" Osons un débat éclairé "

Trump contre Fed : pourquoi, comment, jusqu’où ?

Piqué au vif par la récente lourde chute de Wall Street, Donald Trump a jugé que la Fed était « trop agressive » et faisait « une grosse erreur » en remontant les taux d’intérêt. A l’aune de la conjoncture économique américaine, Jean-Paul Betbeze explique pourquoi la Fed peut représenter une menace pour le président des Etats-Unis.

Trump contre Fed : « loco », « out of control », « trop stricte », la tension s’accroît de plus en plus entre Donald Trump et la Fed. Elle touche surtout Jerome Powell (patron de la Banque centrale américaine) qui monte encore ses taux, même si Donald Trump lui a dit qu’il n’aimait pas. Pire, il annonce qu’il va continuer, ce qui énerve le Président.

Pourquoi ? « Normalement », cette tension n’aurait pas lieu d’être aux États-Unis. La Fed est autonome : Jerome Powell est proposé par le Président, puis nommé après audition par le Sénat. Sénat qui lui demande d’être indépendant du politique, autrement dit du Président, même si les politiques du Sénat n’aiment pas toujours qu’il soit indépendant d’eux, eux qui le nomment ! Mais c’est la vie. Et c’est surtout ce que veulent les marchés financiers, autrement dit les gestionnaires des crédits et plus encore de l’épargne et des fonds de pension. Ils veulent de la croissance et surtout être protégés de l’inflation par quelqu’un qui les prévient de ce qu’il va faire.

Mais cette machine se dérègle parce que Donald Trump veut toujours plus de croissance, pourtant à 4,2% actuellement en rythme annuel, vers 3% en moyenne, alors que la situation américaine est magique. Magique, car la croissance est alimentée par la consommation, avec de plus en plus de salariés, un taux de chômage à 3,7%, soit environ 6 millions de personnes, alors qu’il y a 7,1 millions d’offres d’emploi, sans vraie hausse des salaires et des prix ! Magique car jamais la croissance n’a été aussi forte pour un chômage aussi faible, avec des salaires et des prix aussi calmes !

Powell se dit alors que ceci ne durera pas et qu’il faut monter graduellement les taux courts pour bien envoyer aux marchés le message que la Fed se soucie de l’inflation, et aux entrepreneurs celui de ne pas trop « lâcher » sur les salaires et de tenir les prix. Mais Trump ne voit pas venir l’inflation, en tout cas très au-dessus de 2%. Il se dit qu’il ne faut pas freiner la machine, alors qu’elle est en pleine lancée. Powell règle une économie qui fonctionne « à la macroéconomie classique » et Trump « à la finance », par la bourse et l’effet richesse. Pour Powell, c’est surtout le PIB qui fait le Dow Jones, pour Trump c’est plutôt l’inverse.

La hausse de trop ?

Comment ? Trump va parler plus fort pour faire douter Powell, en tout cas ses collègues, et « mieux » choisir les trois postes libres au Board de la Fed. Comme pour la Cour suprême ! Bien sûr, rien n’est gagné : les commentateurs et les marchés vont applaudir la résistance de Powell. Mais les marchés vont aussi devenir plus fébriles, les taux longs monter plus, la croissance faiblir.

Jusqu’où ? Si Donald Trump réussit à convaincre la Fed que le monde a changé et qu’elle risque de faire « la hausse de taux de trop », le miracle peut continuer. La Fed revoit ses prévisions, change un peu de logique, en rangeant sa courbe de Phillips (lien chômage inflation). La Bourse monte et se stabilise, avec même un atterrissage en douceur de l’économie (kiss landing) ! Mais si la Fed se bloque et, surtout, si l’inflation salariale se réveille, les taux longs américains remontent fortement, la Fed hausse ses taux courts, la récession arrive. Donald Trump rate sa réélection en 2020 et tout le monde comprend pourquoi il critiquait tant Powell : il était plus dangereux que les Démocrates ! Mais c’est trop tard. Powell est là jusqu’à fin janvier 2028, sauf si Donald le vire avant !

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