Les classes moyennes sont les grandes oubliées du débat public et elles se replieraient sur elles-mêmes. Pour Akiko Suwa-Eisenmann, membre du Cercle des économistes, il faut les remettre au cœur de l’action publique.
Le débat public dans les pays développés a mis l’accent sur les deux extrêmes de la distribution, les très riches et les très pauvres, au risque d’occulter les classes moyennes, avant que celles-ci ne reviennent spectaculairement sur le devant de la scène avec le mouvement des « gilets jaunes ».
Le diagnostic est multiple : les classes moyennes seraient victimes de la polarisation croissante de notre société, aussi bien dans la structure des emplois (principalement de qualification intermédiaire utilisant peu le numérique et qui seraient amenés à disparaître au profit des emplois très qualifiés d’une part, et des emplois manuels de proximité d’autre part) et paradoxalement, dans le système de redistribution sociale, ciblant les plus pauvres sans suffisamment taxer les ultra-riches. Ne devrait-on pas remettre les classes moyennes au cœur de l’action publique ?
Carrefour social et économique
Le concept même de classes moyennes est un paradoxe, qui juxtapose une notion économique (le revenu au point « moyen ») et une notion sociologique (les classes sociales). En termes de revenu, les classes moyennes sont définies par leur rapport au revenu médian (entre 2/3 et le double) soit entre 1.140 euros et 3.420 euros par mois. Elles rassemblent les deux tiers de la population française.
Le concept de classe implique un mode de vie et de rapport (y compris conflictuel) à la société ; il est souvent estimé à partir de la profession. Les classes moyennes comprennent alors les professions intermédiaires (techniciens, artisans et commerçants, cadres B de la fonction publique), certains cadres supérieurs (arrivés par promotion interne) et certains employés qualifiés. Selon cette définition, les classes moyennes représentent environ 40 % de la population, une part en augmentation depuis les années 1960, où ces professions étaient plus rares.
Ces deux définitions aboutissent à un même constat : la taille des classes moyennes est restée globalement stable depuis les années 1990, ainsi que leur position relative par rapport aux plus riches et aux plus pauvres, que ce soit en termes de salaire ou de chômage.
Un certain malaise
Cependant, la définition sociologique met en avant une caractéristique importante des classes moyennes : plus qu’un « point moyen », les classes moyennes sont un « carrefour » (pour reprendre la formule de D. Goux), où se croisent trajectoires familiales ascendantes et descendantes. En cela, les classes moyennes sont bien le cœur battant de la société.
L’ascenseur social serait-il en panne ? Il semble que non : selon l’Insee, plus de 40 % des personnes dans des professions intermédiaires en 2014-2015 estiment que leur profession est plus élevée que celle de leur père, contre 24 % qui estiment que leur statut a baissé. Certes, cette observation doit être nuancée en raison de la grande hétérogénéité des classes moyennes.
Comment comprendre alors le malaise actuel ? Peut-être faut-il revenir à la notion de « classe ». Une classe, c’est un mode de vie, un rapport aux moyens de production, des valeurs. C’est aussi, dans la vision de Max Weber, un statut, qu’il importe de préserver, fût-ce en excluant les autres. Les classes moyennes, longtemps hétérogènes et « carrefour » social, se replieraient sur elles-mêmes et se verraient de plus en plus comme une classe, prête à se battre pour préserver son statut. Face à ces constats, comment restaurer la confiance en un progrès social qui profite à tous ? Nous chercherons à y répondre aux prochaines Rencontres économiques d’Aix-en-Provence.