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Vers une nouvelle crise financière mondiale en 2018 ?

Les économistes ne savent pas prévoir les crises financières. Mais ils peuvent explorer les facteurs de risques potentiels

Lorsqu’ils ne sont pas « exubérants », les marchés financiers sont-ils rationnels ou irrationnels ? Ils ne semblent pas s’émouvoir outre mesure des vives tensions commerciales et diplomatiques qui agitent la planète. Mais pour combien de temps encore ? André Cartapanis porte son regard d’économiste sur la situation actuelle et explore les facteurs de risques potentiels.

Les économistes ne savent pas prévoir les crises financières. Ni leur forme concrète (crise de change, krach boursier, crise obligataire, crise de l’endettement souverain), ni le moment précis de leur déclenchement. D’un côté, elles répondent le plus souvent à des déséquilibres macroéconomiques qui avaient rendu insoutenables des taux de change stables, des cours boursiers qui n’étaient plus en phase avec la rentabilité des entreprises, des prix immobiliers déconnectés de la rareté relative de l’offre, des taux d’intérêt sur les obligations souveraines qui sous-estimaient le risque de défaut.

Mais d’un autre côté, parce qu’elles sont déclenchées par des révisions d’anticipations, les crises financières ne sont pas des phénomènes déterministes. Les esprits animaux, chers à Keynes, gouvernent également les marchés et peuvent, ou non, provoquer des ajustements brutaux des prix d’actifs. Le pire n’est jamais certain. Toutefois, en se référant à l’histoire des crises, les économistes savent identifier les situations à risque, et donc les configurations macroéconomiques et financières pour lesquelles la probabilité de crise devient très élevée. Or, en ce mois de mai 2018, nous nous trouvons dans une telle situation à risque.

C’est sans doute là un jugement qui peut paraître paradoxal. La croissance mondiale n’a jamais été aussi élevée depuis la crise de 2008-2009. L’inflation est maîtrisée, sans doute à l’excès. Les déséquilibres globaux de balances des paiements ont été fortement réduits. Mais, contrairement à certaines idées reçues, les crises financières ne se déclenchent quasiment jamais dans un contexte avéré de dégradation de la croissance. C’est au contraire au terme d’une période d’embellie, de forte croissance du PIB et de hausse injustifiée des prix d’actifs que les fragilités financières, suscitées de façon endogène jusqu’alors, se révèlent.

Les anticipations s’inversent sur les marchés financiers et les réallocations de portefeuilles provoquent des ajustements brutaux des cours boursiers, des titres obligataires ou des taux de change. La probabilité de crise est d’autant plus élevée que ladite croissance a été associée à une liquidité pléthorique et à des leviers d’endettement excessifs. L’histoire monétaire et financière, depuis 50 ans, enseigne également que la hausse des taux d’intérêt américains joue souvent un rôle clé à cause de la place du dollar dans l’endettement mondial.

Or, ce scénario ressemble beaucoup à la situation macroéconomique mondiale d’aujourd’hui. La croissance est au plus haut. Les niveaux d’endettement, publics et privés, rapportés au PIB, n’ont jamais été aussi élevés, plus encore qu’avant la crise de 2008-2009. La liquidité est particulièrement abondante et la forte profitabilité bancaire alimente la procyclicité du crédit et l’excès des prises de risques, ce qui explique la réapparition des bulles boursières ou immobilières : aux Etats-Unis, entre 2010 et 2018, les prix dans l’immobilier commercial ont augmenté de 100% et le prix des maisons a progressé de près de 50%.

Les taux longs américains suivent un trend ascendant et l’on prévoit des rendements obligataires de l’ordre de 3,5% fin 2018, en réponse au creusement du déficit budgétaire des Etats-Unis et à la normalisation de la politique monétaire de la FED. On doit y ajouter les tensions géopolitiques au Moyen-Orient ou avec l’Iran, la situation à risque en Argentine ou en Italie, la guerre commerciale provoquée par Donald Trump, la hausse du prix du pétrole, la volatilité sur les marchés boursiers ou obligataires… Jusqu’à quand les esprits animaux vont-ils résister à cette accumulation de facteurs de crise financière ?

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