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Réintroduire le long terme dans les décisions politiques

Propos introductif de Claire Waysand, membre du Cercle des économistes

La tension entre le court terme et le long terme en politique est un sujet ancien. Les politiques publiques ont toujours été soumises à des facteurs tels que les cycles électoraux, ainsi qu’à des chocs plus imprévus et ce que nous avons vécu ces dernières années en France, en Europe et ailleurs, montre que nous en avons eu plus que notre part. Ce qui est nouveau depuis deux décennies, c’est le règne de l’information de brève échéance, de l’immédiateté et des réseaux sociaux. Les politiques publiques peuvent paraître ballotées entre des cycles très courts de nouvelles informations, pour le meilleur et pour le pire. J’en ai fait l’expérience lorsque j’étais en cabinet ministériel : des cycles très rapides se succèdent. Il faut vivre avec ce règne de l’immédiateté, alors que nous n’avons jamais eu autant besoin de long terme pour des politiques nationales telles que le redressement indispensable de l’école, la réduction des inégalités sociales, l’assainissement des finances publiques et bien sûr le grand défi de la transition écologique.

Nous n’avons pas seulement besoin de dresser des perspectives de long terme, comme le font régulièrement les responsables politiques. J’ai grandi par exemple dans les affaires européennes avec l’idée que l’Europe allait être l’économie la plus compétitive d’ici 2020. Il est finalement assez facile et utile de tracer de grandes perspectives. Mais ce dont nous avons besoin aujourd’hui, ce sont des actions permettant d’engager les transitions de manière sûre. Ces actions peuvent être difficiles, compte tenu de leur coût et parce qu’elles impliquent des renoncements. Pourtant, si nous n’engageons pas ces actions de court terme qui vont permettre d’atteindre les objectifs de long terme, au mieux, nous perdons du temps voire nous rendons certaines situations irréversibles. Par exemple, plus nous retardons la transition énergétique, plus la situation sera difficile et le climat se réchauffera. Parfois, nous nous retrouverons dans des situations irréversibles. Je pense à ce qui est en train de se passer concernant la biodiversité. Ne pas agir, c’est prendre des risques que l’action soit encore plus difficile demain, voire impossible. Nous avons donc besoin de l’action de court terme, même si elle est difficile, pour réussir à avancer dans la perspective du long terme.

Cette action ne peut pas se faire de manière brutale. Si les politiques ne réussissent pas à embarquer pour cette action, fût-elle difficile, les citoyens, l’action risquera d’être défaite par le gouvernement suivant et ne s’inscrira pas dans la durée. Et les tensions sociales qui existent, les émeutes nous l’ayant rappelé cette semaine, risqueront d’être exacerbées.

Nous avons donc besoin de nous inscrire dans le long terme, mais aussi de mener une action de court terme, même difficile, pour arriver à avancer sur des politiques cohérentes avec les perspectives de long terme et avancer de manière concrète, en embarquant les citoyens. La question de cette session n’est donc pas comment définir des lendemains qui chantent, mais comment les rendre possibles.

Synthèse

Trois Conférences des Parties (COP) ont été mises en place dans le monde pour traiter respectivement du changement climatique, de la perte de la biodiversité et de la désertification, qui sont liés, l’Organisation des Nations Unies (ONU) en assurant les secrétariats exécutifs, rappelle Alain-Richard Donwahi. La Côte d’Ivoire préside la dernière COP sur la désertification en s’assurant de l’application des résolutions par quelque 200 pays adhérents. Le projet de grande muraille verte s’étend sur 8 000 km entre le Sénégal, la Mauritanie et l’Éthiopie pour reverdir le désert et donner de l’espoir à ses habitants. La sécheresse devient un sujet mondial, qui touche les pays pauvres comme industrialisés. Seulement 20 % du projet, qui doit être achevé en 2030, a été réalisé en raison d’un manque de financements – publics pour la plupart, longs et compliqués à mettre en œuvre – et de préparation. Des sommes devraient être mobilisées rapidement dans d’autres domaines tels que la défense, compte tenu de l’enjeu de sécurité, alors que les catastrophes climatiques à venir seront plus graves que les guerres.

En France, marquée par la nostalgie de la politique forestière de Colbert, du plan ferroviaire du xixe siècle et du plan nucléaire du Général de Gaulle, l’absence de constats partagés et incontestables conduit à des actions désordonnées, constate Augustin de Romanet. Il cite par exemple l’incapacité du Conseil d’Orientation des Retraites à expliquer le constat dans le cadre de la réforme des retraites et des finances publiques, avec le rejet de la proposition de création d’un système permettant de vérifier le respect des projets. En revanche, le travail de projection réalisé par le Réseau de Transport de l’Électricité (RTE) en 2021 a permis un débat apaisé sur les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire, suivi d’une action. En outre, le constat du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) selon lequel des efforts sont à faire en termes de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à horizon de 2050 a permis de reconnaître que la décarbonation doit aussi passer par la réduction des voyages. Les démarches de long terme qui sont réapparues en France, telles que France 2030 – qui a identifié dix secteurs d’avenir pour l’économie et qui finance des initiatives – sont un motif d’espoir.

La majorité des jeunes pense que la société française est injuste et que tout est joué d’avance en fonction de son origine sociale, mais a confiance en l’avenir et demande à avoir une vision positive de l’avenir leur permettant de s’y épanouir, constate Stéphane Pallez. L’État, sans arrêt remis en cause par des échéances courtes, est pourtant l’acteur qui a le plus de moyens pour faire des projections, assurer des financements à long terme et entraîner l’ensemble des acteurs économiques dans l’action. Il existe des pistes à suivre, telles que le partage et la transparence des données de bonne qualité, face à leur remise en cause par la population. Il est aussi nécessaire de privilégier la vision à la planification en la développant, en l’évaluant et en l’adaptant dans une certaine mesure à travers des débats, ce qui permettra de donner de l’espoir aux jeunes. L’État et les entreprises peuvent agir tout de suite en ce sens sur le plan de l’éducation, la formation et l’emploi.

La réflexion sur le long terme, qu’il est important de définir par ailleurs, est d’abord une question philosophique, estime Jacques Attali. Face au risque de déplacement massif des populations et de disparition de l’humanité dans quelques décennies en raison du changement climatique, comme d’autres espèces, il est nécessaire de prendre conscience de l’intérêt d’être altruiste et d’assurer le bonheur des générations futures du monde entier. Cela suppose de privilégier d’une part la société positive, qui s’intéresse à l’avenir et au très long terme, à la société négative – soumise à la tyrannie de l’instant, de l’individualisme, des sondages et des cours de la bourse – et d’autre part l’économie de la vie (santé, éducation, mobilité durable, énergie renouvelable, alimentation saine, démocratie, culture) à l’économie de la mort (énergie fossile, sucre artificiel, drogues) qui représente 60 % du PIB. Pour cela, il est nécessaire de considérer que toute décision contraire à l’intérêt des générations futures est inconstitutionnelle, de prendre des décisions pour imposer le long terme et d’avoir une attitude enthousiaste et libre.

Le débat sur l’urgence et le long terme est vieux, et encore plus prégnant dans une démocratie telle que la France, où il existe une tension permanente entre le fait d’agir vite pour répondre aux crises et de se lier les mains pour l’avenir, rappelle Clément Beaune. L’idéalisation du temps long doit être évitée, sans quoi il ne serait plus possible de faire des choix, ce qui serait contraire à la démocratie. La France a la particularité d’être à la fois attachée à la planification et marquée par les soubresauts du quotidien, parfois violents.

Les outils pour concilier le court terme et le long terme sont connus et passent par la Constitution et le projet européen. Le changement climatique impose à la fois d’aller vite et de se projeter, via des investissements et des actions publiques constants pour assurer la décarbonation et le report modal. En outre, les politiques doivent faire face aux signaux d’urgence aveuglants et permanents, puis essayer de s’en dégager en passant moins de temps à réagir, et cela dans une démarche éthique caractérisée par un temps plus long. La mesure écologique le plus puissante, à savoir l’interdiction de la vente des voitures thermiques en 2035 au niveau européen, n’a pas été considérée comme majeure par les citoyens, dont l’intérêt est davantage capté par des sujets symboliques et importants mais moins dimensionnants, tels que les déplacements en jet privé. Il est ainsi nécessaire de prendre des décisions qui manifestent rapidement une orientation, qui sera ensuite incarnée par d’autres mesures plus puissantes de long terme. Pour pouvoir investir sur le long terme dans le secteur ferroviaire, par exemple sur la ligne Paris-Clermont-Ferrand, il s’agit de trouver des illustrations pour convaincre les gens, en les emmenant voir le nouveau train en production. Donner à voir ce qui va arriver demain est le moyen pour redonner de l’espoir. Le financement public de la décarbonation est assuré à la fois par l’État, les collectivités territoriales et les entreprises publiques.

Le politique a de moins en moins de pouvoir, compte tenu de l’Europe, du marché, de la décentralisation et des autorités indépendantes, réagit Jacques Attali. Le politique n’est pas libre de faire ce qu’il veut lors des élections, puisqu’il existe une Constitution, des principes et des valeurs, et qu’il faut donner le droit de vote aux générations futures. La vraie liberté est celle de choisir la vitesse de la transition de l’économie de la mort à l’économie de la vie, en transférant les investissements de l’une à l’autre, en considérant tous les secteurs de l’économie de la vie en même temps, sans se limiter à l’écologie.

Les traités internationaux permettent de réconcilier démocratie et contraintes de long terme, dans la mesure où les pouvoirs qui les ont signés vont au-delà des régimes, explique Augustin de Romanet.

Il est nécessaire de se fixer des objectifs pour déterminer les actions à entreprendre dans l’intérêt du peuple, en le sensibilisant pour qu’il puisse faire pression sur les politiques, indique Alain-Richard Donwahi. Le secteur privé et la jeunesse en particulier doivent être plus impliqués.

Pour réconcilier le court et le long terme, il est aussi important de ne pas prendre certaines décisions de court terme pour montrer la cohérence de la vision, précise Stéphane Pallez.

Le secteur de l’aviation pourra devenir très peu puis non carboné, mais pas avant quinze ou vingt-cinq ans, estime Clément Beaune, et il convient par conséquent de prendre des mesures complémentaires de sobriété à court terme, comme la fermeture de certaines lignes aériennes et la taxation de certaines activités.

Propositions

  • Mobiliser rapidement des financements (Alain-Richard Donwahi).
  • Faire des constats partagés et adopter des démarches de long terme (Augustin de Romanet).
  • Partager les données de bonne qualité en toute transparence ; privilégier la vision à la planification, en l’adaptant à la suite de débats (Stéphane Pallez).
  • Privilégier la société positive et l’économie de la vie ; considérer que toute décision contraire à l’intérêt des générations futures est inconstitutionnelle (Jacques Attali).
  • Concilier le temps long, sans l’idéaliser, et le temps court, en faisant face aux signaux d’urgence permanents, en entraînant les gens par des actions symboliques de court terme dans une direction plus puissante de long terme (Clément Beaune).
  • Impliquer et sensibiliser la population (Alain-Richard Donwahi).

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