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Le débat | Faut-il taxer superprofits et superdividendes ?

Pour combler une partie du déficit public, le gouvernement s’apprête à ouvrir la chasse aux rentes. Les contours de ces « rentes » ne sont pas encore définis précisément mais on peut penser aux superprofits réalisés par certains groupes et secteurs d’activité. Deux économistes débattent. Pour Philippe Trainar, taxer serait un non-sens économique ; pour Alain Trannoy, une taxe pragmatique s’impose.

 

Taxer superprofits et superdividendes est un non-sens économique – Philippe Trainar

La taxation des « riches », des « superprofits », des « superdividendes », des rachats d’actions est devenue le lieu commun de la vie politique française… servie à toutes les sauces, elle est révélatrice de la disparition de tout effort de réflexion sur la politique économique. Présentées souvent comme équivalentes économiquement, ces différentes mesures sont en fait économiquement très distinctes.

La richesse n’est pas particulièrement liée aux « superprofits », ni aux « superdividendes ». Les vrais riches sont des personnes physiques pas des personnes morales, or les personnes physiques n’ont perçu en 2022 que 19% des dividendes distribués en France, l’essentiel (66%) ayant été perçu par les entreprises auxquelles ces dividendes sont nécessaires pour financer leur activité.

Quant aux « superprofits », ils ne sont eux-mêmes guère liés aux « superdividendes » ou aux rachats d’actions dans la mesure où les «superprofits» sont en général attachés à des opportunités d’investissement et réinvestissement rentables qui n’incitent guère au versement de dividendes ou au rachat d’actions. De fait, la notion de « superprofit » est purement subjective. Ainsi, OXFAM, une confédération d’organisations caritatives, définit-elle de façon arbitraire la notion de « superprofit » par référence au montant moyen des profits au cours des quatre dernières années (ajusté d’un facteur de croissance). Cette définition est économiquement absurde dans la mesure où la volatilité du profit varie très fortement d’un secteur à l’autre, et que la surtaxation des « superprofits » au sens d’OXFAM conduirait de fait à surtaxer les secteurs plus risqués de l’économie, qui sont aussi les plus innovants, donnant ainsi un avantage compétitif aux entreprises peu ou pas innovantes.

En ce qui concerne la notion de « superdividendes », elle est largement trompeuse : les « superdividendes » interviennent en général non point quand l’entreprise fait des « superprofits » mais quand les opportunités d’investissement et de profit d’une entreprise se tarissent et qu’il est souhaitable de réallouer le capital vers d’autres entreprises plus prometteuses, pour cela il faut commencer par rendre le capital aux actionnaires. La taxation des « superdividendes » en dissuadant la réallocation du capital confère un avantage compétitif indu aux entreprises moins productives et sans avenir. La taxation des rachats d’action relève d’une analyse similaire.

Seule la surtaxation des profits de monopole aurait un sens économique… mais, dans les économies développées, notamment en Europe, le démantèlement des monopoles ne passe plus par la taxation mais par le contrôle de la concurrence. Les autorités de la concurrence cherchent ainsi à réduire les risques de monopole inhérents des GAFAM tout en ne portant pas préjudice à la diffusion des innovations dont ces entreprises sont porteuses. Point n’est besoin pour cela de recourir à la taxation.

Les mesures de surtaxation des « surprofits », des « superdividendes », des rachats d’action ou, plus trivialement, des « riches » ont toutefois ceci en commun qu’elles réduiraient l’investissement, du montant de la recette de la surtaxe (sachant que cette recette alimenterait probablement des dépenses de consommation finale) auquel il faudrait ajouter les conséquences de la désincitation à investir résultant de la baisse du rendement du capital induite par la surtaxe.

Dans le cas de la France, ceci serait doublement catastrophique. D’une part, parce que l’économie française souffre d’une pénurie chronique de capitaux nationaux, qui contraint l’investissement

national et qui le rend dangereusement dépendant des capitaux étrangers. D’autre part, parce que la France est l’économie développée où les inégalités sont les plus faibles, où elles ont en outre continué à se réduire au cours des dernières décennies et où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés, avec pour conséquence que la France est l’un des rares pays de l’OCDE où il n’y a pas d’urgence à réduire les inégalités et où la hausse des taux marginaux d’imposition ne permet plus d’augmenter les recettes fiscales (le fameux effet « Laffer »). Une mesure donc à écarter autant que possible.

 

De l’utilité d’une taxation, mesurée mais certaine – Alain Trannoy

Les mauvais résultats des finances publiques avec un déficit plus important que prévu pour 2023 (5,5% au lieu de 4,9%) amènent à questionner différentes pistes quant au relèvement des impôts. Sans surprise, les Français plébiscitent la taxation des plus riches et des superprofits. Un examen de la seconde piste réserve des possibilités d’action dans deux directions, la taxation des rachats d’action et celle des énergéticiens hors EDF.

Le point de départ est de se mettre d’accord sur une définition du surprofit. L’économiste nourri de l’analyse des marchés apprend que le surprofit est le profit au-delà du rendement du capital investi dans une activité risquée dans une économie de concurrence pure et parfaite.

L’entreprise en situation purement concurrentielle (elle ne peut pas répercuter une augmentation de coûts dans ses prix) n’existe plus que dans de rares secteurs de l’économie, en particulier, dans l’agriculture et cela constitue une raison des difficultés économiques de ce secteur.

Une majorité d’entreprises se trouvent dans une situation où le chef d’entreprise a des occasions de marger parce que le régime de concurrence est très imparfait avec des situations de monopole local. Un exemple super médiatisé est le cas du transport maritime où le taux de profit par rapport au chiffre d’affaires était de 40% pendant la pandémie. Mais cela peut concerner aussi le petit artisan dans le secteur du bâtiment dans une zone touristique. Le surprofit peut donc être généralisé, et cela rend toute régulation par une autorité concurrentielle potentiellement tentaculaire.

Malgré de nombreux exemples microéconomiques où il semble facile pour le chef d’entreprise de marger, le partage de la valeur ajoutée entre rémunération du travail et celle du capital au niveau macroéconomique, selon la comptabilité nationale en France, peut toujours être schématisé par une fonction de production macroéconomique où les facteurs seraient rémunérés à leur productivité marginale en situation de concurrence pure et parfaite. C’est un peu un paradoxe micro/macro. Globalement il n’y a pas de surprofit global fait par les entreprises opérant en France.

Il peut y avoir en revanche des surprofits dégagés par les multinationales françaises dans leur activité mondiale. La question est de savoir s’ils sont taxables en France, et la réponse dans le cas de la législation actuelle internationale est sans doute non, mais la situation peut évoluer comme l’illustre l’accord initié par OCDE sur la taxation des multinationales.

Toutefois, la question du rachat d’actions qui a atteint 30 Md€ pour les sociétés du CAC 40 interroge. La logique de versement de dividendes généreux et celle de la distribution d’actions gratuites aux salariés est compréhensible, mais une entreprise qui utilise ses profits pour faire monter son titre de Bourse dans la situation actuelle, où on a besoin que les entreprises investissent pour changer le modèle de croissance, n’est pas défendable d’un point de vue collectif. Je soutiens le même type de disposition que celle contenue dans l’Inflation Reduction Act votée par le Congrès américain à l’été 2022 qui a introduit une taxe sur les rachats d’actions (1 % de la valeur de l’opération).

Il reste un cas facile à traiter, celui où le surprofit est généré par l’activité réglementaire et fiscale de l’Etat. Selon un rapport de la Cour des Comptes, l’ensemble des énergéticiens aurait dégagé 30Md€ de profits exceptionnels. Il y là matière à une ponction de nature fiscale, sauf pour EDF puisque l’Etat en est l’unique actionnaire !

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