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Trump et l’arme à double tranchant du dollar

Les sanctions contre l’Iran décrétées par le président américain mettent en cause la souveraineté des détenteurs ou des utilisateurs de dollars. Cette mesure est de nature à ruiner la confiance accordée au billet vert.

S’il fallait apporter une nouvelle preuve des enjeux géopolitiques que recouvre l’usage du dollar au titre de monnaie internationale, Donald Trump vient de nous l’offrir avec sa brutalité coutumière. En décrétant l’illégalité pour les entreprises européennes des opérations commerciales ou financières nouées avec l’Iran, il a usé à nouveau de l’arme du dollar , par l’application dès le 4 novembre prochain de l’extraterritorialité du retour américain à l’embargo avec l’Iran. Mais à l’opposé du Make America Great Again du président américain, cette arme est à double tranchant et pourrait bien se retourner contre le dollar.

Le dollar, plus que toute autre monnaie, répond pleinement aux attributs d’une monnaie internationale. Son usage relève, non pas d’un accord international, mais des décisions des acteurs publics et privés étrangers qui expriment une demande de dollar.

Mais pour que cette demande de monnaie internationale soit satisfaite, encore faut-il qu’une offre y réponde. C’est le cas du côté des Etats-Unis depuis 70 ans. Cela présente de nombreux avantages, un  privilège exorbitant dit-on souvent, avec le financement quasi-illimité en sa propre devise des déficits budgétaires ou extérieurs ou la fixation des taux d’intérêt directeurs par la Fed sans prise en compte des contraintes externes… Pour toutes ces raisons, les Etats-Unis sont très attachés à la fonction internationale du dollar. Mais un autre facteur intervient dans cet attachement : le dollar est également un vecteur de puissance, adossé à leur position géopolitique. Il fait partie du hard power américain.

Une entorse à la confiance

Or, la récente décision du président Trump, s’ajoutant aux pressions protectionnistes, peut se révéler à double tranchant. En  décrétant unilatéralement un black-out financier sur tous les agents économiques, quelles que soient leur nationalité et leur localisation, et en y incluant la finance et donc les activités bancaires, la décision américaine rend pratiquement impossible tout commerce avec l’Iran, malgré les efforts européens de construire dans l’urgence un dispositif de contournement au moyen d’une structure ad hoc de compensation ou de troc avec l’Iran. Car les opérations internationales qui s’opèrent en dollar (conversions de devises, financements internationaux, acquisitions de titres) ont nécessairement une contrepartie sur des comptes bancaires localisés aux Etats-Unis, et sont donc susceptibles de sanctions, voire de blocages du côté des autorités américaines.

Mais il y a là une entorse radicale vis-à-vis de l’un des déterminants de la demande de monnaie internationale, en l’occurrence la confiance accordée au respect de la libre utilisation de ce dollar international (absence de discrimination entre résidents et non-résidents détenant ou utilisant des dollars, convertibilité et libre disposition des avoirs monétaires ou financiers en dollar…).

La décision du président Trump déroge à ce principe et met en cause la souveraineté des détenteurs ou des utilisateurs de dollars. C’est une mesure limitée aux relations avec l’Iran, mais de nature à ruiner la confiance accordée au billet vert. Or s’il est difficile, pour un Etat, de diversifier le parapluie militaire, les alliances ou les traités assurant sa sécurité grâce à la puissance américaine, il est aisé de diversifier de façon progressive et discrétionnaire ses réserves de change.

Pour les banques et les entreprises, il est coûteux, mais il n’est pas techniquement impossible de diversifier les monnaies de facturation, les devises de financement export et la gestion de leurs liquidités internationales vers l’euro pour une large part, également vers la livre sterling, le yen, le franc suisse, demain le renminbi. Si tel était le cas, au-delà des effets prévisibles à court terme (affaiblissement du dollar, forte hausse des taux d’intérêt à long terme américains, chute des cours boursiers, probabilité élevée de récession aux Etats-Unis, tensions accrues sur le plan géopolitique), on serait bien entré dans une défiance irréversible vis-à-vis du leadership américain en matière monétaire internationale. A l’opposé du Make America Great Again de Donald Trump.

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