" Osons un débat éclairé "

Décryptage éco – Quel programme économique pour un gouvernement de coalition?

gvt 3Gouvernement de coalition, mythe ou réalité ? Peut-on imaginer un programme économique offrant un vrai consensus non clivant sur les méthodes destinées à résoudre nos problèmes structurels et retrouver ainsi le chemin de la croissance ?

 

 

 

SOMMAIRE:

I. Les termes du débat

II.Le sujet dans la théorie économique

III.La vision de dix économistes

 

Introduction

Gouvernement de coalition, mythe ou réalité ? Telle pourrait être la question posée par ce nouveau Décryptage éco que vous propose le Cercle des économistes ce mois-ci. La vérité est-elle uniquement dans les mains de la gauche, du centre, de la droite ? Assurément non. A défaut d’envisager un tel gouvernement d’ « équilibre », peut-on au moins imaginer un programme économique offrant un vrai consensus sur les méthodes destinées à résoudre les problèmes structurels dont souffre la société française, et retrouver ainsi le chemin d’une croissance pérenne ?

Force est de constater que l’on observe une multiplication des appels à l’union. A la suite des attentats qui ont ensanglanté Paris ou encore pour faire barrage à la montée du Front National. Face à une menace imminente, la fusion des forces favorise la recherche d’une solution. Pourquoi, alors que la conjoncture française traverse une passe difficile, ne retrouve-t-on pas ce consensus en terme de politique économique ?

Une majorité des pays européens a fait appel à un gouvernement de coalition pour relancer leurs économies respectives. Quelle expérience peut-on tirer de ces exemples ? Contrairement à une fausse impression d’impuissance, il est possible de mettre en place des réformes consensuelles, non partisanes et non clivantes, prenant en compte des contraintes budgétaires fortes pour relancer l’économie française. C’est ce que tend à montrer ce dossier. Bonne lecture.

I. Eléments du débat

 

Convergence des idées économiques, prémices de rapprochement politique, ajoutez le marasme économique profond dans lequel l’économie française reste engluée, vous trouverez difficilement meilleur terrain d’entente pour unir momentanément les forces vives de la nation pour passer quelques réformes clefs.

En effet, contrairement à une idée répandue, il existe des réformes non partisanes et consensuelles, prenant en compte des contraintes budgétaires fortes, pour relancer l’économie. Dans la seconde partie, nous proposerons une liste de propositions autour de deux des maux majeurs de l’économie française : l’emploi et la compétitivité.

Si, certes des mesures existent, ne risque-t-on pas de voir un gouvernement de coalition se déchirer ? Souvenir d’une IIIème République où instabilité et immobilisme allait de pair… Au travers de l’analyse de nos voisins allemands et italiens, nous montrerons que l’action est toujours possible à condition que la volonté politique existe.

La perspective d’un programme économique de coalition gagne en crédibilité. En témoignent la progression de l’idée d’ « union nationale », en réponse aux dangers qui menacent les valeurs républicaines ; ainsi qu’une sensible et progressive convergence des politiques économiques de gauche et de droite.

Dans un climat économique plus que morose et un chômage élevé, les ingrédients semblent réunis pour un programme économique de coalition.

Union nationale après les attentats contre Charlie Hebdo (janvier 2015). Le président de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone, et les chefs de file des groupes politiques, ont appelé, immédiatement après les attentats contre Charlie Hebdo, à l’ « union nationale » pour « défendre la liberté sous toutes ses formes ». Un appel relayé par l’ensemble des forces politiques, à l’exception du Front National.

La constitution d’un Front Républicain. A l’issu du premier tour des élections régionales (7 décembre 2015), le Premier Ministre, Manuel Valls, appelle à voter pour les listes de droite dans trois régions pour faire barrage à la montée du Front National. Une consigne plutôt bien entendue par les électeurs de gauche qui s’est traduite par la victoire des Républicains dans ces trois régions.

Xavier  Bertrand, vainqueur dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, a remercié la gauche et se propose de la consulter régulièrement.

Les Français approuvent à une grande majorité l’idée d’un gouvernement national. Un sondage Harris Interactive indique que 77 % des Français considèrent de manière positive un gouvernement composé de personnalités issues des différents partis politiques. Aux yeux des personnes interrogées, un tel gouvernement serait efficace pour traiter prioritairement des questions de sécurité, d’immigration et de politique étrangère. L’économie ferme la marche.

Une convergence des politiques économiques :

En 1969,  le communiste Jacques Duclos ironisait sur le duel Poher-Pompidou en estimant que c’était « blanc bonnet et bonnet blanc ». La formule semble trouver de plus en plus d’à-propos aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de commenter les différentes politiques économiques, tant les convergences se multiplient.

– Convergence en termes d’objectif.

La rigueur et le contrôle du déficit public ne constituent plus un choix mais une nécessité. Le calendrier et la méthode peuvent varier selon les camps mais avec des marches de manœuvre limitées.

La relance de l’économie passera-t-elle par la hausse des salaires ou par le soutien de l’offre ?  Le débat existe mais comme le note Jean-Claude Trichet : « il y a désormais un large consensus de la gauche et de la droite de gouvernement sur la nécessité de rétablir la compétitivité, de réformer et de réduire la dépense publique. »

Le « J’aime l’entreprise » prononcé par Manuel Valls (Université du Medef – aout 2014) n’est que l’illustration de cette prise en compte par la gauche sociale-libérale des problèmes d’offre qui touchent la France (coûts salariaux excessifs, profitabilité insuffisante, pertes de parts de marchés).

– Convergence dans les faits.

Sous la présidence UMP de Nicolas Sarkozy (2007-2012), le montant des dépenses accordées à la mission Solidarité-Emploi s’élevait à 12,8 milliards d’euros par an contre 13,3 sous François Hollande. L’idée d’une droite, ennemie du social, est donc à relativiser.

Même dynamique au niveau des emplois aidés : selon la DARES (service des études du Ministère du Travail), le nombre d’emplois aidés tourne autour de 400 000 par an depuis 2007. L’idée d’une droite adepte du marché d’un côté, d’une gauche prônant l’étatisme de l’autre, aurait un peu de plomb dans l’aile.

Autre exemple, la question de la dette. Une droite prêchant pour un contrôle de la dépense publique, la fourmi de gauche, un peu plus dispendieuse… ?  Un discours à revoir : depuis 2012 et l’élection de François Hollande, la dette augmente de 70 milliards par an contre 120 milliards par an sous la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012). Certes, la crise financière a diminué les recettes de l’Etat qui, pendant cette période, soutenait l’investissement et aidait financièrement le secteur bancaire. Mais  au cours du deuxième mandat de Jacques Chirac (2002-2007), la dette augmentait de 60 milliards par an

Dernier exemple s’il en faut, François Hollande regrette de ne pas avoir conservé l’augmentation de la TVA décidée sous Nicolas Sarkozy, avant d’ajouter : « J’ai engagé des réformes qui ne sont pas toutes de gauche mais servent l’intérêt général. »

NB: Rappelons qu’une augmentation de la TVA prévue par Nicolas Sarkozy s’accompagnait d’une baisse des cotisations patronales. La compétitivité des entreprises augmente avec en contrepartie une taxation de la consommation tout en préservant le financement du système social français. L’offre est privilégiée par rapport à la demande.

Toutes les composantes en faveur d’une coalition ou, à défaut, d’un consensus, semblent réunies:  une situation extrêmement périlleuse économiquement, des velléités politiques où la stérilité de l’opposition à tout crin fait place à une fusion des forces vives, enfin des rapprochements intellectuels sur les questions économiques.

Les réformes envisagées devront être consensuelles et non clivantes, mais également profondes et efficaces.

Voici quelques propositions atour de deux enjeux essentiels : l’emploi et la compétitivité de l’économie française.

II. Le sujet dans la théorie économique

A. Les 3 axes d’un gouvernement de coalition pour inverser la courbe du chômage 

Aujourd’hui, 10,6 % de la population active est au chômage (Au sens du BIT). Le taux de chômage chez les jeunes atteint les 25 %. François Hollande a fait de la « bataille pour l’emploi » la priorité de la fin de son quinquennat.

Un indicateur utile en macroéconomie est la courbe de Beveridge : elle lie le taux de chômage (en abscisse) à la proportion d’emplois vacants (en ordonnée). En théorie, cette relation est décroissante : plus le taux de chômage augmente, plus les entreprises trouvent des candidats à l’embauche.

L’évolution de la trajectoire française depuis la crise est inquiétante. En effet, depuis 2009 on observe une augmentation concomitante du taux de chômage et de la vacance des postes.

Trois explications sont possibles :

– soit le travail n’est pas assez rémunérateur pour inciter les chômeurs à reprendre l’emploi,

– soit ces chômeurs correspondent à la proportion de travailleurs dont les compétences sont inadaptées, un effort de formation est alors nécessaire,

– soit les entreprises sont trop exigeantes face aux candidats et frileuses face à l’embauche. Une réforme du contrat de travail et du coût du travail apporterait une solution.

 

graphique 1

Courbe de Beveridge en France dans le secteur manufacturier – Source : Banque de France

 

1. réformer le contrat de travail

Selon la plupart des théories économiques, la protection de l’emploi (contraintes administratives et légales de licenciement), les indemnités et allocations versées, accroissent la durée du chômage et bloquent le marché du travail.

NB: L’effet net sur le taux de chômage est plus ambigu. Une forte protection décourage les licenciements mais bloque les flux de retour sur le marché de l’emploi, le chômage serait en moyenne plus long. Ainsi le taux de chômage du Portugal (niveau de protection élevé) et des Etats-Unis (niveau de protection faible) est relativement similaire, cependant, la durée du chômage est en moyenne trois fois plus élevée chez nos voisins lusophones.

En France, 43 % des chômeurs sont des chômeurs de longue durée. A cela s’ajoute un fort dualisme dans le marché de l’emploi entre détenteurs de CDI – protégés par de nombreuses règles – et les CDD – très instables –, qui forment la majorité des flux de main d’œuvre (environ 90 % des embauches).

Bon nombre d’entreprises recourent au CDD pour contourner la rigidité du CDI. Ce système va à l’encontre d’un bon appariement des salariés à l’emploi et décourage les entreprises à investir dans la formation de leurs CDD.

Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo et Klaus Zimmermann préconisent de sécuriser la rupture du CDI pour motif économique. (Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo, Klaus F. Zimmermann (2013). L’emploi des jeunes peu qualifiés en France. Conseil d’Analyse Economique.)
Le juge ne statuant plus sur le bien-fondé ou l’opportunité économique du licenciement. Cependant, pour ne pas être considéré comme un « cadeau aux entreprises » et, surtout, pour éviter les ruptures excessives et responsabiliser les employeurs, les cotisations des entreprises seraient modulées en fonction du volume des destructions d’emploi.

Une telle mesure ferait supporter par les entreprises le coût qu’elles font subir à l’assurance-chômage et à la société.(Ces préconisations ont été proposées par Olivier Blanchard et Jean Tirole dans leur rapport Protection de l’emploi et procédures de licenciements.). Ce système de responsabilisation existe aux Etats-Unis et au Canada et ne semble pas avoir d’impact sur le nombre de faillites.

Autre mesure possible : un nouveau contrat de travail comme celui mis en place par le gouvernement Renzi. Contrat de long terme avec augmentation progressive du niveau de protection (Cf. le cas italien).

2. Accompagner les jeunes non qualifiés vers l’emploi, par la formation

La France a un problème spécifique avec ses jeunes. En plus d’un taux de chômage élevé, il est important d’avoir à l’esprit que 1,9 million de jeunes âgés de 15 à 29 ans ne sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation.

Ce déficit d’activité pèse sur les finances publiques, l’activité économique et, surtout, sur la trajectoire de ces jeunes. Une étude allemande révèle qu’un jour supplémentaire de chômage durant les huit premières années d’entrée sur le marché du travail rajoute 0,9 jours de chômage dans les seize années suivantes et parfois jusqu’à  6,6 jours pour les moins qualifiés. (Schmillen A. et M. Umkehrer (2012) : « The Scars of Youth », Document de Travail, Institute for Employment and Research (IAB). 

Deux types de mesures sont à notre disposition : améliorer la formation des jeunes et leur accompagnement vers l’emploi, ou stimuler l’offre d’emploi des entreprises en abaissant le coût du travail (voir infra).

De nombreuses études montrent que l’apprentissage augmente les chances de transition vers l’emploi à la sortie du système éducatif. La France est loin derrière ses voisins autrichien, suisse et allemand en la matière. Si le nombre d’apprentis a crû de 211 000 en 1992  à 405 000 en 2013 (A titre de comparaison, on compte en Allemagne 1 480 000 apprentis.), c’est en grande partie dû aux jeunes déjà diplômés, la part des apprentis sans diplôme chutant de 60 % à 35 %.

Bien sûr, l’apprentissage peut bénéficier aux jeunes diplômés. Mais dans un contexte budgétaire contraint, il conviendrait de recentrer l’action sur les jeunes sans diplômes pour lesquels l’efficacité des dépenses est plus élevée. Une réforme profonde du système d’apprentissage semble nécessaire pour le rendre plus attractive aux entreprises, aux jeunes et à leurs parents.

La place et le rôle des professionnels dans la conception du diplôme doivent être développés. Sans pour autant supprimer l’enseignement général (nécessaire à une évolution future), la pondération des matières générales doit être revue à la baisse.

Exemple : les épreuves de coupe et coiffage dans un CAP coiffure ont un coefficient de 9 au total. Mathématiques, français, physique et histoire géographiques comptent pour 5. Pour des élèves décrocheurs, la validation de ces matières générales peut devenir un obstacle.

3. Baisser le coût du travail en bas de l’échelle des salaires

Le coût du travail est devenu une barrière pour l’insertion des moins qualifiés, en particulier des jeunes. Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo estiment qu’un accroissement du coût du travail de 1% diminue l’emploi peu qualifié de 1 %. (Cahuc, P., & Carcillo, S. (2012). Les conséquences des allégements généraux de cotisations patronales sur les bas salaires . Revue Française d’Economie.)

Avec un SMIC à 61 % du salaire médian, les moins qualifiés sont exclus du marché du travail, d’où la proposition  d’un SMIC sans la moindre charge sociale (il subsiste 20 % de cotisations sociales patronales dans un SMIC). Il ne s’agit pas de baisser le SMIC, ce qui aurait un sens économiquement, notamment pour les emplois jeunes, mais difficilement acceptable pour une coalition.

Une telle mesure pourrait permettre la création de plus 500 000 emplois estime Patrick Artus.

B. 2 pistes de réformes pour renouer avec la compétitivité

Si l’irruption des économies « émergentes » dilue mécaniquement les parts de marché de l’ensemble des acteurs dans le commerce mondial, les parts de marché françaises reculent davantage que celles des autres pays européens (exception faite de l’Italie, voir graphique ci-dessous).

Ces performances difficiles ne sont pas liées à un mauvais positionnement national ou sectoriel, mais à un « rapport qualité/prix insuffisant ». (Bas, M., Fontagné, L., Martin, P., & Mayer, T. (2015). A la recherche des parts de marché perdues. Conseil d’Analyse Economique.)

Le décrochage de la productivité du travail par rapport au coût (voir graphique ci-dessous) est un autre frein à la compétitivité. Comment alors restaurer la confiance dans le Made in France ?

 

graphique 2 et 3

1. Formation et adaptation salariale : La force de travail 

Un coût du travail élevé peut s’avérer un obstacle à l’insertion sur le marché de l’emploi des moins qualifiés, notamment les jeunes. Pour les salaires plus élevés, c’est surtout la compétitivité internationale de nos entreprises qui est en jeu.

Depuis le début de la crise, les conventions collectives de branche ont participé au maintien de la hausse des salaires décorrélée des gains de productivité. Si les politiques salariales relèvent des entreprises et des partenaires sociaux, les autorités publiques peuvent cependant agir à travers le levier de la réglementation.

Une plus grande ouverture des clauses dérogatoires dans les conventions collectives de branche serait bénéfique. Sous réserve d’un accord spécifique, une entreprise en difficultés pourrait déroger à l’accord de branche et fixer un salaire plus adapté. Mais une telle mesure pourrait être difficile pour un gouvernement de coalition. En effet, n’est-ce pas là un retour sur les acquis sociaux ?

Si la question du nombre d’emplois non pourvus (300.000 ? 1.700.000 ?) reste sujet à débat, il n’en reste pas moins que certaines entreprises éprouvent des difficultés à recruter. «  Pratiquement 2 000 postes sont déjà non pourvus car nous ne trouvons pas de jeunes gens qui soient prêts » sur le plan technique, expliquait en avril dernier Marwan Lahoud, président du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS).

L’effort de formation de la main d’œuvre doit être amplifié. Une réforme de la formation professionnelle doit

être engagée. Les conditions de la formation en alternance doivent être assouplies pour permettre une reconversion professionnelle et une reprise des études après 25 ans.

L’offre de formation doit évoluer pour mieux correspondre aux besoins des entreprises au niveau local. Le nombre de places dans les formations technologiques post-Bac qui ont démontré de forts débouchés professionnels (BTS, IUT, licences pro en particulier) doit être augmenté. Afin d’orienter les jeunes vers les secteurs porteurs, des bourses d’études pourraient être allouées pour ces formations.

2. Favoriser l’investissement et la recherche

La France ne semble pas souffrir d’un sous investissement. Selon l’OCDE, le capital total net des entreprises se situe à 158 % du PIB en 2013, davantage que la Suède (80%) ou les Etats-Unis (92%). La France est bien plus confrontée à un « mal investissement » : insuffisance de la formation de capital productif de haute qualité (en particulier R & D), orientation des ressources vers des secteurs qui ne préparent pas l’avenir (renouvellement des capacités existantes plutôt que leur modernisation).

La mesure du gouvernement qui permet aux entreprises, réalisant un investissement productif entre avril 2015 et avril 2016, d’effectuer un sur-amortissement de 40 % va dans le bon sens. Mais un an, est-ce suffisant pour relancer l’investissement ? Il faudrait donner aux entreprises un horizon de temps plus long.

Patrick Artus estime que la réduction de la pression fiscale favorisera l’investissement. La fiscalité pèse lourdement sur les entreprises en France où elle représente 17,5 % du PIB contre  9,5 % en Allemagne et 11,2% dans la zone euro (hors France). Cette mesure serait difficile à faire accepter dans un gouvernement de coalition et risquerait de creuser les déficits publics.

Certes, la part de R&D en France (2,26 % du PIB) est inférieure à celle de l’OCDE (2,40 %). Mais cet écart provient essentiellement d’un effet de structure, dû à la faible part de l’industrie en France.

L’intervention de l’Etat en matière de recherche se justifie pour deux raisons : la présence d’externalités et les problèmes de financement. Le plus important dispositif de soutien à la recherche, le Crédit Impôt Recherche (CIR, 5,5 milliards d’euros en 2014) est un facteur de compétitivité mais pourrait être amélioré. L’effet multiplicateur est faible : un euro investi par l’Etat n’entraîne guère plus qu’un euro de dépenses de recherche de la part des entreprises. Son efficacité pourrait être améliorée en favorisant les domaines à fortes externalités.

Une approche large du problème est nécessaire. La compétitivité est l’affaire de tous, non pas seulement des entreprises. Les intrants, que ce soit des biens intermédiaires, de l’énergie ou des services produits, concourent à la compétitivité/prix.

A titre d’exemple, une augmentation de 10 % du prix de l’électricité en France réduirait la valeur des exportations d’environ 2 % (Bureau D., L. Fontagné et P. Martin (2013) : « Énergie et compétitivité », Conseil d’Analyse Economique, 2013). Le logement est également en première ligne : la hausse des loyers et des prix de l’immobilier pèse sur le budget des ménages et conduit à terme à une hausse des salaires. Réformer et fluidifier le marché du logement auraient un effet bénéfique pour l’ensemble de l’économie française.

 

C. L’importance des gouvernements de coalition en Europe

Les critiques récurrentes à l’égard des gouvernements de coalition stigmatisent leur immobilisme et leur instabilité. Les IIIème et IVème République y sont sans doute pour beaucoup dans ces critiques.

La mémoire collective se souvient de leur instabilité chronique, de leur immobilisme et de la faiblesse des gouvernements. D’où une grande méfiance envers les coalitions, jugées inaptes à prendre, à temps, les mesures nécessaires.

Symptomatique est la remarque de Charles de Gaulle à la suite d’une visite officielle du chancelier Adenauer à Colombey-les-Deux-Eglises : « le pauvre homme, à son âge, il a encore des soucis de coalition ! ».

Aujourd’hui en Europe, 18 pays sont dirigés par un gouvernement de coalition. Ces exemples nous offrent la possibilité d’étudier l’impact d’une expérience de coalition sur la mise en œuvre et l’efficacité de réformes économiques.

Ils nous permettent également de rejeter l’idée d’une équation reliant coalition à immobilisme. Les risques de blocage des réformes existent mais ils dépendent directement des limites de la volonté politique.

La culture politique est d’ailleurs importante, c’est pourquoi l’exemple Allemand sera mobilisé. En plus d’être un modèle de réussite économique, scruté depuis l’Hexagone, l’Allemagne offre un rôle principal à la coalition dans son modèle politique.

En Italie, notre second exemple, la donne est différente. Plongée dans un marasme économique profond depuis une vingtaine d’années, incapable de se réformer, le sursaut est venu de gouvernements de coalition. D’abord menées sous l’impulsion de Mario Monti (2011-2013) puis amplifiées par Matteo Renzi (depuis 2013), les réformes sont ambitieuses. Surtout celles entreprises par le gouvernement Renzi que nous étudierons et dont certaines séduisent en France.

Gouvernements de coalition en Europe (en vert sur la carte)

graphique 4

Source : France Diplomatie

1. Le cas de l’Allemagne

Une histoire de compromis et de coalitions. La culture politique allemande est très différente de la culture politique française (A ce titre, voir le dossier sur les difficultés du partenariat franco-allemand et les incompréhensions mutuelles, proposé par la revue Le Débat novembre-décembre 2015) , le gouvernement de coalition est la norme tant au niveau fédéral qu’au niveau des Länder, le gouvernement d’Adenauer (CDU-CSU: Union des deux « partis-frères » de la droite démocrate-chrétienne allemande rassemblant l’Union chrétienne d’Allemagne (CDU) et l’Union chrétienne-sociale en Bavière (CSU).) en 1957-1961 fait figure d’exception. La culture politique allemande privilégie le centre et n’éprouve aucun état d’âme à admettre un socle commun de convergences et à s’entendre sur un compromis.

Remarquable pour un Français est la convergence des opinions autour de la notion d’économie sociale de marché, véritable clef de voûte du consensus économique. Cette troisième voie, entre libéralisme et économie dirigée, a émergé dans l’immédiat après guerre avec les réflexions théoriques d’Alfred Müller-Armack et a été portée par le futur chancelier, Ludwig Erhard. « L’objectif est de combiner, sur la base d’une économie concurrentielle, l’initiative libre avec un progrès social garanti justement par la performance des marchés » explique Müller-Armack.

La réussite économique des années 50 amène le SPD à abandonner les idées planistes et à s’aligner sur ce concept lors du congrès de Bad Godesberg en 1959, véritable tournant pour la gauche outre-Rhin. Ce consensus autour d’une vision économique de la société ne sera plus remis en question par les grands partis traditionnels, le débat portera dorénavant sur l’équilibre entre solidarité et marché. (Pour plus d’information, voir Uterwerdde, H. (2013). « Grands défis, Grande coalition, grande politique ? » Regards sur l’économie allemande , 21-31.)

Certes, la majorité de ces coalitions n’ont rassemblé que des familles proches (CDU-CSU + FDP (Parti libéral Démocrate, parti libéral) ou SPD (Parti Social Démocrate) + Verts), mais trois grandes coalitions gauche-droite (CDU-CSU + SPD) ont vu le jour : la première sous Kurt Georg Kiesinger (CDU) entre 1967 et 1969, les deux suivantes sous Angela Merkel (CDU) en 2005-2009 et de 2013 à nous jours.

Quels résultats pour ces coalitions ? La première grande coalition reste marquée par la mise en place de la Loi pour la promotion de la stabilité et de la croissance en 1967, imaginée par l’économiste Karl Schiller. Il l’évoqua comme «  une synthèse raisonnable entre l’impératif de la concurrence venant de l’école de Fribourg (Ecole dire ordolibérale, à l’origine de l’économie sociale de marché) et le message de Keynes du pilotage de la demande macroéconomique effective ».

Les instruments nécessaires pour une « action concertée » entre Bundesbank, gouvernement fédéral, Länder et partenaires sociaux sont mis en place. Cette loi marque un tournant important dans l’histoire allemande en favorisant la montée en puissance de l’interventionnisme étatique.

Plus proche de nous, la seconde grande coalition (2005-2009) affiche un bilan plus qu’honorable. Pour juger de ses mérites, il est important de la replacer dans son contexte historique. Les réformes de l’Agenda 2010 (Incluant les fameuses réformes Hartz, ce paquet de réformes modifie en profondeur le marché du travail en Allemagne et  offre une très bonne synthèse.) sur le marché de l’emploi, entreprises par le gouvernement Schröder (SPD + Verts), n’ont pas encore porté leurs fruits : le chômage est au plus haut en 2005 (5 millions de chômeurs) et l’ouvrage est loin d’être achevé.

Le gouvernement va s’attacher à pérenniser ces réformes et soutenir la reprise. Avec le retour de la croissance en 2007, le gouvernement va s’atteler à consolider les finances publiques pour asseoir durablement la compétitivité allemande. La TVA passe de 16 % à 19 % en 2007 (Un tiers de la hausse du taux de TVA est affecté à l’abaissement des cotisations chômage, le reste va à la réduction du déficit.), favorisant les exportations allemandes au détriment de la consommation. Le fédéralisme politique est révisé avec une clarification des compétences entre le Bund et les Länder, et un pacte de stabilité interne à l’Allemagne est inscrit dans la Constitution. Ce pacte limite tout nouvel endettement du gouvernement fédéral à 0,35 % du PIB d’ici 2017, signifiant la fin de la loi de 1967.

Le débat sur le partage des fruits de la croissance va fragiliser la coalition. Les réformes Hartz ont eu un coût social important avec une augmentation de la pauvreté qui est passé de 12,5 % à 14,7 %  entre 2000 et 2005. Le SPD monte au créneau en estimant « que la majorité des Allemands ne voit rien passer des fruits de ce miracle économique ». Malgré un débat d’une rare virulence sur l’instauration d’un salaire minimum, menaçant la coalition, le gouvernement refusera de remettre en jeu les acquis de la réforme Hartz.

Face à la crise financière, la coalition a su réagir avec vigueur et rapidité, en assurant le sauvetage du secteur bancaire et l’amortissement de l’impact de la crise.

Si la coalition aurait pu aller plus loin dans la consolidation de la croissance (en favorisant l’investissement dans l’éducation et les infrastructures publiques, ou en réformant en profondeur le système de retraites et de santé), son bilan reste plus qu’honorable. Elle a notamment su ne pas se reposer sur les fruits de la croissance et poursuivre les efforts entrepris, malgré des dissensions internes fortes. (Pour plus d’information voir l’article d’Isabelle Bourgeois, Grande coalition 2005-2009 : un bilan plus qu’honorable.)

Le programme de la coalition actuelle. S’il est trop tôt pour juger des résultats de la coalition actuelle, l’accord (Koalitionsvertrag) signé entre la CDU-CSU et le SPD peut être source d’inspiration en France. En préambule de cet accord de coalition, les différents partis rappellent leur attachement à l’économie sociale de marché.
« Nous voulons renforcer les fondements de l’économie sociale de marché avec la perspective d’une nouvelle croissance et davantage d’emploi » rappellent les trois parties en préambule de l’accord.

– Une inflexion sociale

La réforme majeure est l’introduction d’un salaire minimum depuis le 1er janvier 2015 fixé à 8,50 €/h. Très réticente, la CDU-CSU s’en est fait une raison, d’autant plus que cette mesure est plébiscitée par les Allemands dans les sondages (80%). Seulement 17 % des salaires seraient concernées, de plus son évolution sera confiée à une commission paritaire rassemblant patronat et syndicat. Il n’y aura donc pas de « coût de pouce » politique à la française.
Parallèlement, une « retraite solidaire » (Solidarrente) fixant un minimum vieillesse de 850 € par mois, pour les salariés ayant cotisé au moins 40 ans, est instaurée.

– Consolider la compétitivité allemande

Cette politique repose sur la promotion de l’innovation  (objectif de R&D public et privé est fixé à  au moins 3 % du PIB, un objectif déjà pratiquement atteint), l’investissement public (dans le secteur des transports, de l’éducation et de la recherche) et la qualification de la main d’œuvre allemande.
L’Institut Economique de Berlin (DIW) estime à 75 milliards € les investissements nécessaires au développement des infrastructures de transport et d’énergie et à l’enseignement et à la recherche.

L’accord de coalition est ambitieux, il s’agit de poursuivre une stratégie de compétitivité tout en améliorant la cohésion et la justice sociale sans augmenter pression fiscale et charges sociales.

2. Le cas de l’Italie : Les réformes chocs du « démolisseur » Renzi.

Le gouvernement italien est dirigé par Matteo Renzi (Parti démocrate) depuis février 2014, date à laquelle fut sonné le glas de vingt ans de domination de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi. Il est soutenu par une coalition regroupant le Parti démocrate, le Parti socialiste et divers partis de centre droit (Le Nouveau Centre-Droit, le Choix civique pour l’Italie (centre libéral), l’Union pour le Centre, l’Alliance pour l’Italie (centre droit).

Face à une situation économique des plus préoccupantes : dette culminant à 130 % du PIB fin 2014, récession entre 2012 et 2014, chômage élevé (12, 7% en 2014), le programme de Matteo Renzi est ambitieux.  Il s’agit de réformer en profondeur l’économie et la société italienne, quitte à « envoyer la vieille classe dirigeante à la casse », d’où son surnom d’Il Rottamore (le démolisseur).

Deux vastes chantiers ont été ouverts :

– La réforme institutionnelle

L’enjeu de cette réforme est de taille puisqu’il s’agit d’améliorer la gouvernabilité du pays. Elle s’appuie sur deux axes : la suppression du bicamérisme parfait (le Sénat se verrait doté uniquement d’un avis consultatif) et l’Italicum, nouvelle loi électorale, « mère de toutes les réformes », qui doit mettre fin à l’instabilité politique en faisant émerger une force majoritaire.
Le parti arrivé en tête au premier tour avec plus de 40 % des voix obtient automatiquement 340 sièges sur un total de 630 à la Chambre des Députés. Si aucun parti n’obtient 40 % au premier tour, il y aura un second tour entre les deux partis arrivés en tête pour obtenir la prime majoritaire.

– Le Jobs Act

La réforme du marché du travail est une priorité pour Matteo Renzi confronté à un taux de chômage élevé (13 % et 40 % chez les jeunes). Les parallélismes avec la France sont nombreux, avec une forte dualité du marché du travail entre contrats standards (équivalent du CDI) et les autres formes d’emploi (CDD, temps partiels), auquel il faut ajouter un coût du licenciement élevé. Cela explique que cette réforme a été scrutée avec attention de ce côté-ci des Alpes.

Lancée en 2014, cette réforme prévoit la création d’un nouveau contrat de travail à durée indéterminée, dit « à protection croissante » qui s’attaque autant à la dualisation du marché de l’emploi qu’au coût du licenciement. Le licenciement, facilité pendant 3 ans, devient de plus en plus coûteux avec l’ancienneté mais selon un barème fixé. Une possibilité de rupture négociée est offerte, exonérée d’impôts et de cotisations sociales. Enfin, l’obligation de réinsertion du salarié, en cas de licenciement déclaré injustifié par le juge, est supprimée, une victoire symbolique pour le patronat. (En dehors de rares exceptions : licenciements pour cause de discriminations ou « inefficaces » (non motivés).)

Cette modification du droit du travail s’accompagne de fortes incitations financières à l’embauche pour ce type de contrat. Combinées à des mesures limitant le nombre de CDD au sein des entreprises et restreignant les contrats atypiques, ces mesures  devraient limiter le foisonnement de statuts et l’orienter vers une unification autour de ce CDI.

S’il est encore trop tôt pour proposer un bilan de cette réforme, les premiers résultats sont encourageants. Selon l’Institut National de la Prévoyance Sociale (Inps) les conversions d’anciens contrats précaires en CDI ont crû de 30,6% au premier semestre 2015.  L’OCDE voit également d’un bon œil ses réformes, estimant la création de 150 000 emplois d’ici 5 ans, 270 000 d’ici 10 ans.

Après l’annonce d’ « une réforme par mois », la rhétorique se fait plus humble – « 1000 jours pour changer l’Italie » –, le rythme des réformes plus lent. Des chantiers importants sont toujours en cours (fiscalité, éducation, administration, Constitution…). Malgré ce ralentissement, la dynamique semble la bonne, du moins à en croire l’OCDE qui estime que, d’ici cinq ans, le PIB sera supérieur de 3,5 % à ce qu’il serait en l’absence de réforme.

Il faut également noter que la puissance réformatrice du gouvernement de coalition italien tient en partie en la personne de Matteo Renzi, leader charismatique et incarnation d’un esprit de réforme.

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III. La vision de 7 économistes

 

rozesStéphane ROZES (Politologue, président-fondateur  CAP Conseils, Analyses et Perspectives)

“Il y a une tension dans l’imaginaire français entre des diagnostics communs sur le réel et ce qu’il faudrait faire. D’où le paradoxe d’analyses et de remèdes convergents, sans pour autant en trouver une forme politique”. Stephane Rozes résume à la perfection l’ambivalence et la spécificité du cas français. Selon le politologue, “Le problème collectif de la France est qu’il n’y a pas d’adéquation entre des constats et des propositions communes de la droite et de la gauche. Si infimes soient les différences entre la droite et la gauche – sur le plan économique par exemple –, il y aura toujours une aspiration à une union nationale sans que jamais elle ne trouve, ou très momentanément et de manière exceptionnelle, une forme pré-construite”.

La tradition politique française, c’est la dispute commune. C’est notre imaginaire, c’est ce qui permet aux français de se construire une représentation du réel à partir de leur façon de s’assembler politiquement. C’est ce qui a fait Descartes, Colbert… des conceptions plutôt keynésiennes de l’économie. “Pour aller au commun, il faut d’abord le déploiement de la dispute. Le tropisme des politiques, de droite comme de gauche, est d’exister dans cet antagonisme. Par contre, lors des élections, il se passe un recentrement idéologique.

Convergence, mais jusqu’où ? « Quand on voit la popularité du ministre de l’Economie Emmanuel Macron à gauche ; quand on voit comment Marine Le Pen rompt avec son père, on voit la force du recentrement idéologique du pays », analyse Stephane Rozes. « Pour affronter le réel, les français sont obligés de s’assembler par une dispute commune politique qui justifie et légitimise la majorité qui va émerger ».

Ne doit-on pas changer de paradigme ?  On ne peut pas, répond en substance Stephane Rozes. Car on ne peut pas changer ce que l’on est. « Le peuple français est comme un individu qui peut s’améliorer, travailler, regarder comment travaillent les autres pour se comprendre lui-même. Mais les français sont les premiers à s’accabler sur eux-mêmes, à s’auto-flageller. Notre problème réside dans le rapport entre la façon de voir le réel et les évolutions du réel lui-même, notamment dans les politiques européennes ». Dans ces conditions, il semble difficile d’espérer aboutir à un vrai programme de coalition. Stephane Rozes revient régulièrement sur cette problématique de l’imaginaire français dans la revue Le Débat.

 

Mise en page 1Philippe TRAINAR (Cercle des économistes)

Contourner les susceptibilités. Pour parvenir à un programme économique de coalition, Philippe Trainar estime que “Le premier prérequis est de représenter l’ensemble de l’électorat et l’ensemble de ses intérêts, donc en prenant bien en compte qu’il y a des conflits, des suspicions, des manques de confiance et que cette confiance il faut la rétablir avec un petit effort”. L’économiste estime que sur les programmes en tant que tels, il y a de grands domaines de convergence. “Je pense que la droite devrait accepter le maintien d’un certain niveau de redistribution, mais en contre partie la gauche devrait accepter que la redistribution ne se fasse plus à l’aveugle, qu’elle est très coûteuse, et donc qu’elle demande une évaluation permamente de son efficacité”.

L’efficacité plutôt que l’esthétique. A titre d’exemple, Philippe Trainar cite la politique d’aide sociale. “Que le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale explose en permanence traduit, du point de vue de l’électeur de droite, une mauvaise politique puisqu’elle a échoué. Elle était faite pour résoudre le problème mais en réalité elle ne le résout pas. Il y a une nécessaire acceptation par la gauche que l’on ne peut pas faire simplement une politique sur la base d’une esthétique de gauche, mais sur la base d’une efficacité”.

Principe réciproque. Si la gauche peut accepter une certaine flexibilité du marché du travail, donc une réforme du contrat de travail, la droite devra être objective sur les résultats. “Elle devra satisfaire la gauche en faisant son méa culpa au cas où la flexibilité du marché du travail se traduirait, soit par un accroissement du chômage, soit par la multiplication des petits emplois et de la pauvreté salariale. A ce moment, il faudrait réviser cette politique”, estime Philippe TRAINAR. Dans tous les cas, il convient d’accepter de faire des expérimentations sans à priori idéologique, pour ou contre. “Les deux partis y ont intérêt”.

Terrain d’entente difficile. Le domaine le plus délicat serait, aux yeux de Philippe Trainar, la gestion de la sécurité sociale car “la droite est un peu otage des médecins, une clientèle électorale traditionnelle. Quant à la gauche, elle est otage des salariés de la sécurité sociale, etc… Idem pour l’assurance vieillesse. Ce ne sont pas  des électorats extrémistes, mais ils sont très déterminés sur la défense de leurs positions clivantes”.

Le paradoxe du sujet immigration. Selon Philippe TRAINAR, l’immigration est un sujet clivant mais les électorats de droite comme de gauche l’imposent à leurs élus. “Si la droite se saisit du sujet, c’est parce que son électorat s’en est saisi. Sur le fond, on ne peut pas ne pas traiter ce sujet. Il faut donc le faire de manière réaliste, surtout pas doctrinal. Il faut rassurer l’électorat en lui prouvant que la question est bien gérée. Notamment que les électeurs de gauche aient bien l’impression que les principes du droit et de la défense de la personne humaine soient bien respectés et que l’on donne sa chance à chacun”. Reste l’éternelle question : tout candidat qui promet une gouvernance de coalition pendant une campagne électorale ne se tire-t-il pas, finalement, une balle dans le pied ?

 

JM DanielJean-Marc DANIEL (Institut de l’Entreprise, professeur à l’ESCP)

 Fédérer sur les champs du possible. Selon Jean-Marc Daniel, la configuration d’un gouvernement d’union nationale se ferait hors FN et Front de Gauche. Sur le programme en tant que tel, “il conviendrait avant tout qu’une éventuelle équipe de coalition s’entende sur ce que contrôle le gouvernement : la politique budgétaire, le code du travail, les rapports avec l’Union européenne”.

Jean-Marc Daniel estime que les 50 milliards d’euro d’économies annoncées par François Hollande constitueraient une bonne base de travail et supposeraient deux choses : “Engager une procédure de baisse des effectifs par le non remplacement des départs dans la fonction publique. Un accord pourrait également intervenir sur l’abandon de certaines missions de l’Etat, en particulier dans ce qui coûte relativement cher – l’éducation – et considérer qu’il faut donner davantage d’autonomie à l’enseignement supérieur. Cela se traduirait par une augmentation des frais de scolarité avec une réorientation du budget de l’Education nationale dans l’enseignement supérieur vers deux postes essentiels : les bourses et le développement de l’université numérique”.

Politique fiscale. A l’instar du président du Conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën, Louis Gallois, considéré comme patron social, qui appelait récemment à une profonde réforme de l’ISF, Jean-Marc Daniel se dit convaincu du fait que “tout le monde pourrait se mettre d’accord pour supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune qui ne rapporte pas grand chose”. Et l’économiste d’ajouter que “Ca serait une concession faite de la gauche à la droite. Cela crèverait un abcès, notamment sur la question de l’évasion fiscale”. Idem pour le prélèvement à la source.

Politique sociale. Un premier sujet serait de réactiver un projet de fonds de pension pour les retraites. “Le fonds de réserve des retraites avait été créé par Lionel Jospin. Donc une composante de la gauche y est favorable”, souligne Jean-Marc Daniel qui propose de s’appuyer sur le rapport Charpin (L’avenir de nos retraites : rapport au Premier ministre – décembre 1999) qui avait fait consensus sur la question. Un deuxième sujet serait de créer un Job act comme l’a fait le Premier ministre italien Matteo Renzi. “Je pense que l’on peut se mettre d’accord sur un allègement des procédures de licenciement, mais à condition d’engager une indemnisation du chômage très favorable”, histoire de ménager gauche et droite.

Politique européenne. Selon Jean-Marc Daniel, une équipe de coalition devrait “prendre l’engagement de ne voter les budgets que s’ils sont conformes aux Traités européens. Tout ce qui n’y serait pas conforme serait rejeté”, répondant ainsi au souhait de tous les partisans de l’Europe. “Introduction dans la loi organique qui induirait que le Conseil constitutionnel annule un budget qui ne serait pas conforme aux Traités européens”. Enfin, “on pourrait se mettre d’accord aussi sur la réforme de la PAC : arrêter toute forme de régulation des marchés agricoles par les prix. Créer des aides aux revenus mais pas aux produits”. Jean-Marc Daniel détaille toutes ces propositions dans son dernier ouvrage intitulé Le gâchis français (Ed. Tallandier).

 

Saint-Etienne Christian cropChristian SAINT-ETIENNE (Cercle des économistes)

Diagnostic commun. Christian Saint-Etienne dresse un constat sans concessions de l’état du débat français : depuis un quart de siècle, les élites françaises n’ont pas dirigé le pays mais accompagné, voire provoqué son déclin. La France s’est fourvoyée sur la nature de la transformation du monde depuis le milieu des années 1990 et est entrée dans une phase de déclin accéléré depuis 1999-2000. Pour autant, l’économiste estime que pour la première fois depuis 15 ans, un début de consensus est en train de se former sur l’origine de nos maux. A défaut de parvenir à élaborer un programme de coalition plein et entier, construire un diagnostic partagé aussi précis qu’exhaustif est une condition clef de réussite d’une stratégie de rebond, estime Christian Saint-Etienne.

Organisation partagée. L’économiste propose la création d’un Etat stratège pluriel, reflet de la diversité des opinions. Il l’explique en détails dans son livre intitulé La France 3.0, agir, espérer, réinventer (Ed Odile Jacob). La structure serait symbolisée par « une Haute autorité dirigée par un conseil de surveillance, lui même présidé par le chef de l’Etat et constitué de sept autres personnes dont le Premier ministre, le ministre de l’Economie et des finances, les présidents des deux Assemblées, ceux de l’association des métropoles de France, de l’association des régions de France, et de l’association des départements ». Cette structure, que l’on imagine plurielle dans ses couleurs politiques, « arrêterait tous les deux ans les grandes lignes de la stratégie économique de la France à un horizon de dix ans ». Il s’agirait ainsi d’un plan stratégique « glissant » remis à jour tous les deux ans pour obliger tous les acteurs de la modernisation de la France à s’accorder sur les mesures à prendre et les investissements à réaliser.

Le citoyen à la manœuvre. Plutôt que de définir les sujets ou problématiques politiques conciliables dans un programme de coalition, Christian Saint-Etienne préfère mettre l’accent sur la place du citoyen dans le système car  en France, la liberté individuelle n’a de sens que si elle se conjugue avec la liberté collective. Or, la liberté collective est celle d’individus qui s’assument comme citoyens responsables de l’avenir de la République. Lorsque le système français fonctionne, dans les rares moments de consensus national, la conjugaison de la liberté individuelle exercée dans le cadre des nécessités de la liberté collective – et d’une liberté collective assumée comme support des libertés individuelles –, transforme une population d’individus isolés en peuple de citoyens libres et responsables. Les grands moments de notre histoire ont façonné ce paysage. Un programme de coalition, économique et social, serait certainement un moyen de pérenniser l’héritage.

Chevalier Jean-Marie_cropJean-Marie CHEVALIER (Cercle des économistes)

Opportunité. En décembre 2015, une fenêtre s’est ouverte pour réformer profondément le marché du travail et envisager les conditions de résorption du chômage. C’est le sentiment de Jean-Marie Chevalier, analysant plusieurs déclarations du président de la République faites en décembre dernier. “Il y avait en particulier une avancée possible très grande sur la flexibilisation du marché du travail, la formation professionnelle, le code et le temps de travail”, constate l’économiste qui regrette le revers opéré plus tard par François Hollande.

Les points d’entente possibles. Comme la majorité de ses confrères économistes, Jean-Marie Chevalier voit en des sujets comme celui du temps de travail, des conditions de licenciement et de réforme des prud’hommes “une excellente opportunité de réforme consensuelle car, derrière, il y a les 35h, le Smic, etc…”. La flexibilisation de l’emploi apparaît comme un sujet crucial mais c’est sans compter avec les syndicats. “A l’heure actuelle, les syndicats sont un obstacle à la réforme du marché du travail”, déplore l’économiste.

Education. “Le financement de la formation professionnelle est un autre point très important, capital”, insiste Jean-Marie Chevalier qui regrette que l’on ait pris “beaucoup trop de retard sur ce sujet. On aurait du y travailler depuis de nombreuses années déjà”. Jean-Marie Chevalier constate un contexte favorable pour l’action mais regrette “beaucoup de retard et de mollesse”. “Ce qui me choque profondément c’est que François Hollande fasse passer les équilibres politiques avant tout le reste”, ne décolère pas l’économiste.

 

Lorenzi Jean-Hervé cropJean-Hervé LORENZI (Président du Cercle des économistes)

Rapidité et efficacité. Selon Jean-Hervé Lorenzi, la France n’a jamais été aussi consensuelle sur la nécessité de faire bouger les lignes. Il faut sortir des mesures à effet assez rapide. Non pas qu’il faille ignorer les grandes réformes mais la trappe dans laquelle est tombée l’Elysée est de se dire que l’on peut remplacer les réforme par la dépense publique”. “L’argent public n’est pas un substitut aux réformes”, insiste le président du Cercle des économistes.

Mettre de l’air dans les voiles pour avancer. “Ce que nous appelons les réformes, c’est une série de mesures et de décisions qui peuvent avoir des effets très rapides, sans passer systématiquement par la loi”, précise Jean-Hervé Lorenzi qui cite en exemple la question des délais de paiement, les contrats à droits progressifs, etc… “Pourquoi les partis ne bougent pas ? Parce que les points consensuels  sont trop lourds à mettre en place sur le plan politique”. “Sur beaucoup de sujets – dont le foncier –, l’idée serait de redonner à l’Etat le pouvoir de relancer une vraie politique sans attendre l’intervention des collectivités locales“.

Des leviers d’action mais des marges de manœuvres étroites. Conscient du fait que « les marges de manœuvre budgétaires et monétaires sont très faibles », Jean-Hervé Lorenzi souligne que « la trajectoire de l’économie mondiale s’est radicalement modifiée à cause de deux éléments majeurs : les mutations technologiques qui poussent à la création d’emplois non qualifiés ; et l’investissement nécessaire à la réindustrialisation. Cet investissement se heurte, non pas à la faiblesse de l’épargne, mais à l’aversion des opérateurs à la prise de risque ». Restaurer la confiance grâce à des perspectives d’avenir et de la stabilité dans les choix politiques, c’est ce vers quoi – aussi – devraient tendre un éventuel programme économique de coalition.

 

imgresPhilippe MANIERE (Managing Partner, cabinet Footprint consultants)

Hypothèse improbable. Philippe Manière ne croit pas à la formation d’un gouvernement de coalition. « Ce n’est pas une habitude française. Les institutions de la Cinquième République et notre mode de scrutin rendent l’hypothèse très improbable. Les deux camps politiques majoritaires y sont hostiles car chacun veut le pouvoir pour lui ». Et l’observateur d’ajouter : « Dans une campagne électorale, chacun essaie d’avoir un maximum de voix. Donc on ne peut pas aller unis à l’élection. Cela n’a pas de sens. En revanche, une fois l’élection passée, on peut constater que l’on n’a pas assez de voix pour gouverner et donc s’allier avec son ennemi ».

Si, cependant, un gouvernement de coalition advenait… « Il me semble qu’une telle équipe gouvernementale devrait purger les sujets qui ont la double caractéristique d’être, aujourd’hui bloquants pour le pays ; bloqués pour des questions idéologiques et de compétition entre les camps », estime Philippe Manière.

La fiscalité. Selon le dirigeant de Footprint consultants, « Quand l’économiste Thomas Piketty affirme que la fiscalité est décroissante, il a tort sauf pour les quelques pour mille du haut du spectre des revenus. En revanche, ajoute Philippe Manière, la fiscalité est très croissante pour les classes moyennes et les 5% les mieux dotés. Basculer sur un dispositif moins croissant avec un taux marginal jamais supérieur à 40%, mais qui serait universel et ne laisserait aucune échappatoire, serait une bonne chose vu de droite comme de gauche ».

Le revenu universel est également un sujet potentiellement consensuel. « Il est d’ailleurs historiquement chéri et de l’extrême gauche, et des libéraux les plus décoiffants. L’idée est de verser sans condition, par exemple, 400 euros par mois à tout citoyen âgé de 18 à 60 ans. Revenu cumulable avec les revenus d’activité. La contrepartie serait naturellement que toutes les allocations spécifiques (logement, etc…), et sous conditions de ressources, soient abolies ».

Le contrat de travail. « Une remise à plat du contrat de travail qui deviendrait unique (fusion CDD CDI) mais ne porterait de droits à indemnisation en cas de rupture que croissants avec l’ancienneté, et nuls durant les deux premières années, serait très bienvenue et peut-être susceptible d’être acceptée par les deux camps ».

Le service civique universel. « Il me semble une excellente mesure, surtout s’il peut être conçu au niveau européen. Il permettrait une expérience para-professionnelle enrichissante, le brassage des différentes catégories socio professionnelles qu’assurait le service militaire, et une expérience dans un pays étranger s’il est européen ».

« Mais on peut très bien réformer un pays qui en a besoin sans être en coalition », conclut Philippe Manière, réellement convaincu de son infaisabilité.

Conclusion

Le constat est unanime : la mise en œuvre d’une relance économique s’impose en France. Des mesures consensuelles et non partisanes existent, mais c’est sans compter avec l’esprit et la culture française, plus orientés vers le débat et la confrontation des idées. L’ « imaginaire collectif » comme l’appelle le politologue Stephane Rozes.

A condition de s’adapter à une forte contrainte budgétaire, les effets des réformes évoquées dans ce Décryptage éco permettraient pourtant de lutter contre le blocage de l’investissement et de l’emploi. La route s’annonce longue et difficile mais les esprits changent. Sans volonté, pas d’avancée ; sans concessions, pas d’ambition pour le pays.

L’élection présidentielle française programmée pour le mois de mai 2017 approche à grands pas. La période pré-électorale n’est pas propice à la mise en place d’un programme de coalition car celui-ci est trop dangereux, pour quelque candidat que ce soit. Sauf… sauf si l’accession au pouvoir des extrêmes se fait plus menaçante.

Un programme de coalition des partis dits « traditionnels » pourrait alors apparaître comme la solution, voire s’imposer. En réalité, la vérité est-elle uniquement à gauche, ou uniquement à droite ?

 

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Revue de presse:

France Info 12 février 2016 : « Où est la grande coalition promise? »

 

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