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De l’utilité de l’OCDE en matière fiscale

imgresIl faudra écrire un jour l’histoire de la réussite de l’OCDE en matière de coopération économique internationale. Coup sur coup, la semaine dernière, ce n’est pas un rapport porté par l’OCDE qui a été entériné internationalement mais bien deux. Le premier porte sur la lutte contre l’évasion fiscale, l’érosion des bases d’imposition et le transfert des bénéfices. Il a recueilli l’agrément du G20 et des pays de l’OCDE et, du coup, ce sont une soixantaine de pays qui s’engagent à suivre des bonnes pratiques et des recommandations en matière d’impôt sur les sociétés. Le second rapport rédigé par l’OCDE et le think tank Climate Policy Initiative présente un état des lieux de la mobilisation financière des pays développés en faveur des pays en développement dans leur lutte contre le réchauffement climatique. Il a été salué par l’ensemble des participants d’une réunion ministérielle à Lima pour l’impartialité et la solidité du travail réalisé. Ainsi l’OCDE est-il en train de contribuer, peut-être d’une manière décisive, par la qualité de son expertise à la réussite de la COP21.

Il est de bon ton de proférer que la coopération internationale est à bout de souffle. C’est sans doute vrai en matière politique, comme l’indique par exemple la difficulté d’obtenir un accord sur la répartition des réfugiés du Moyen-Orient entre les pays européens, ou l’impossibilité de poser les bases d’un accord sur le règlement politique de la question syrienne. Une grande différence entre les négociations politiques et les négociations économiques provient du fait que les premières sont souvent vues comme des jeux à somme nulle. Dans le cas de la lutte contre l’optimisation et la fraude fiscale à l’impôt sur les sociétés, l’OCDE a chiffré le manque à gagner pour les pays partenaires dans une fourchette comprise entre 100 et 240 milliards de dollars. Le jeu entre les différents pays dans ce cas d’espèce est clairement un jeu à somme positive ! La conscience d’un gain commun à se partager est évidemment un puissant stimulant pour se mettre d’accord.

Toutefois, ce n’est pas suffisant, comme l’illustre l’impossibilité pour les pays de l’Union Européenne à se mettre d’accord sur des règles d’harmonisation en matière d’impôt sur les sociétés depuis des lustres. Le rôle joué par la crise économique et le fait que les Etats sortent de la crise très endettés a pesé de toute évidence. On ne saurait passer sous silence une différence importante entre l’OCDE et l’Union Européenne. Les Etats-Unis sont partie prenante de la première institution et clairement, sans leur ferme soutien, un tel accord n’aurait pu voir le jour. Une constante de l’action des Etats-Unis en matière de coopération internationale est de s’y engager résolument, une fois bien pesée que c’était dans leur intérêt de la promouvoir.

Deux raisons majeures expliquent cet engagement américain. D’une part, l’importance des sociétés multinationales américaines rend la perte de recette fiscale particulièrement sévère. Cet effet est renforcé par la prédominance des sociétés américaines dans le numérique avec les « GAFA » qui pratiquent avec une grande virtuosité les transferts de bénéfices vers les paradis fiscaux via les prix de transferts, les boîtes à brevet et divers autres procédés. Environ 18% des profits des sociétés américaines sont localisés dans les paradis fiscaux et la perte de recettes avoisine les 80 milliards de dollars pour le trésor américain. D’autre part, le produit de l’impôt sur les sociétés, en grande partie fédéral, ne représente que la moitié du budget de la défense. Quelque part, l’érosion de la base fiscale peut mettre en danger les fonctions régaliennes des Etats-Unis.

Cet accord aborde 15 pans de la fiscalité sur les entreprises multinationales. Il ne remet pas toutefois en cause deux des trois principes sur lesquels repose leur fiscalité depuis les années 1920. D’abord, l’impôt est censé être prélevé à la source – il doit être prélevé au bénéfice des pays où les profits ont été engendrés. Ensuite, pour calculer ces profits, le principe de pleine concurrence doit s’appliquer pour calculer la valeur des transactions transnationales entre les différentes filiales. L’accord, s’il encadre le calcul des prix de transfert, n’en supprime pas la nécessité. En revanche, il introduit une dose de multilatéralisme dans la révision des conventions fiscales bilatérales et, par là-même, il remet en cause le troisième principe qu’était le bilatéralisme. C’est à nos yeux, sans doute, la mesure dont la portée est la plus importante.

Se mettre d’accord sur des principes, c’est déjà bien, les appliquer c’est encore mieux. Leur pérennité ne pourra être jugée que sur la longue durée.

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