" Osons un débat éclairé "

Sortir d’un soutien conjoncturel interminable

Quelle politique budgétaire faut-il adopter en temps de crise pour éviter une récession ? Jean-Paul Pollin souligne qu’historiquement, un État n’a pas de seuil d’endettement à ne pas dépasser pour rester solvable. Selon lui, il est urgent d’investir dans certain secteurs et d’adopter des politiques structurelles pour redresser notre économie à long terme.

Dans nombre de pays avancés, les crises des quinze dernières années ont été gérées par une utilisation immodérée des dépenses publiques, accompagnée par des politiques monétaires très accommodantes associant de faibles taux d’intérêt à des achats de dettes massifs. En France cela s’est traduit par des déficits budgétaires de 5,2% du PIB en moyenne sur la période (avec un pic de 9% en 2020), et par une augmentation de 50% du taux d’endettement public. Cette fuite dans l’endettement a pu sembler extravagante, mais elle a manifestement permis, par deux fois, de limiter la contraction des capacités de production et de la demande globale. Au demeurant, les expériences historiques aussi bien que les comparaisons internationales montrent qu’il n’existe pas de seuil d’endettement au-delà duquel la solvabilité et les performances de l’économie se trouveraient en danger.

Les marges de manœuvre rétrécissent

Il n’empêche que l’on en est arrivé aujourd’hui à une situation dans laquelle les marges de manœuvre des politiques de régulation conjoncturelle vont progressivement s’épuiser. Car, contrairement à ce qui avait été anticipé, l’inflation est de retour et les banques centrales, après avoir expliqué qu’il s’agissait d’un mouvement temporaire, sont maintenant contraintes à reconnaitre leur erreur et à remonter leurs taux. Après avoir accepté la dominance budgétaire, elles se doivent de sauvegarder leur crédibilité et de respecter leur mandat. Ce qui va alourdir les charges de la dette et compliquer la stabilisation du taux d’endettement.

Les investissements publics ne peuvent plus être repoussés

Or, cette restriction des capacités de régulation intervient au moment où les économies, tout spécialement en Europe, se trouvent ébranlées par le nouveau choc de la guerre en Ukraine. Sans compter que l’on ne pourra pas continuer à repousser très longtemps les investissements publics dont la pandémie a souligné la nécessité (santé, éducation, recherche), ni ceux dont l’urgence se fait plus pressante (transition écologique).

Changer de cap, en décidant d’en revenir à une gestion plus rigoureuse des finances publiques, ne ferait qu’aggraver la stagflation qui s’installe. De sorte que la seule solution qui semble aujourd’hui viable consiste à profiter de la capacité d’endettement encore disponible, du fait notamment de la longue durée des dettes (8 ans en moyenne), pour investir afin de positionner les économies sur le sentier d’une croissance plus soutenue et plus durable. Ce qui porterait aussi le taux d’endettement sur une trajectoire soutenable.

La mise en place de politique structurelle est nécessaire

En d’autres termes, la réponse aux déséquilibres qui persistent ne relève plus du seul usage des politiques conjoncturelles. Elle requiert la mise en place d’une politique structurelle combinant une meilleure mobilisation et formation de la population active, des investissements couvrants, entre autres, la rénovation des services publics, et une meilleure allocation de l’épargne. On trouvera cette idée développée dans la note du Cercle des économistes intitulée « Quoiqu’il en coûte » … jusqu’à quand ?

 


 

Jean Paul Pollin est membre du Cercle des économistes et professeur émérite à l’Université d’Orléans

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