Dans le premier Cahier des Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence 2023, le Cercle des économistes a rassemblé les contributions de huit auteurs. Les grandes incertitudes qui planent sur le monde sont abordées d’une manière originale, croisant la science économique et les sciences humaines et sociales. Sur des thèmes clés, des analyses et propositions éclairent le débat actuel et permettent au lecteur de dissiper l’incertitude… ou d’apprendre à vivre avec.
Sommaire
- Construire un chemin d’espérance, par Axelle Lemaire
- Comprendre les algorithmes pour espérer de nouveau, par Aurélie Jean
- Industrie européenne : affronter les nouveaux défis de la décarbonation, par Patrice Geoffron
- Le commerce peut-il encore pacifier les relations internationales ?, par Sylvie Matelly
- Faire renaître l’espoir européen, par Steven Erlanger
- D’un paradoxe à l’autre : la nécessité de mieux articuler démocratie représentative, société civile organisée et démocratie participative, par Claire Thoury
- Danser pour le climat : La jeunesse bouge pour que tout change, par Juliette Quef
- Opération Jeunesses : Recréer l’espoir chez les 18-30 ans, par Jean-Hervé Lorenzi et Helen Verryser
Introduction par Jean-Hervé Lorenzi
Jamais le monde ne fut frappé de manière convergente par cinq exigences nouvelles liées à des chocs que notre monde a connus ou connaîtra. La plus évidente, c’est d’abord cette obligation que nous avons de lutter contre le changement climatique et de retrouver une trajectoire qui ne condamne pas une partie de l’humanité à des migrations non-souhaitées, à des ressources insuffisantes, en un mot à l’impossibilité de vivre. Il faut bien voir que cette exigence fait partie des contraintes endogènes, c’est-à-dire dont nous sommes responsables et sur lesquelles nous sommes dans l’obligation d’agir.
Mais nous sommes également touchés par des dérèglements exogènes. Le plus lourd est le vieillissement de la population mondiale. Pour être précis, il faut définir le terme comme étant l’accroissement de l’âge moyen de la population. On voit alors qu’il ne signifie pas la stagnation de la population mondiale, qui devrait atteindre 10 milliards d’habitants en 2050. La réalité du vieillissement est toute autre. Elle est liée à l’incroyable évolution de la médecine, des conditions de vie, à l’émergence d’une classe moyenne mondiale bien plus importante, qui ensemble permettent d’augmenter l’espérance de vie.
Ceci d’ailleurs ne se traduit pas mécaniquement par un accroissement de l’espérance de vie en bonne santé. Ce choc sera terrible tant au niveau des ressources qu’il faut lui allouer qu’au niveau des difficultés que nous aurons pour arriver à changer nos sociétés, à leur faire prendre des risques, car l’aversion à ceux-ci est évidemment liée à l’âge. L’impact sur le financement de l’innovation s’en ressentira. On peut imaginer que se posera un problème de ressources pour les investissements de lutte contre le changement climatique cumulés à ceux pour l’amélioration des conditions de vieillissement, qui devront être massifs, peut-être difficiles à financer. Les générations les plus âgées seront déterminantes dans ce choix, dans la mesure où ce sont elles qui votent le plus.
A côté de cela, l’autre facteur extérieur qui s’est imposé à nous est évidement la pandémie et ses conséquences. Chacun voit bien que les mouvements sur le marché du travail, les aspirations des jeunes générations ont été profondément modifiées et quatre exigences vont s’imposer désormais dans la volonté de choisir un métier : l’estime qu’on lui donne, les conditions de travail associées, les rémunérations obtenues et les perspectives qui peuvent s’offrir, liées évidemment à une formation tout au long de la vie.
Enfin, revenons à un choc dont nous sommes totalement responsables, poussés par nos folies. Les conflits, actuels et à venir, modifient fondamentalement les équilibres géostratégiques et les évolutions macroéconomiques associées. La meilleure façon de l’évoquer, de manière pacifique, est d’indiquer que des formes de démondialisation auront lieu, et que le paradigme du « village global » a vocation à être profondément remis en cause.
C’est ce mélange de chocs exogènes et endogènes qui rend l’avenir si imprévisible. Le mot « incertitude » sera à la base de toutes nos réflexions et c’est là tout l’intérêt de ce Cahier des Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence. Comme vous le savez, les Rencontres 2023 se sont voulues explicitement optimistes en choisissant l’intitulé « Recréer l’espoir ». Mais avant de se lancer dans cette ambition très risquée, il nous fallait commencer dès à présent à réfléchir au sujet et les huit textes rassemblés ici traitent de cet océan de difficultés à appréhender l’avenir. Ils sont surtout la base d’une réflexion très rigoureuse sur ce que nous savons et ce que nous ne savons pas, contrairement à ce qu’il nous arrive d’entendre ou de lire, car l’on nous donne parfois le sentiment d’être totalement capables de dessiner les contours du nouveau monde.
La publication de ces Cahiers a été rendue possible grâce au soutien de L’Hémicycle.