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#Aix en Seine – pour en sortir, l’impératif d’une nouvelle mondialisation ?

« RECONSTRUIRE UNE ÉCONOMIE FORTE, ÉCOLOGIQUE, SOUVERAINE ET SOLIDAIRE ». LORS DE SON ALLOCUTION TÉLÉVISÉE, DIMANCHE 14 JUIN, LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, EMMANUEL MACRON, A FIXÉ SA PRIORITÉ POUR SORTIR DE LA CRISE. SELON ANDRÉ CARTAPANIS, CETTE POLITIQUE DOIT S’INSCRIRE DANS LA PERSPECTIVE D’UNE NOUVELLE MONDIALISATION ASSUMÉE.

Avant-même le déclenchement de la pandémie et de la crise économique, la mondialisation suscitait déjà la critique, pour de nombreuses raisons : les inégalités de salaires et les tensions sur les classes moyennes, issues des délocalisations et des chaînes de valeurs mondiales ; l’instabilité financière adossée à la globalisation des marchés de capitaux ; les stratégies d’optimisation fiscale des multinationales, privant indûment les Etats de ressources considérables ; la marginalisation des Etats-Nations suscitant la mise en cause du multilatéralisme et des institutions internationales, surtout du côté américain.

Depuis l’après-guerre, et jusqu’aux années 2000, la globalisation s’était approfondie dans le cadre d’un régime international qui s’incarnait dans des règles, codifiées et surveillées par des institutions multilatérales, qu’il s’agisse de la concurrence sur les marchés mondiaux ou des modes d’ajustement des déséquilibres internationaux. Ce régime international n’existe plus. Bien avant le Covid-19, les logiques de puissance sont devenues dominantes, et non plus les principes d’efficacité économique qui prédominaient autrefois, certes de façon imparfaite, sur les marchés ou sur le plan macroéconomique. Moins pour défendre des intérêts économiques que pour affirmer une volonté de puissance ou pour préserver une position hégémonique ou périphérique.

En acceptant le principe de la concurrence à l’échelle de la production globale de biens matériels ou de services par le jeu du commerce international, on participe à un jeu à somme positive, dans la mesure où, certes à des degrés divers, chaque pays peut y gagner, même avec des gagnants et des perdants à l’intérieur de chaque économie. Chaque pays mobilise ses avantages comparatifs et accède à un niveau plus élevé de richesse, par le jeu de la spécialisation et de la croissance tirée par le commerce, et il bénéficie d’une stabilité accrue grâce à l’allocation internationale de l’épargne et du crédit, malgré les imperfections qui se manifestent de temps en temps sous la forme de crises financières.

En revanche, une logique de puissance s’apparente à un jeu à somme nulle, car la puissance s’exprime nécessairement au détriment des autres joueurs, des autres pays. Cela conduit à des inefficiences, à des affrontements, à des rétorsions, à des conflits commerciaux ou monétaires qui présentent évidemment des risques considérables pour la stabilité, non seulement économique mais aussi géopolitique. Car cette fuite en avant ne se résume pas à la défense légitime des intérêts nationaux. Il s’agit de mettre en œuvre des politiques économiques, non seulement au bénéfice des nationaux, non seulement de façon unilatérale, mais de le faire au détriment des intérêts étrangers et aux dépens de la coopération internationale.

L’argument central, à grands traits, est de considérer que les autres pays ne jouent pas le jeu et s’arrogent des avantages qui faussent la concurrence et confortent les imperfections des marchés au détriment de l’économie nationale. D’où la réponse donnée : protéger ou favoriser l’économie nationale aux dépens de ses partenaires, en réduisant le champ des actions collectives, le jeu de la coopération internationale et l’ouverture des marchés. C’est un jeu perdant-perdant, qui conduit au recul des échanges, aux rétorsions tarifaires, au recul de l’investissement et des économies d’échelle, et en définitive à la croissance nulle, au mieux.

Aujourd’hui, le commerce mondial s’est effondré (on s’attend à un recul de 30% en 2020), la famine menace nombre de pays du Sud, les capitaux fuient les émergents (environ 100 milliards de dollars les ont quittés depuis le début de la pandémie) et les politiques de sortie de crise visent les relocalisations, la protection, la sécurité… Mais la fin de l’hypermondialisation ne doit pas prendre la forme d’une démondialisation, synonyme de repli identitaire, en perdant de vue que du patriotisme économique au nationalisme, du protectionnisme au populisme et aux régimes politiques illibéraux, il n’y a qu’un pas.

L’Histoire le montre : au bout du chemin, il y a souvent la guerre. D’où l’urgence, dans cette reconstruction d’un nouveau monde, à l’esprit de tous, d’une nouvelle mondialisation, qui passe d’abord par l’adoption de nouveaux principes, de nouvelles règles du jeu, de nouvelles institutions.

Une nouvelle mondialisation suppose évidemment le retour des Etats, mais aussi une redéfinition des finalités et des instruments du jeu économique et politique international. Non plus l’affirmation de la puissance, mais la recherche de la coopération. Non plus seulement la maximisation des richesses créées et le respect des règles de la concurrence, qui ne doivent pas être abandonnés, mais en accordant à trois autres objectifs la même priorité : 1) le développement durable et la lutte contre le réchauffement climatique ; 2) la souveraineté et la sécurité sanitaire, au même titre que la défense nationale ; 3) l’équité fiscale et réglementaire.

Pour y parvenir, rechercher non plus l’ambition démesurée d’une gouvernance mondiale confiée à des institutions internationales disposant de délégations de compétences, ce que les Etats-Nations (et les peuples) n’accepteraient pas. Mais plutôt, sans excès de naïveté, mais avec ambition, en adoptant des dispositifs souples, à géométrie variable, à l’échelle régionale souvent, au plan global quand c’est possible, sous la forme d’incitations ou de règles à respecter a minima, plutôt que de normes impératives, et cela, sous l’égide incontournable de la coopération entre les Etats-Nations.

Paradoxalement, les conditions de gestion de la pandémie par les Etats nous offrent des pistes dignes d’intérêt. Les banques centrales ont répondu aux évènements extrêmes de la pandémie, aux défis sanitaires ou environnementaux, loin de leur mandat. Les Etats ont repris conscience de leur horizon infini en éludant la question de la soutenabilité budgétaire. La césure entre le politique et les marchés est devenue poreuse lorsque les autorités de la concurrence ont avalisé, y-compris en Europe, l’explosion des aides d’Etats. L’urgence les a forcés à s’affranchir des anciennes routines et à changer de logiciel.

Nous vivons un moment critique, permettant l’ébauche de changements institutionnels privilégiant de nouveaux principes d’action, visant de nouvelles finalités, soutenables et inclusives, en concevant de nouvelles formes de coopération entre les Etats, et entre les Etats et les marchés. Donc la gestation dans le monde d’après d’une nouvelle mondialisation ?

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