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Taxonomie verte ou prix du carbone ?

Les récentes règles européennes destinées à identifier et classifier les activités économiques en fonction de leur empreinte écologique – la taxonomie – sont-elles adaptées à l’urgence climatique ? Pour Philippe Trainar, l’Europe ne doit pas négliger la stratégie de fixer un prix au carbone.


Dans le cadre du pacte vert pour l’Europe, l’Union européenne s’est aussi donné pour objectif de pouvoir identifier et favoriser les investissements et les activités soutenables qui lui permettront d’atteindre la neutralité climatique d’ici 2050. Prévue par un règlement du 18 juin 2020, la taxonomie européenne est au cœur de cette démarche. Elle vise à établir une classification objective et consensuelle des activités économiques en fonction de leur « durabilité ». 90 activités économiques, représentant plus de 93 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne, sont ainsi évaluées et classées selon qu’elles sont considérées comme à bas-carbone, ou qu’elles contribuent à la transition écologique en dépit d’obstacles rémanents (ex. : rénovation de bâtiments), ou encore qu’elles réduisent les émissions d’autres activités (ex. : fabrication d’éoliennes). L’acte délégué complémentaire que la Commission Européenne vient d’adopter accorde le statut d’énergie durable au nucléaire et au gaz, dans cette taxonomie.

La « zone grise » de la taxonomie

La taxonomie européenne est aussi censée servir au « reporting » des entreprises sur la durabilité de leurs activités. Les grandes entreprises de plus 500 salariés et les institutions financières doivent publier dès cette année la part de leurs activités et de leurs investissements éligibles à la taxonomie. A partir de 2023, les grandes entreprises devront également publier l’alignement de leurs activités à la taxonomie. A partir de 2024, cette obligation sera étendue aux entreprises de plus 250 salariés et à toutes les entreprises cotées, à l’exception des micro-entreprises.

Le principe d’une taxonomie de cette nature pose cependant un problème redoutable qui a été négligé. Si la classification des activités et investissements les plus polluants ne pose pas trop de problème, il n’en va pas de même pour les activités et investissements qui se situent dans la « zone grise ». Or, cette zone grise, qui est d’autant plus vaste que les critères de la taxonomie sont nombreux et divergents, va concentrer autour d’elle le combat de lobbies extrêmement puissants, idéologiquement ou économiquement. Autant dire que la taxonomie est le résultat tout autant de considérations scientifiques que du déchainement de ces lobbies et que cela ne devrait pas s’arranger avec le temps. Le nucléaire, qui a notamment vu s’opposer les idéologues anti-nucléaires à l’industrie du nucléaire, en fournit une bonne illustration, tout comme le gaz.

Comment fixer le prix du carbone

Cela veut-il dire qu’il n’y a pas d’alternative ? Non, il existe bien une alternative qui permet de sélectionner avec rigueur les activités et investissements durables sans déchainer le lobbying. Cette alternative consiste en la fixation d’un prix du carbone (CO2) compatible avec l’ambition d’atteindre, d’ici 2050, la neutralité carbone. En faisant payer aussi cher que nécessaire les externalités négatives que constituent les émissions de CO2, la fixation d’un prix du carbone permet de mener une analyse économique et financière rigoureuse sur la capacité à préserver la rentabilité d’une activité, d’une entreprise ou d’un investissement dans un environnement économique cohérent avec l’objectif de neutralité carbone. Elle permet aussi de donner les bonnes incitations à réduire les émissions de CO2, à tous les niveaux du processus de production et dans tous les secteurs, sans avoir à se livrer aux inventaires fastidieux d’une taxonomie finalement contrôlée par les lobbies.

Par définition, seules les activités, entreprises et investissements qui restent rentables à ce niveau du prix du carbone devraient se retrouver dans la taxonomie. En privilégiant une approche par la taxonomie par rapport à une approche par le prix du carbone on a simplement donné aux lobbies l’opportunité d’obtenir des entorses substantielles à ce principe. Par-delà la taxonomie de la Commission européenne, il est donc impératif, dans une perspective de plus long terme, de remettre la fixation du prix du carbone au cœur de la stratégie européenne.

 


 

Philippe Trainar est membre du Cercle des économistes et professeur titulaire de la chaire Assurance du Cnam

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