" Osons un débat éclairé "

Ne pas craindre la fuite des dépôts

Agnès Bénassy-Quéré

Agnès Bénassy-Quéré

Le traitement de la crise chypriote ne laisse pas d’inquiéter les déposants de tous pays et c’est en tremblant que les banquiers chypriotes rouvriront leurs portes ce matin. Qu’en est-il exactement ? Commençons pas un cas simple : supposons, que vous déteniez 10 000 euros sur un compte courant en Espagne. Votre dépôt est-il en sécurité ? La réponse est oui : avec 10 000 euros, vous êtes en-dessous du seuil des 100 000 euros, donc couvert par l’assurance des dépôts. Cela signifie que si votre banque fait faillite, vous serez indemnisé par l’Etat espagnol, lequel n’est pas en faillite. Bien. Mais examinons maintenant deux variantes du problème. Variante n°1 : votre dépôt en Espagne n’est pas de 10 000 euros, mais de 110 000 euros. Dans ce cas, les 100 000 premiers euros sont assurés, mais pas les 10 000 suivants. En cas de difficulté de votre banque, vous risquez de ne pas recouvrer la totalité de la somme. Variante n°2 : vous avez un dépôt de 10 000 euros non pas en Espagne mais à Chypre. Vous êtes théoriquement assuré mais par un Etat lui-même en difficulté. De deux choses l’une. Soit Chypre reste dans la zone euro, et il y a de fortes chances que, in fine, votre dépôt soit garanti par les partenaires européens (c’est le projet d’union bancaire) ; soit Chypre jette l’éponge, quitte la zone euro et vous retrouverez votre dépôt dans une nouvelle monnaie, probablement plus faible. Ces deux variantes n’étant pas très rassurantes, on peut s’attendre dans les prochains jours à une fuite de certains dépôts hors des pays considérés comme fragiles. Question : ces flux ne vont-ils pas entraîner un effondrement du système bancaire dans les pays concernés, donnant raison a posteriori à ceux qui auront pris la fuite ? Eh bien c’est ici qu’il faut expliquer comment fonctionne une union monétaire. Supposons que des clients de la banque espagnole Bankia transfèrent leurs dépôts pour une valeur totale de 10 millions d’euros vers Deutsche Bank, en Allemagne. Que se passe-t-il en pratique ? (1) le compte de Bankia à Banco de España, la banque centrale d’Espagne, est débité de 10 millions d’euros ; (2) Banco de España transfère les 10 millions à la Bundesbank, son homologue en Allemagne ; (3) le compte de Deutsche Bank à la Bundesbank est crédité du même montant. Que se passe-t-il maintenant si Bankia n’a pas les 10 millions d’euros sur son compte auprès de Banco de España ? Eh bien, tant que Bankia est considérée comme solvable (elle est en cours de restructuration), la BCE va lui prêter le montant nécessaire au transfert, contre la mise en gage d’actifs pour un montant équivalent. Le prêt des déposants sera remplacé par un prêt de la BCE et cela ne mettra aucunement Bankia en faillite. Le même mécanisme s’appliquera à Bank of Cyprus lorsque les contrôles de capitaux auront été levés. La véritable question ici est moins économique que politique : une fuite des dépôts de l’Espagne ou de Chypre vers l’Allemagne engendre une créance de la Bundesbank sur Banco de España ou la Banque Nationale de Chypre. Tant que l’euro tient bon, il n’y a pas de problème ; mais en cas d’éclatement, cette créance sera perdue pour l’Allemagne, qui se trouve ainsi piégée. Cette crise est un redoutable stress test sur la vocation européenne de nos peuples.

Chronique diffusée sur France Culture le 28 février

 

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