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« La loi SRU est un des textes piliers de notre modèle français »

Avec des taux de pauvreté qui varient du simple au triple selon les quartiers, un afflux de touristes et de nouveaux habitants qui modifie la composition de certains quartiers et fait grimper les prix de l’immobilier, Marseille pourrait apparaître comme un concentré des problématiques de ségrégation spatiale. Quels sont les outils à disposition des élus locaux pour y remédier ? Nous faisons le point avec son maire, Benoît Payan.

La ségrégation résidentielle désigne l’inégale répartition dans l’espace urbain des différentes catégories de population. Elle peut résulter de choix individuels, motivés par la recherche d’un entre-soi, ou de phénomènes de relégation, liés notamment au prix des logements. Quel est l’état des lieux à Marseille ? On entend souvent parler d’un fossé entre quartiers nord et quartiers sud…

Il existe en effet de très profondes disparités sociales et spatiales à Marseille, notamment entre les quartiers nord et sud. Par exemple, le taux de pauvreté excède souvent les 40 % dans les arrondissements nord contre moins de 15 % dans le 8e arrondissement, situé au sud. Et le taux de logements au titre de la loi SRU dépasse souvent les 40 % dans le nord contre moins de 10 % sur le littoral sud. Cette ségrégation résidentielle est le résultat de l’histoire de la construction de la ville mais aussi de choix politiques qui, par le passé, n’ont pas suffisamment pris cette question à bras le corps. Elle se double de grandes fractures et inégalités : dans l’accès aux transports mal répartis sur le territoire, dans l’accès aux équipements et aux services publics souvent peu existants, et qui pourtant constituent le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.

Aujourd’hui, combler ce fossé est une priorité de notre majorité, affirmée notamment dans notre contribution au Programme Local de l’Habitat métropolitain avec pour ambitions premières de rééquilibrer l’offre de logements, et de créer une offre accessible à tous, mais aussi de réaliser un grand effort d’investissement en matière d’infrastructures et d’équipements publics, de mobilité ou encore dans le contrat de ville signé avec l’État.

Nous parlons de la commune, mais la ségrégation s’apprécie aussi à l’échelle d’un territoire. Dans de nombreuses agglomérations, les populations les plus aisées se concentrent dans certaines villes alors que d’autres communes concentrent les populations modestes. Un phénomène qui s’autoalimente, les villes les plus aisées recevant plus de recettes fiscales, proposant de meilleures infrastructures… L’échelle métropolitaine n’est-elle pas plus pertinente pour lutter contre la ségrégation résidentielle ?

La loi définit la métropole comme un espace de solidarité et de coopération et lui assigne pour objectif de veiller à sa cohésion et à un développement territorial équilibré. Elle est l’échelon pertinent quand elle joue son rôle et qu’elle en a la volonté. Or les fractures au sein de la métropole Aix-Marseille-Provence sont considérables. On y voit coexister des communes où le revenu médian disponible par personne avoisine ou dépasse les 30 000 € quand il dépasse à peine les 13 000 € dans le 3e arrondissement de Marseille. Des communes où le taux de pauvreté ne dépasse pas les 5 % quand il est de 25 % à Marseille et dépasse les 50 % dans le 3e arrondissement. Et ces mêmes communes comptent moins de 5 % de logements au titre de la loi SRU quand il est de plus de 35 % dans le 3e arrondissement de Marseille. Il est difficile pour la majorité des élus métropolitains de comprendre la réalité marseillaise.

Trop souvent, la métropole joue à contre-courant de ce besoin de cohésion territoriale, au détriment des marseillais. Cela se vérifie notamment en matière budgétaire, avec les attributions de compensation et l’argent qu’elle reverse aux communes, ou dans ses choix d’investissement, malgré l’effort récent sur la dotation de solidarité urbaine. Ces choix qui amplifient la ségrégation spatiale au lieu de la corriger sont amplifiés par le département.

Lutter contre la spécialisation des territoires, c’était justement le but de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU). L’annonce par le Premier ministre, fin janvier, de sa révision a fait largement réagir. Fallait-il laisser le dispositif tel quel ou le réformer ?

La loi SRU est un des textes piliers de notre modèle français, un symbole du Pacte républicain, qui a produit dans de nombreux territoires des effets remarquables en matière de cohésion sociale. Au milieu d’une crise du logement d’une très grande intensité, qui touche particulièrement les couches populaires et les ménages modestes, il y a bien d’autres priorités que toucher à cette loi, surtout pour l’assouplir. Il faut rappeler que la loi SRU a été récemment réformée dans le cadre de la loi 3DS, qui a permis de rallonger les délais d’atteinte des objectifs.

Produire du logement locatif intermédiaire à 12 € le m² et produire du logement social à 6 € le m² ne répond pas aux mêmes besoins. Les deux sont complémentaires mais la production de logements intermédiaires ne doit pas se faire au détriment du logement social. Rappelons qu’un marseillais sur deux est éligible au logement très social.

Le logement social est-il la seule marge de manœuvre dont disposent les élus pour favoriser l’accès au logement des plus modestes et la mixité sociale ?

Le logement social est un des leviers les plus importants mais il ne peut être le seul. L’accession sociale à la propriété, le Bail Réel Solidaire (BRS), et pour les plus précaires les dispositifs de type « Logement d’Abord » qui viennent accompagner les parcours résidentiels des plus modestes sont des leviers incontournables que nous mettons en œuvre.

En ce qui concerne la mixité sociale, il faut viser la diversification de l’offre de logements dans les quartiers, mais surtout travailler sur le cadre de vie, les infrastructures, les transports et les équipements publics ou les espaces verts, car on ne vit pas que sous un toit, mais dans un quartier, une ville. Et la qualité du cadre urbain est bien entendu un prérequis pour espérer que des investisseurs se mobilisent pour accompagner les efforts de la puissance publique.

« À Marseille, les prix des logements ont augmenté 4 fois plus vite ces 25 dernières années que les revenus des ménages. »

benoît payan

C’est le sens de la politique que nous avons souhaité mettre en œuvre, notamment à travers le Nouveau Programme de Renouvellement Urbain où la ville a obtenu la mobilisation de 2.1 milliards dont 650 millions d’euros de l’ANRU. Nous mobilisons également plus de 2 millions d’euros dans le cadre des appels à projets au titre de la politique de la ville. Mais au-delà de ces projets, c’est toute notre politique d’investissement, sur les écoles, les équipements et le service public qui se donne pour objectif de recoudre la ville et corriger ses fractures.

Au cours des derniers mois, la crise du logement que connaissent de nombreuses villes françaises n’a fait que s’accentuer. Après des années de hausse des prix et avec la remontée des taux, les primo-accédants se voient fermer les portes du marché immobilier. Pour les locataires, la situation n’est pas meilleure entre la hausse des loyers et l’augmentation des locations de courte durée (type Airbnb). Le résultat, ce sont des ménages modestes et maintenant des classes moyennes qui doivent se loger plus loin, dans de moins bonnes conditions ou renoncer à une mobilité. Comment enrayer cette spirale ?

À Marseille, les prix des logements ont augmenté 4 fois plus vite ces 25 dernières années que les revenus des ménages. Après avoir contraint les ménages les plus modestes à des choix impossibles, la crise du logement touche aujourd’hui tous les profils de ménages.

Pour enrayer cette spirale, il faut là encore produire, et produire du logement accessible à tous. Mais ça ne suffira pas en effet. Il faut aussi réguler le marché. Nous avons pris dès 2021 des mesures pour réglementer et mieux encadrer le développement des locations de courte durée. Nous déployons désormais du contrôle de ces locations courte durée, et une politique qui vise à préserver, notamment dans les quartiers centraux, une offre de logements pour les marseillaises et les marseillais, en attendant des changements législatifs qui, nous l’espérons, viendront aider les communes à mieux réguler ce phénomène en forte augmentation, et qui bénéficie aujourd’hui d’une fiscalité beaucoup plus avantageuse que les locations de longue durée. Nous souhaitons mettre en œuvre l’encadrement des loyers et avons demandé à l’État et la métropole de nous le permettre. Nous menons également une action très forte et résolue de lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil, car il est impensable que tant de marseillaises et de marseillais soient contraints de vivre dans des conditions inacceptables pendant qu’une minorité de propriétaires jouent avec la loi et les imperfections du marché pour tirer profit de la misère.

Enfin et surtout, la régulation des prix du foncier est indispensable. C’est pourquoi nous appelons de nos vœux la métropole à déployer une véritable politique d’aménagement, notamment dans les zones de bonne desserte, et la mise en œuvre de tous les outils permettant une plus grande maîtrise publique du foncier et sa régulation, par exemple par la mise en œuvre de servitudes de mixité sociale.

La gentrification joue aussi un rôle clé dans ce processus. Contrairement aux autres métropoles françaises, les classes aisées ont pendant très longtemps déserté le centre-ville de Marseille. Mais depuis les années 2000, de nombreuses tentatives de gentrification de son centre ont été faites, pouvant provoquer des conflits d’occupation entre groupes sociaux, opérateurs de politiques publiques, élus ou activistes. La mixité sociale est-elle forcément source de conflits ? Comment expliquer l’échec de nombreux projets de requalification comme l’avenue de la République ou le Belle de Mai ?

Le rôle d’un maire est de répondre aux besoins des habitants. C’est le sens de notre politique. On a par le passé trop voulu travailler l’attractivité de certains quartiers sans prendre en compte les réalités et les besoins de ses habitants : ces quartiers ne sont pas devenus magiquement plus attractifs aux classes aisées, mais ils ont continué à être dysfonctionnant pour ceux qui y vivaient.

Avec la lutte contre le logement indigne et la requalification des espaces publics, la Ville a fixé, avec l’État et la métropole, via un plan partenarial d’aménagement doté de près de 300 millions d’euros, et la création d’une société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN) un objectif de réhabilitation du centre-ville, avec le soutien de l’ANRU et en concertation avec les habitants. 70 % des logements indignes qui seront réhabilités seront transformés en logements sociaux, quand par le passé ils étaient pour l’essentiel vendus à des investisseurs privés, sans toujours toutes les garanties sur leur qualité architecturale et urbaine et surtout sur les prix de ces logements après leur réhabilitation. En outre, nous avons signé avec les habitants concernés une charte du relogement qui vise à s’assurer que les réhabilitations d’immeubles indignes que nous avons dû évacuer ne se traduisent pas par une éviction du centre-ville des familles, souvent modestes, qui en étaient victimes.

Marseille est une ville populaire riche de sa diversité et de son histoire. Faire cité, ce n’est pas qu’une histoire de bâtiment, c’est la manière dont on s’assure de la qualité du lien social, de la dignité des femmes et des hommes qui y vivent, de l’égalité citoyenne dans l’accès aux services publics.

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