Pour faire face aux défis d’aujourd’hui et demain, l’Afrique à besoin de argent. Cheikh Kanté et Christian de Boissieu identifient trois axes autour desquels une reforme monétaire devrait être organisé pour desserrer l’étau financier.
Face aux défis démographiques, énergétiques et écologiques, les pays africains ont besoin d’investissements (publics et privés), d’une croissance durable, plus inclusive et financièrement soutenable.
Or, nombre de ces pays souffrent de surendettement, de fuites de capitaux, du cercle vicieux où la dépréciation du change alimente l’inflation qui nourrit de nouvelles dépréciations. La finance n’est pas la solution miracle mais, bien orientée, elle peut aider. C’est pourquoi nous avançons plusieurs propositions.
Le Mécanisme africain de stabilité financière
Face aux attaques spéculatives et aux crises bancaires, les pays qui le veulent et le peuvent devraient créer le Mécanisme africain de stabilité financière. Ce Mécanisme serait abondé par les Etats-membres, par des emprunts sur les marchés financiers garantis par les Etats, par une part des DTS transférés des pays avancés vers le Sud…Le MASF serait l’image d’une coopération financière ouverte et pragmatique.
Depuis le début de 2024, plusieurs pays africains, dont récemment le Sénégal, ont emprunté avec succès sur les marchés financiers. Mais souvent à des taux prohibitifs. Pour réduire le coût de la dette, il faut bien sûr mieux contrôler les risques. Mais il ne faut pas hésiter à jouer des mécanismes de « rehaussement » de crédit fondés sur des dispositifs de garantie. Par ailleurs, il faut encourager la diversité dans l’évaluation des risques par la création d’une agence de rating panafricaine, lancée non pas contre les trois grandes agences américaines, mais pour favoriser une approche du risque plus proche du terrain. Cette agence panafricaine doit s’appuyer sur l’existant (en particulier l’agence Bloomfield) mais aller au-delà.
Il faut encourager les financements des Etats et des entreprises via les marchés financiers. Même les bourses les plus actives en Afrique n’ont pas la taille critique. La création d’un réseau de places financières faciliterait l’émergence de marchés régionaux, la coopération facilitant l’intégration financière comme on le voit en Europe avec Euronext.
Adopter une monnaie commune
Pilier de la finance, la monnaie. L’Afrique a privilégié des coopérations monétaires régionales, comme celle qui relie les 14 pays du franc CFA à l’euro. Le projet d’une nouvelle monnaie, l’éco, pour les pays de la CDEAO est enterré pour un temps certain. Prématuré, peu réaliste. Les études montrent les avantages de la stabilité des changes, comme celle du franc CFA, en comparaison de monnaies volatiles comme le naira nigérian, même si l’inflation n’est pas le seul critère à considérer.
Il serait contreproductif pour les pays voulant sortir du franc CFA de lancer, chacun, sa propre monnaie. La réforme monétaire en Afrique doit selon nous être organisée autour de trois axes : redéfinir des espaces de coopération monétaire régionale, encore trop imprégnés des circonstances de la décolonisation ; adopter dans chaque espace une monnaie commune ancrée sur un panier de devises (dollar/euro/yuan chinois) tenant compte de la structure du commerce extérieur ; abandonner le mot « franc ». L’exigence va au-delà de la sémantique, puisqu’elle mêle la monnaie, les choix politiques et les représentations individuelles.
Ces sujets seront abordés dans le contexte des relations Nord/Sud lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence les 5 et 6 juillet, dès 8h30.