" Osons un débat éclairé "

Moduler l’assurance chômage peut la rendre plus juste et efficace

L’assurance chômage est un système efficace pour protéger les travailleurs en temps de crise. Mais elle n’a pas vocation à accumuler les déficits et doit être adaptée de façon à équilibrer ses finances en temps de croissance, en devenant contracyclique. Pour Stéphane Carcillo, la réforme de Pôle Emploi en France Travail doit être lancée sans attendre.

Comme constaté au pire de la crise du Covid, bien assurer contre le risque de chômage est indispensable pour protéger les individus et stabiliser l’économie, même si cela génère pour un temps des déficits massifs. Mais ces déficits doivent tôt ou tard être comblés. Lorsque la croissance repart, les dépenses d’indemnisation reculent et les recettes progressent, mais ce n’est pas toujours assez pour restaurer l’équilibre. C’est malheureusement la cas en France depuis une vingtaine d’années. Or, l’assurance chômage n’a pas vocation à accumuler indéfiniment de la dette.  Il est donc nécessaire par moments d’en ajuster les paramètres. Une stratégie à la fois juste et efficace consiste à conditionner le degré de protection au niveau du chômage. Quand le chômage est élevé et les chances de retrouver un emploi faibles, une indemnisation généreuse est plus que souhaitable. En revanche, quand l’économie crée beaucoup d’emplois une indemnisation limitée est de nature à favoriser une sortie plus rapide du chômage.

La « contracyclicité », clé d’un système équilibré

Beaucoup de pays ont mis en œuvre une tel « contracyclicité » de l’assurance chômage, mais souvent de manière exceptionnelle et temporaire durant les crises. Les débats sont alors houleux pour savoir où fixer la barre et quand mettre fin à ces mesures ad hoc. Deux pays ont trouvé la parade en modulant automatiquement la durée maximale d’indemnisation. Le Canada allonge la durée en fonction du taux de chômage régional observé au moment de l’inscription du demandeur d’emploi. Les États-Unis allongent cette durée pour les chômeurs qui arrivent en fin de droits dès que le chômage dépasse un certain seuil. Ainsi, les deux objectifs de l’assurance chômage – assurer une reprise d’emploi rapide tout en protégeant les revenus – sont assurés au cours du cycle économique, mais en insistant sur l’un ou l’autre des aspects lorsque le moment est le plus propice.

Un tel système ne peut fonctionner que si les chômeurs sont en mesure d’accélérer leur reprise d’emploi. C’est bien ce que suggèrent les études empiriques. Elles démontrent que diminuer d’un mois la durée maximale des allocations réduit en moyenne la durée effective du chômage de dix jours. Une étude récente a suivi 400 000 chômeurs indemnisé en France entre 2013 et 2017 selon qu’ils avaient droit à 6, 12, 18 ou 24 mois d’indemnisation. Tous, quelle que soit la durée de leurs droits, amplifient leur recherche et multiplient les candidatures dans les quelques mois qui précèdent la fin de l’indemnisation, ce qui provoque un bond dans la reprise d’emploi[1].  Ceux qui sont indemnisés le plus longtemps pourraient donc sortir un peu plus rapidement du chômage lorsque le marché du travail est tendu, comme actuellement.

La France déjà bien plus généreuse que ses voisins

Pour moduler l’assurance chômage, la France devra revoir certains paramètres de son régime. Difficile, en effet, d’utiliser comme pivot des règles plus adaptées aux situations de crise que de boom économique : même avec les pénuries d’emploi actuelles, un demandeur d’emploi ayant travaillé deux ans peut être indemnisé pendant deux ans. En Italie il faut avoir travaillé quatre ans pour bénéficier d’une telle protection; en Espagne huit ans; aux Pays-Bas une carrière complète. En Allemagne, comme ailleurs en Europe, une personne ayant travaillé deux ans bénéficie d’un an d’indemnisation en moyenne.

La réforme doit s’inspirer du modèle norvégien

Bien évidement la situation des demandeurs d’emploi est très hétérogène. Certains font face à des barrières réelles comme l’absence de solution de garde d’enfant, des difficultés de logement ou encore un manque de compétences. Ces personnes devraient être mieux accompagnées en coordonnant au niveau local les différents services publics tout en ciblant les aides sur le modèle norvégien. Il faut également progresser dans la formation des demandeurs d’emploi en simplifiant les parcours et les procédures. L’Allemagne consacre ainsi 50% de plus à la formation par chômeur, le Danemark deux fois plus. La création de France Travail devra être lancée sans attendre.

 


 

Stéphane Carcillo, Membre du cercle des Économistes

 

[1] Ionna Marinescu et Daphné Skandalis, “Unemployment Inusrance and Job Search Behavior”, The Quarterly Journal of Economics (2021), 887–931. doi:10.1093/qje/qjaa037.

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