à l’instabilité des revenus, sont mal couverts. « La question est de savoir vers quoi on veut aller : une unification ou une simplification », conclut l’économiste.

A lire également : http://www.senat.fr/rap/r16-035/r16-03531.html

 

Alain Trannoy

« Pas de revenu universel sans réforme fiscale »

Parachever l’édifice. Dans la première partie des années 70, le président Valéry Giscard d’Estaing créait le minimum vieillesse. Vint, en 1988, le RMI sous Michel Rocard, puis plus récemment, le RSA et la Prime pour l’emploi, tous deux fusionnés pour ne faire qu’un. « C’est bien, mais le travail n’est pas fini », estime Alain Trannoy. Selon l’économiste, « Le scandale aujourd’hui réside moins dans les montants proposés (…) que dans l’invraisemblable usine à gaz bureaucratique qui génère des abus d’un côté, exclut les plus faibles de l’autre et infantilise tout le monde ». « Se nourrir, se loger, se soigner forment trois besoins fondamentaux auxquels la communauté nationale se doit d’apporter des solutions. Le rapport Sirugue (NDLR : remis au printemps 2016 au Premier ministre) ne traite que le premier sujet, où, il est vrai, notre appareillage complexe de dix minima sociaux est défaillant », souligne Alain Trannoy.

Des avancées. Le rapport Sirugue proposait plusieurs pistes dont une prévoyant une couverture sociale commune pouvant être complétée, selon les cas, de compléments de soutien – personnes âgées ou handicapées – ou d’insertion, dans une logique de droits et de devoirs. Alain Trannoy salue un « certain nombre d’avancées ». « Le montant (de la dernière proposition) est individualisé… la présence d’enfants n’intervient plus dans le calcul de la prestation, les allocations familiales conditionnelles devant être ajustées en conséquence. L’incompréhensible forfait logement du RSA est supprimé, les aides au logement étant alors allouées en fonction des besoins du ménage. L’accès est accordé dès 18 ou 21 ans, mesure de justice et d’égalité pour tous les citoyens majeurs ». Selon l’économiste, « le problème de cette couverture sociale commune est que le montant des prestations diminue de un euro à chaque euro gagné, n’incitant pas à la reprise d’activité ». Cette question de l’incitation avait motivé le remplacement du RMI par le RSA en 2008.

Aller plus loin. Alain Trannoy appelle à compléter les avancées proposées par la dernière partie du rapport Sirugue. « La couverture socle commune prendrait la forme d’un crédit d’impôt individuel universel. L’impôt sur le revenu des personnes physiques deviendrait un impôt négatif, à la fois socle de droits inconditionnels et dispositif dégressif à proportion des revenus », insiste l’économiste, soulignant que la Finlande réfléchit aujourd’hui à un tel projet. Alain Trannoy estime urgent de  « parvenir enfin à un système de protection et de redistribution qui ne serait plus social, mais fiscal », ce qui permettrait, selon lui, d’enlever tout sens au débat sur l’assistanat.

 

Claire Waysand 

« Le revenu doit-il être vraiment universel ? »

Utopie ou réalité ? Des économistes aux candidats à l’élection présidentielle, le débat fait rage autour du concept de revenu universel. Selon Claire Waysand, quelles que soient les sensibilités, « on peut se mettre d’accord sur plusieurs points fondamentaux. Il faut un minimum décent pour vivre, pour tous, dans la société. La deuxième chose sur laquelle on peut être d’accord est qu’il faut éviter toute stigmatisation, toute complexité excessive, pour percevoir telle ou telle prestation. Une fois que l’on s’est mis d’accord sur ces deux points, une question me paraît légitime : est-ce que ce revenu doit-être vraiment universel. Et s’il l’est, a-t-on les moyens de le financer ? ».

Cartes sur table. Avant même d’envisager les pistes possibles, Claire Waysand insiste sur la nécessité de clarifier le débat. Les personnes qui bénéficient actuellement des minimas sociaux toucheront-elles moins avec un revenu universel ? « Si la réponse est non, cela veut dire forcément qu’il va falloir dégager plus d’argent car les actuels bénéficiaires vont continuer à recevoir les aides, et d’autres personnes, qui n’en n’ont pas besoin, vont toucher ce revenu universel », souligne l’économiste. La deuxième question concerne les dépenses sociales élevées en France. Ces dépenses « sont très diverses, dont certaines, comme les dépenses maladies, que l’on ne peut imaginer supprimer. Les dépenses maladies sont une autre forme de solidarité dépendant de la santé de chacun ». « Va-t-on supprimer les dépenses liées aux retraites ? Impossible. Je ne vois donc pas dans les dépenses sociales comment, de manière suffisante, on dégage les sommes nécessaires », insiste Claire Waysand.

Nerf de la guerre contre la précarité. Selon le rapport publié au printemps 2016 par le député socialiste de Saône et Loire Christophe Sirugue, l’ensemble des prestations qui vont au minima sociaux aujourd’hui représentent 8 points de PIB, soit moins de 200 milliards d’euros. Pour Claire Waysand, « c’est très loin des sommes nécessaires pour financer un revenu universel. Si on fait un calcul de coin de table : 500 euros par mois représentent 6000 euros par an. Il y a, grosso modo, 50 millions de français majeurs. Il faudrait donc trouver 300 milliards d’euros ».

Une idée alternative trouve grâce aux yeux de l’économiste : celle de Terra Nova. Le think-tank propose « ce qu’il appelle un Minimum descend unique… un minimum unique versé sous conditions de ressources. Dans tous les cas, le système doit être simple et non stigmatisant. Il doit permettre d’avoir le même résultat en termes de décence de niveau de vie pour chacun, à un coût beaucoup plus faible », conclut Claire Waysand. L’ouvrage n’a pas fini d’être remis sur le métier.

 

Pour compléter la réflexion :

France Inter le 11/01

Les Echos le 20/04/16

Les Echos le 15/03

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