" Osons un débat éclairé "

Est-ce la guerre des monnaies ?

Agnès Bénassy-Quéré

Agnès Bénassy-Quéré

À l’heure où des soldats français et africains risquent leur vie au Mali, il peut paraître abusif de parler de guerre pour un simple conflit monétaire. Mais l’expression « guerre monétaire » n’est pas de moi, elle est de Guido Mantega, le Ministre des finances du Brésil, qui reproche aux Etats-Unis leur politique monétaire ultra expansionniste. En prêtant à tout va pour presque rien, la Réserve fédérale encourage les investisseurs de tout poil à spéculer aux Etats-Unis comme à l’étranger, et en particulier au Brésil où les rendements sont meilleurs. Pour Mantega, pas de doute, la politique monétaire américaine vise à faire baisser le dollar pour soutenir les exportations et donc, la production et l’emploi aux Etats-Unis. Les Américains rétorquent que leur objectif est de soutenir l’activité par des taux d’intérêt nuls et une liquidité abondante et que s’ils ne sont pas contents, les autres pays n’ont qu’à faire pareil. Justement, la Banque du Japon vient de décider, sous la pression du nouveau premier ministre Shinzo Abe, d’assouplir fortement sa politique monétaire. Les autorités japonaises, elles, ne se cachent pas leur volonté d’affaiblir le yen qui a beaucoup monté depuis le début de la crise. Cette annonce a fait réagir l’homme le plus riche du monde – YI Gang, qui gère les réserves de change de la Chine soit la bagatelle de 3000 milliards de dollars, et qui en a appelé au G20 pour arrêter cette guerre monétaire naissante. Il faut dire que chaque fois que les monnaies qu’il a en portefeuille s’affaiblissent de 1% par rapport au yuan, le brave homme fait perdre 30 milliards de dollars à son pays. Il y a de quoi se faire du mouron.

Marc, tous les pays du monde ne peuvent pas simultanément affaiblir leur taux de change. Un pays au moins doit s’abstenir. Dans un système monétaire centré sur le dollar, on s’attend à ce que ce soient les Américains, et c’est bien ce qu’ils ont fait pendant des décennies avec leur politique de « douce insouciance » (benign neglect). Mais si les Américains se mettent à avoir une politique de change, rien ne va plus, en particulier chez nous : l’euro monte, alors que ce n’est pas la monnaie clé du système et que nous avons cruellement besoin d’un euro faible. Mantega, YI et Draghi, même combat !

Les Américains sont ainsi passés, au cours de la crise, du statut d’accusateurs à celui d’accusés. Accusateurs, ils l’étaient depuis des années, menaçant régulièrement la Chine de sanctions commerciales pour compenser la sous-évaluation du yuan. Mais la monnaie chinoise s’est appréciée ; surtout, les salaires chinois ont augmenté et la sous-évaluation n’est plus du tout aussi criante. Les Américains deviennent alors les accusés d’un système monétaire en panne d’ancrage. Cette situation nouvelle est probablement faite pour durer. L’Amérique ne domine plus l’économie mondiale comme elle l’a fait durant les Trente glorieuses et jusqu’aux années 1990. Le pays ne peut plus négliger son taux de change et devient un pays ordinaire. Dès lors, qui va rétablir la paix monétaire ? Le G20, c’est bien mais gros et lourd. Il faudrait constituer un sous-forum du G20 – un G4 ou un G5 – chargé de coordonner les politiques monétaires et leurs dérives spéculatives, mais aussi de faire émerger de nouvelles monnaies-clés. Marc, il nous faut non pas des casques bleus mais des casques d’or. On vous embarque ?

Le 7 février 2013

Retrouvez la Chronique d’Agnès Bénassy-Quéré tous les jeudis matin sur France Culture

 

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