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Agnès Bénassy-Quéré

Agnès Bénassy-Quéré

Au quatrième trimestre 2013, l’investissement s’est redressé en France, alors qu’il s’effritait depuis début 2012. Cette hausse récente est due en grande partie aux entreprises non financières, qui représentent plus de la moitié de l’investissement, et pour une autre au secteur public, qui en réalise environ 15%. Les ménages, qui pèsent 25%, ont continué de bouder la construction de logements. Pour 2014, les prévisions de l’Insee ne sont pas très optimistes en matière d’investissement, qu’il s’agisse des entreprises ou des ménages. Que peut-on attendre du secteur public ?

L’investissement public représente en France environ 3% du PIB, dont plus d’un tiers par les seules municipalités. Vous me voyez venir : à J-3 du deuxième tour, que peut-on attendre de nos futurs élus ?

Pour tenter de répondre à cette question, j’ai repris un article de 2002 de Danielle Besson, de l’Insee, qui a estimé l’impact du cycle électoral municipal sur l’investissement local. Il ressort que, toutes choses égales par ailleurs, l’investissement local est réduit de 2% en volume l’année de l’élection et de 3% l’année suivante. Il se redresse alors progressivement pour atteindre un pic l’année précédant le scrutin, l’investissement local étant alors 6% plus élevé que la normale : comme on le devine, les maires s’activent pour réaliser ou finir les chantiers avant de se re-présenter devant les électeurs. Ce cycle, qui a été théorisé par l’école dite de l’économie politique, n’est pas une bonne nouvelle à la veille du scrutin puisqu’il annonce une baisse de l’investissement public. On préfèrerait, en cette période de reprise poussive, que les communes rénovent leurs stades et complètent leurs collections de de ronds-points, quitte à s’abstenir plus tard, lorsque les entreprises auront pris le relais.

Keynes proposait de payer des chômeurs à creuser des trous puis à les reboucher. L’investissement local fait mieux en laissant derrière lui des équipements. Mais si l’on est keynésien, on voudrait que cet investissement soit programmé en fonction du cycle économique, non du cycle électoral. Il faudrait alors revenir sur le processus de décentralisation opéré depuis 1982. En Chine, pays ultra keynésien, les collectivités territoriales ont accumulé des projets d’investissement avant la crise, projets bloqués par le gouvernement central qui diagnostiquait alors une surchauffe de l’économie. Lorsque la crise est arrivée, le gouvernement central a débloqué les projets. Comme tout était prêt, il n’y a pas eu besoin de lancer de longues études de faisabilité, de consulter des ingénieurs, des géologues, géomètres et autres urbanistes. Quant aux appels d’offres, on n’est pas sur les standards européens. Bref, lorsque le gouvernement central a donné le feu vert, les bétonnières se sont immédiatement activées, ce qui a soutenu l’activité lorsqu’elle fléchissait. Rien de tel évidemment en Europe. On dit souvent que les économistes ont trop de pouvoir. Mais en matière d’investissement public, ils sont largement dominés par le politique.

Chronique diffusée sur France Culture le 27 mars 2014

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