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Il sera difficile de revenir sur le libre-échange

2039603_il-sera-difficile-de-revenir-sur-le-libre-echange-web-tete-0211452785328L’histoire a été marquée par une alternance de globalisation et de démondialisation. Malgré la violence de la crise  mondiale, aucune explosion protectionniste n’a eu lieu.

Les prises de position pendant la campagne présidentielle américaine à propos du Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP, l’accord transatlantique en négociation) et surtout du Trans-Pacific Partnership (TPP, accord entre les Etats-Unis et 11 pays, dont le Japon), ou de façon encore plus éclatante la signature laborieuse dimanche de l’accord UE-Canada (Ceta – Comprehensive Economic and Trade Agreement) suggèrent que la machine politique du libre-échange s’est cette fois durablement enrayée. Or il s’agit ici de vastes accords commerciaux abordant des sujets très divers, notamment réglementaires, de « mega deals » censés relayer le moteur multilatéral du libre-échange – les « rounds » de l’OMC.

Résistance et prise de conscience

Le blocage, qui est apparu sur le Ceta est dû à de bonnes et mauvaises raisons. Le contexte politique est un premier sujet, et il est assez piquant que la Commission européenne, depuis Bruxelles, n’ait pas intégré dans son calendrier les conséquences de la radicalisation wallonne. Le type de sujets sur lesquels un accord est recherché est une question plus profonde : il s’agit bien sûr de droits de douane (agriculture, automobile…) ou d’accès aux marchés publics, mais aussi et surtout de « protection derrière la frontière « , c’est-à-dire de divergence réglementaire ou normative, de résolution des conflits entre Etats et firmes multinationales, enfin de propriété intellectuelle ou d’appellations géographiques (respectivement durée des brevets et listes d’appellations protégées).

Dans ce contexte, à la résistance naturelle des producteurs se voyant menacés par la baisse des droits de douane, s’ajoute une prise de conscience par la société civile que cette fois la mondialisation est à la porte, et peut heurter un certain nombre de préférences collectives. Le Ceta aurait pu être une victime collatérale de cette prise de conscience, alors même que le contenu du projet d’accord est équilibré sur beaucoup de points et reprend, concernant les modalités d’arbitrage Etats-firmes, une proposition européenne assurant la permanence des juges et une possibilité d’appel, a contrario des procédures d’arbitrage privé. Au final, le design de cet accord est une sorte de modèle de ce que la Commission européenne voudrait généraliser.

Retours en arrière difficiles

Ces blocages, qui s’inscrivent dans un contexte de ralentissement du commerce mondial, accréditent l’idée d’un balbutiement de déglobalisation. Alors le libre-échange est-il en danger ? Intrinsèquement, oui. Le libre-échange est une construction politique et comme tel n’a aucun caractère irréversible. Chacun sait que l’histoire a été marquée par une alternance de globalisation (ce que les historiens appellent le « grand XIXe siècle ») et de démondialisation (de la Première à la Seconde Guerre mondiale).

C’est bien parce que le libre-échange est intrinsèquement en danger que les Etats se sont dotés d’accords (le Gatt), d’institutions (l’OMC), de pare-feu (le Mécanisme de règlement des différends) et de soupapes (l’antidumping) limitant les dérapages. Rien de tout cela ne protège pourtant de l’occurrence de retours en arrière potentiellement ruineux pour les pays concernés – occurrence qui n’est pas exclue en raison de l’incurie des politiques économiques internes ne permettant plus aux perdants du libre-échange d’être compensés par les gagnants.

En pratique, pourtant, le libre-échange a débouché sur une structuration de l’économie mondiale rendant les retours en arrière difficiles. En dépit de la violence de la crise mondiale, aucune explosion du protectionnisme n’a été enregistrée. Beaucoup de sable a été jeté dans les rouages par une multitude de pays et de microdécisions (cf. le décompte impressionnant de Global Trade Alert ), mais de façon suffisamment diffuse pour ne pas être la cause principale du freinage du commerce mondial : la conjoncture économique mondiale en explique les trois quarts, selon le Fonds monétaire international. Les groupes de pression ne sont pas tous protectionnistes, et les entreprises ayant organisé leurs chaînes de valeur au niveau global restent les meilleurs avocats du libre-échange.

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