Est-ce une faute, voire un pêché, pour le gouvernement si le déficit public atteint les 5,6% du PIB en 2023 et si le stock de dette avoisine les 110% du PIB en 2024 ? Les polémiques actuelles sur les économies budgétaires à opérer ou la hausse éventuelle de tel ou tel impôt pourraient le laisser croire. André Cartapanis explique pourquoi les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît.
D’abord, depuis plusieurs années, les déficits publics résultent de nombreux facteurs, dont une part seulement relève des choix budgétaires. Tel est évidemment le cas des chocs systémiques du type de la « dette COVID » ou de la « dette retour de l’inflation » ou des facteurs conjoncturels jouant directement sur les recettes fiscales. Nulle trace de maladie honteuse : ces déficits sont pour une large part exogènes et étaient inévitables.
L’inévitable règle de soutenabilité
Ensuite, l’acquisition de Bons du Trésor et le refinancement de la dette échue s’opèrent sur une base volontaire, ce qui les différencie évidemment de l’impôt. Agissant pour leur propre compte ou pour celui de leurs clients, si les investisseurs financiers acquièrent de tels actifs, c’est qu’ils disposent des liquidités ou des patrimoines le leur permettant et parce qu’ils y trouvent un intérêt sur un plan micro-économique. L’augmentation de la dette et celle des actifs en lesquels elle est investie sont les deux facettes d’une même réalité. Et si la richesse financière s’accroît, la dette devra également croitre au même rythme. Nulle trace de maladie honteuse à nouveau.
Toutefois, dire que la dette n’est pas une maladie honteuse liée à des comportements coupables ou irresponsables des gouvernements ne signifie pas que celle-ci est sans limite. Encore faut-il qu’elle soit soutenable. Contrairement aux financements en capitaux propres des entreprises, la dette publique et la dette obligataire des entreprises exigent le paiement d’intérêts dont la charge réelle dépend de la croissance nominale de l’économie à l’horizon de la maturité de l’endettement. D’où la fameuse règle de soutenabilité où le taux d’intérêt versé doit être inférieur ou égal au taux de croissance économique pour que l’emprunteur soit capable d’assumer les charges de la dette et de maintenir la confiance des investisseurs.
La dette pour atténuer l’ampleur des défis à relever
Ces quelques remarques, de caractère élémentaire, permettent de souligner trois conjectures trop souvent négligées dans le débat public consacré à la dette. D’une part, compte tenu des transitions climatiques à financer et des tensions géopolitiques, l’économie mondiale sera inéluctablement touchée par de nouveaux chocs globaux, adossés à une incertitude croissante. Le recours aux Etats et à l’augmentation de la dette paraissent alors inéluctables.
D’autre part, la poursuite de la hausse tendancielle des inégalités de revenus et de patrimoines à l’échelle planétaire devrait se traduire par une forte augmentation de la richesse financière et donc des acquisitions de titres, publics ou privés, facette inverse de la dette globale, répétons-le. Enfin, la soutenabilité de la dette imposera un soutien de la croissance et surtout des investissements publics qui paraît incompatible avec le maintien de taux d’intérêt relativement élevés et la poursuite des politiques monétaires actuellement menées par les banques centrales. Loin d’être une pathologie ou une maladie honteuse, la dette pourrait ainsi atténuer l’ampleur des défis à relever.