" Osons un débat éclairé "

Résister aux chocs monétaires de la Fed

résister aux chocs monétaires de la FedLes turbulences financières qui touchent aujourd’hui les économies émergentes illustrent à nouveau combien la politique monétaire américaine, ne fût-elle qu’anticipée pour les mois à venir, peut créer d’importantes perturbations à l’échelle internationale. D’où l’exaspération toute récente de Raghuram Rajan, actuellement à la tête de la banque centrale indienne, face à la décision de diminuer les injections de liquidités liées au « quantitative easing » américain en ignorant totalement les conséquences induites sur la situation des pays émergents.

Car l’offre de crédits internationaux et la dynamique des mouvements de capitaux bancaires sont rythmées par les impulsions données à la politique monétaire américaine, bien plus que par les besoins de financement de chaque économie. Ils suscitent dans les pays émergents des booms du crédit, des bulles sur les marchés d’actifs, jusqu’à ce qu’une crise (bancaire, de change) vienne interrompre ce processus. C’est ce qui avait déjà été observé au moment de la crise asiatique, à la fin des années 1990. C’est le même scénario auquel on a assisté, à partir de 2010, en réponse aux politiques monétaires non conventionnelles menées aux Etats-Unis. Ces afflux de dollars ont provoqué une appréciation significative des taux de change nominaux et, compte tenu des tentatives menées par les banques centrales de limiter cette hausse, cela a suscité une accumulation de réserves de change en devises et une forte expansion de la liquidité, favorisant une nouvelle accélération de la dynamique du crédit et menaçant la stabilité financière au Brésil, en Indonésie, en Turquie… Jusqu’à l’inversion des flux et au retournement violent du cycle international du crédit. Telle est la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Comment réduire, dans l’avenir, ces sources externes de boom du crédit et comment répondre aux externalités internationales de la politique monétaire américaine ?

On peut d’abord évoquer l’hypothèse d’une internalisation de ces externalités parmi les déterminants de la politique menée par la Fed, en y intégrant des variables, non pas seulement propres aux Etats-Unis, mais relevant aussi de la situation de l’économie mondiale (écart entre croissance et croissance potentielle à l’échelle mondiale, écart de l’inflation mondiale vis-à-vis d’une cible, évolution de la liquidité mondiale vis-à-vis de son « trend »…). Ce serait la marque d’une globalisation de la politique monétaire américaine, l’inverse du « benign neglect » actuel ! Les difficultés techniques ne sont pas insurmontables. Mais cette hypothèse est évidemment dénuée de tout réalisme sur le plan politique.

C’est plutôt dans la protection dont chaque pays doit disposer face à des chocs de liquidité issus du reste du monde que se trouvent les solutions les plus réalistes – certaines, d’ailleurs, ont déjà été mises en oeuvre dans plusieurs pays émergents, surtout en Asie. Cela doit s’opérer au moyen d’une extension des politiques macroprudentielles aux sources externes de boom du crédit, en l’occurrence en durcissant Bâle III en ce qui concerne les crédits internationaux ou les activités transfrontières des banques les plus engagées dans l’intermédiation internationale. Sans modifier la politique des taux, il s’agirait de mobiliser ex ante divers ratios prudentiels pour mieux maîtriser la procyclicité internationale du crédit. Par exemple, dans le cadre d’une application discrétionnaire d’un volant contracyclique globalisé, en imposant aux banques créancières américaines ou européennes des provisionnements exceptionnels en capitaux propres, en présence d’un boom des crédits internationaux, afin de décourager ces derniers. Ou en durcissant l’application de certains ratios d’endettement (« loan-to-value ratio », « debt-to-income ratio ») lorsque celui-ci est accordé en devises ou à partir de crédits internationaux. Sans s’interdire de recourir aux contrôles directs sur les entrées de capitaux…

Il s’agirait donc de mieux maîtriser le cycle international du crédit afin de prévenir ex ante les tensions financières internationales du type de celles dont sont victimes aujourd’hui les émergents. Autrement dit, d’instaurer une gouvernance macroprudentielle globale, sous l’égide des banques centrales, qui réponde à ce bien public global qu’est la stabilité financière.

 

Les Thématiques