" Osons un débat éclairé "

Taxation des GAFA : vérité au-delà de la Manche, erreur en deçà ?

Vendredi 30 novembre, plusieurs pays de l’Union européenne ont rejeté une nouvelle proposition de compromis sur la création d’une taxe européenne visant les multinationales du numérique. Une nouvelle réunion est prévue mardi 4 décembre. Alain Trannoy recense les obstacles encore nombreux sur la route d’un accord concret.

Si, sur le Brexit, 27 pays membres de l’Union européenne ont fait bloc face au Royaume-Uni, il n’en n’est pas de même sur la question de l’imposition de ce qu’il est convenu d’appeler les GAFA, les grands groupes internet tels Google, Apple, Facebook et Amazon. La cacophonie prévaut pour l’instant. La réunion du mardi 4 décembre entre les ministres européens des Finances est cruciale à cet égard pour essayer de trouver un terrain d’entente.

Selon la Commission européenne, le taux d’imposition effectif sur le bénéfice des géants du numérique dans l’UE est en moyenne de 9%, contre plus de 23% pour les entreprises traditionnelles. Les GAFA profitent des ouvertures dans les pays à fiscalité accommodante, Luxembourg et Irlande en particulier, et des règles concernant la taxation des recettes de la propriété intellectuelle.

La situation actuelle est problématique à plus d’un titre. A rebours, les arguments pointent plutôt pour une surimposition qu’une sous-imposition. Les petites entreprises font face à des obstacles, par exemple, dans l’accès au marché des capitaux, ce qui légitime un taux d’IS plus faible. Les GAFA apparaissent aujourd’hui comme des monopoles naturels au niveau mondial, bénéficiant d’effets de réseau qui rend toute contestation de leur pouvoir de marché difficile. Cela justifierait une taxation de la rente de monopole dont ils bénéficient. Enfin, alors que l’Europe est à la traîne dans la mise en place de plateformes numériques desservant un marché mondial, cet avantage fiscal au profit de concurrents non-européens est tout simplement une distorsion de concurrence.

L’OCDE est consciente du problème. L’Organisation de coopération et de développement économiques est parvenue à ce que la question des dilemmes posés par la digitalisation de l’économie pour la taxation des bénéfices soit au menu d’un groupe de travail sous son égide : 113 pays travaillent ensemble, Chine, Europe et Etats-Unis compris. Le terme des discussions pour finaliser un accord international sur ce sujet, qui dépasse la seule question de la fiscalité des géants du numérique, est fixé à fin 2020.

Une taxe d’ici 2020 au Royaume-Uni

Le consensus existe maintenant en Europe pour attendre le résultat des discussions à l’OCDE. La question porte maintenant sur le fait de savoir si l’Europe annonce d’ores et déjà ce qu’elle fera en cas de désaccord à l’OCDE. Le projet de directive sur la table de la Commission est qu’en cas d’échec, les géants du numérique au-delà de 750 millions d’€ de chiffre d’affaires soient taxés à hauteur de 3% de leur activité. La France et l’Espagne, poussent à l’adoption, tandis que l’Irlande, le Danemark et la Suède – que l’on ne s’attendrait pas à trouver de ce côté-là – sont contre. L’Allemagne, prudente comme à son habitude, freine.

Paradoxe des paradoxes, au cours de la négociation sur le Brexit, les pays continentaux ont bataillé pour éviter que le Royaume-Uni puisse avoir recours au dumping fiscal et réglementaire, et concurrence ainsi l’Union européenne tout en continuant à bénéficier de l’accès au marché unique. Or, Londres annonce l’instauration d’ici à 2020 d’une taxe sur le chiffre d’affaires réalisé au Royaume-Uni par les plateformes numériques qui réalisent un chiffre d’affaires global d’au moins 500 millions de livres. Les entreprises bénéficiaires seront taxées à hauteur de 2% sur le chiffre d’affaires généré par les utilisateurs britanniques. Cette taxe est censée engendrer 400 millions de livres de recettes supplémentaires pour le Trésor britannique, soit pratiquement le coût de la facture des mesures censées calmer en vain la colère des gilets jaunes en France !

Faudra-t-il que le Royaume-Uni se décide à réintégrer l’Union européenne pour que la sagesse l’emporte ? Si nos pragmatiques voisins s’autorisent à taxer à 2% le chiffre d’affaires des GAFA, multinationales Internet américaines, le risque économique et politique ne doit pas être aussi élevé que cela.

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