Propos introductif de Pauline Rossi, membre invitée du Cercle des économistes
Messieurs, quelle est votre position générale sur cette très vieille question qui remonte au début du capitalisme salarié ? Dans un premier temps, je vais vous demander de résumer en quelques minutes votre avis sur cette question. Nous reviendrons dans un deuxième temps plus spécifiquement sur vos points de convergence et vos points de divergence dans le contexte actuel français.
Le conflit est-il évitable ? Quels sont, selon vous, les meilleurs outils pour en sortir ?
Synthèse
Le conflit est inévitable en l’absence de négociations collectives, estime Frédéric Souillot. Il est normal de ne pas toujours tomber d’accord dans la mesure où les négociations ne portent pas uniquement sur des sujets qui font consensus. Pour rappel, la protection sociale collective contribue à la cohésion sociale de la République et peut mener aujourd’hui au paritarisme, y compris dans le cadre des échanges sur le thème qui nous occupe « salaires contre profits ». Concernant le nouvel accord qui doit être transposé dans la loi au mois d’octobre, il s’agit d’un premier pas important. Il précise bien dans son article 1er que les primes ne doivent pas se substituer aux salaires, préoccupation majeure pour les organisations syndicales. Le projet d’accord a représenté un travail conséquent pour les deux parties, chacune ayant conscience des débats houleux qui en émaneraient. D’autres points sont toujours en débat, notamment la revalorisation du Smic comme « coup de pouce » dans le contexte d’inflation. Dans le cadre de ces échanges, la réponse apportée par l’allègement total des cotisations patronales n’est pas suffisante dans la mesure où l’État devra compenser, ce qui aura pour conséquence d’alimenter la dette publique. Ce sont les superprofits et profits qui ont généré de l’inflation, et non l’augmentation des salaires tel que cela a pu être exprimé.
Le conflit « salaires contre profits », tout comme celui autour des dividendes, est particulièrement français, constate Thibault Lanxade. Les discours portent sur l’égalité alors que le sujet du partage de la valeur relève davantage de l’équité. L’accord national interprofessionnel auquel les organisations syndicales et patronales ont abouti prévoit un nouveau dispositif de prime du partage de la valeur, il s’agit d’une avancée majeure en termes de reconnaissance. L’accord reconnaît plusieurs points tels que le renforcement des dispositifs d’intéressement et de participation par les entreprises qui génèrent des superprofits ou la mise en place de plans de partage de la valeur. L’ensemble de ces points constitue un levier pour fidéliser les collaborateurs.
Concernant la revalorisation du Smic, la moyenne des augmentations opérées par les entreprises en France se situe autour de 4,5 %, et autour de 7 % à 8 % pour les bas salaires. Ainsi, les augmentations dépassent déjà l’inflation réelle du point de vue macroéconomique. L’augmentation du Smic risquerait par ailleurs de faire évoluer l’ensemble de la grille jusqu’aux salaires les plus élevés. Ces augmentations sont irrévocables pour les entreprises et les privent de souplesse en cas de crise. Les négociations annuelles obligatoires incitent déjà les entreprises à s’ajuster tout en leur assurant davantage de sécurité. À la question de savoir comment augmenter les salaires si la productivité diminue, il faut faire preuve de prudence dans l’interprétation des chiffres. Il s’agit de tenir compte de l’important renfort des alternants et des apprenants qui provoque une baisse de productivité car il est nécessaire de les accompagner. En ce sens, la baisse de productivité est souhaitable car elle permet une meilleure employabilité pour le futur.
Frédéric Souillot estime que si l’actionnariat salarié peut fonctionner comme solution au partage de la valeur dans certaines entreprises, il ne s’agit pas d’une revendication spécifique pour Force Ouvrière. Thibault Lanxade félicite les instruments d’accès au capital, néanmoins il remarque également que les entreprises sont plurielles et que le dispositif n’est pas toujours évident à mettre en place pour les TPE et PME. L’alternative du plan de partage de la valeur est selon lui la meilleure à ce jour, un point d’avancement pourra être formulé dans 5 ans à l’issue de la période d’expérimentation du nouvel accord.
Points forts du débat
- Les intervenants ont particulièrement débattu de la question de la revalorisation du Smic. Frédéric Souillot a souligné que le risque de voir l’ensemble des salaires revalorisés provoquant ainsi une tendance inflationniste, tel qu’évoqué par Thibault Lanxade, n’a plus lieu d’être depuis la loi Delors de 1982. Thibault Lanxade a plaidé en faveur de dispositifs plus souples, à l’instar des négociations collectives annuelles.
Propositions
- Instaurer davantage de pédagogie autour de la mise en place des dispositifs de partage de la valeur afin d’améliorer la compréhension des salariés, en particulier en période de crise (Thibault Lanxade).
- Prôner l’augmentation du Smic comme levier pour améliorer l’attractivité des métiers, le salaire ayant une symbolique particulièrement forte aux yeux des salariés (Frédéric Souillot).