Depuis une quarantaine d’années, le différentiel de croissance entre les Etats-Unis et l’Europe ne cesse de s’accentuer, avec un décrochage s’aggravant après chaque crise. Alors que l’écart de PIB (en dollars constants de 2015) n’était que de 8 % en 1985, il s’élève à 38 % en 2022. Comment expliquer une telle évolution ?
Plusieurs facteurs sont à l’œuvre. Une partie du décrochage récent est due à l’alourdissement de la facture énergétique de l’Europe – et, en conséquence, des coûts de production – lié à l’arrêt de l’approvisionnement en gaz russe, bon marché. Premier producteur mondial de pétrole et de gaz, les Etats-Unis n’ont pas souffert du choc énergétique résultant du conflit russo-ukrainien, ce dernier ayant même dopé les exportations américaines de gaz naturel liquéfié vers l’Europe.
Deux poids deux mesures
Un deuxième facteur conjoncturel tient aux politiques budgétaires mises en place en réponse aux crises. Si Etats-Unis et Europe ont soutenu les ménages lors de la pandémie de Covid-19, le soutien du gouvernement américain a été sans commune mesure avec un déficit budgétaire en pourcentage du PIB deux fois supérieur à celui de la zone euro. Les ménages ont pu accumuler de l’épargne qu’ils dépensent aujourd’hui, tirant la croissance états-unienne vers le haut. A cela s’ajoute le vaste plan – Inflation Reduction Act – de près de 370 milliards de dollars de subventions dans le secteur des technologies vertes lancé par Joe Biden en 2022 visant à soutenir les entreprises américaines en contrepartie d’une obligation de production locale et/ou de contenu local de biens utilisés dans leur production.
La politique monétaire a aussi joué un rôle important cette année. Les banques centrales américaine et européenne ont toutes deux augmenté leurs taux d’intérêt face à l’inflation alors même que la nature de cette dernière est différente. Côté américain, la hausse des prix résulte du dynamisme de la consommation alors qu’elle provient, côté européen, de la crise énergétique. Dans ce dernier cas, une augmentation des taux d’intérêt déprime la consommation, tirant encore plus la croissance européenne vers le bas.
Ces facteurs conjoncturels ne doivent toutefois pas occulter les raisons structurelles du décrochage européen en termes de croissance. Un premier élément majeur est démographique, avec, en particulier, une population en âge de travailler qui croît aux Etats-Unis et qui stagne en Europe, facteur accentué par un vieillissement plus important de la population active européenne.
Moins d’union, moins d’innovation
Deuxième élément structurel, l’Europe est fragmentée au sens où elle n’est pas une union budgétaire et doit donc limiter le creusement de son déficit afin d’éviter d’être la proie des marchés financiers. Tel n’est pas le cas des Etats-Unis dont le dollar reste la monnaie de réserve internationale, ce qui leur permet de mener des politiques de soutien budgétaire de grande ampleur. La taille du marché domestique est un troisième facteur structurel. Alors que le marché états-unien des biens et services est intégré, celui de la zone euro est plus morcelé, ce qui limite les effets d’échelle de production.
Quatrième facteur, les dépenses en recherche et développement sont beaucoup plus importantes aux Etats-Unis qu’en Europe dont le sous-investissement en la matière est criant, dopant l’innovation technologique – élément renforcé par des partenariats de recherche très développés entre les universités et les entreprises états-uniennes. Tous les secteurs de la « tech » affichent ainsi un très vif dynamisme aux Etats-Unis, laissant l’Europe à la traîne en matière de productivité. De façon liée, un cinquième facteur, crucial, a trait au niveau d’éducation supérieure, largement plus élevé aux Etats-Unis qu’en Europe.
Au total, les raisons du décrochage de l’Europe en matière de croissance sont multiples et il convient de mettre en place des politiques visant à relancer la recherche, l’innovation, la démographie et l’éducation – ce dernier élément étant un déterminant clé de la compétitivité à long terme.