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Quelques enseignements des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence

Le Cercle des économistes a tenu la 24ème  édition de ses Rencontres annuelles les 5 et 6 juillet, donc juste avant le deuxième tour. Les élections françaises étaient bien sûr dans toutes les têtes, y compris celles de nos invités étrangers, mais le devoir de réserve a conduit à éviter d’en trop parler et à ne pas inviter à nos débats les responsables politiques français en charge.

Plusieurs thèmes ont structuré les débats. Ils concernent le monde, l’Europe et la France par- delà l’incertitude née du nouveau contexte politique français.

L’économie mondiale : une fragmentation, pas une démondialisation

La fragmentation de l’économie mondiale est un phénomène multidimensionnel : chaînes d’approvisionnement encore perturbées, multiplication de mesures protectionnistes depuis l’IRA américaine et les rétorsions chinoises, européennes…, essor de « blocs » régionaux plus ou mois solidaires, plus ou moins homogènes. L’élargissement et l’affirmation des BRICS témoignent de la contestation croissante de la puissance et des valeurs de l’Occident, tout spécialement des Etats-Unis, mais aussi des limites concrètes d’une telle contestation. La « dédollarisation », évoquée et revendiquée par les pays émergents, recherchée aussi comme riposte aux sanctions contre la Russie, n’est pas pour demain ni pour après-demain !
Quand deux éléphants -en l’espèce la Chine et les Etats-Unis- s’affrontent, « c’est l’herbe qui en souffre » comme l’a rappelé un haut responsable africain. Une Europe, un peu trop passive dans cet affrontement sino-américain multidimensionnel, doit éviter d’être l’herbe…
Les Rencontres ont accordé une place spéciale aux relations Nord/Sud, à la nécessité pour le Nord d’aider le Sud (en particulier l’Afrique) à  financer sa transition écologique, à la nécessité aussi de renforcer la place des pays émergents dans la gouvernance mondiale (G20, organismes internationaux…).

Restaurer l’écoute, le dialogue, la confiance

La montée des populismes est un phénomène mondial, alimenté par des contre-performances économiques et sociales, par le déclassement, l’essor de la pauvreté et de l’exclusion, le laminage des classes moyennes…A quo s’ajoutent l’absence d’écoute,  fort répandue, et trop souvent le refus du dialogue et des compromis. Accepter d’écouter et savoir en tirer le bénéfice pour la gestion des personnes et l’administration des choses, voici ce que devrait être l’impératif tant au plan macroéconomique que dans les entreprises.

Nous en sommes loin, et pas seulement en France ! Si la verticalité règne à l’excès dans la sphère politique, elle ne peut plus trop prévaloir dans l’entreprise. La transition écologique requiert de nouvelles solidarités entre les générations. La présence massive des jeunes aux Rencontres illustre un impératif : mettre au centre des préoccupations  les questions d’éducation et de formation, les voies nouvelles de la mobilité sociale et de l’intégration.

Le souci d’une croissance plus inclusive, qui profite à tous et à tous les territoires de la République, requiert un nouveau contrat social et le souci du «care», de tout ce qui permet de mieux valoriser les biens communs (comme le climat, mais pas lui seul), les valeurs collectives à côté des légitimes aspirations individuelles.

Les experts, le pouvoir et l’opinion publique

Si les économistes et les opinions publiques font un peu chambre à part, c’est en grande partie de la faute des premiers. Car les économistes se complaisent un peu trop dans la rédaction de contributions hyper-techniques, certes indispensables pour l’entrée et la promotion dans la carrière, mais souvent au détriment d’une démarche pédagogique indispensable pour mieux éclairer les opinions publiques et les choix démocratiques.

A la lumière des témoignages de hauts responsables étrangers, par exemple italiens, les Rencontres ont permis de mieux cerner les apports mais aussi les limites des gouvernements de « techniciens ». Un thème bienvenu dans le nouveau contexte politique français.

Les relations entre les économistes et le pouvoir varient grandement d’un pays à l’autre. Pour avoir présidé pendant 9 ans le Conseil d’analyse économique du Premier Ministre, j’ai pu constater les grandes différences entre ce dernier et par exemple le Council of Economic Advisers du Président américain. J’ai pu aussi mesurer les différences d’impact. Par-delà les divergences institutionnelles, tout le monde s’accorde à rappeler cette exigence de bon sens : il revient au pouvoir politique de choisir les objectifs à atteindre en se faisant le porte-parole des opinions publiques, le rôle de l’économiste étant alors de s’occuper, avec d’autres experts, de l’optimisation des moyens pour réaliser de tels objectifs.

Et l’Europe dans tout cela ?

Sur l’Europe, le diagnostic des participants aux Rencontres n’est guère complaisant. L’Europe est caractérisée aujourd’hui par un excès de normes et une insuffisance de résultats économiques (croissance molle, baisse de la productivité, déficits dans l’innovation et la recherche vis-à-vis des Etats-Unis…). Le couple franco-allemand est à la peine.

Sur la scène internationale, l’Europe fait preuve de naïveté, d’aucuns la traitant même « d’idiot du village ». Ce ne sont pas les récentes élections européennes ou les élections françaises de ce dimanche qui vont, comme par miracle, corriger tous ces défis et défauts. Mais certaines avancées techniques pourraient provoquer des déclics politiques.

Par exemple, comme souligné lors des Rencontres, la relance du marché unique et le vrai lancement de l’union des marchés de capitaux , souhaités par le récent rapport Letta et l’attendu rapport Draghi, sont au cœur d’un possible rebond européen.

Derrière ces ambitions apparemment techniques, l’enjeu touche à notre capacité à concilier une maîtrise indispensable et très compliquée de nos finances publiques (déficits et dette) avec les financements incontournables comme celui de la transition écologique. Cette transition fait aujourd’hui l’objet d’un très large consensus et pour une fois d’une forte convergence entre les experts, les pouvoirs politiques et les opinions publiques

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