Cet article est extrait du troisième numéro de la revue Mermoz, « Innover sans fin ? ».
En développant de nouveaux objets et services qui s’invitent dans notre quotidien, les innovations transforment nos modes de vie. La promesse souvent avancée : nous rendre la vie plus facile pour, in fine, nous rendre plus heureux. Mais cette promesse peut-elle être tenue ? Pour Gaël Brûlé et Francis Munier, il convient de ne pas oublier l’essentiel : la créativité.
L a recherche sur l’innovation s’est concentrée sur la compréhension de son succès et de son impact sur la croissance économique et la productivité.
Pourtant, la non-adéquation entre richesse et bien-être, soulignée par le fameux paradoxe d’Easterlin, indique qu’un nouveau paradigme est nécessaire, véritable défi pour s’orienter vers l’innovation pour le bien-être, la qualité et la satisfaction de vie des individus et des sociétés. L’équation est cependant loin d’être triviale.
Le « bon côté » de l’innovation, selon ses différentes acceptions, peut prendre la forme d’un nouvel outil de communication, d’un moteur à basse émission ou d’un vaccin. Sans produire de bonheur au sens strict, elle le facilite à travers ses déterminants comme le capital social, l’écologie ou la santé.
De prime abord, à la faveur de l’innovation, les conditions de vie s’améliorent à bien des égards. Néanmoins, si l’on regarde de plus près l’évolution des indicateurs de bonheur, les choses ne semblent pas aussi miraculeuses et la conversion de bien-être (du point de vue extérieur, apparent) en bonheur (du point de vue intérieur, ressenti) est loin d’être systématique.
L’innovation peut aussi avoir un côté « sombre » avec des effets délétères au niveau individuel, collectif ou encore environnemental2. Les externalités négatives telles que la pollution et le chômage, la solitude ou les dérives autoritaires via le Big Data nous montrent que loin de créer des conditions favorables au bonheur, l’innovation déplace certains problèmes, les recompose ailleurs ou sous une autre forme ou en crée un nouveau.
Les cryptomonnaies peuvent tout autant s’affranchir d’un pouvoir régulateur que polluer l’environnement, l’intelligence artificielle permettre des gains de productivité tout en ayant des effets négatifs sur l’emploi et la répartition équitable des revenus, les améliorations apportées à des bâtiments écologiques peuvent inciter les gens à chauffer davantage. En d’autres termes, que ce soit par des effets d’agréation mal maîtrisés, des effets rebond ou des effets de revanche, l’innovation peut aussi être une forme de regret.
Comme la sélection évolutionniste ne conduit pas automatiquement à la suppression des mauvaises innovations, la question n’est pas d’identifier de bonnes ou de mauvaises innovations, mais plutôt de chercher à comprendre la nature et le contexte dans lequel elles s’inscrivent, afin d’établir une grille de lecture plus nuancée en termes d’impacts sur le bonheur. Les innovations (a fortiori radicales) nous façonnent et façonnent notre relation aux autres et au monde, avec parfois une transformation ontologique (c’est le cas des réseaux sociaux).
L’innovation permet des progrès dans le confort de vie et la santé. C’est indéniable. Ce n’est pas la percée technologique qui en soi est importante, mais davantage ses impacts sociaux, politiques, culturels et comportementaux. Il s’agit in fine, d’éviter le piège d’une vision angélique ou diabolique, mais plutôt de comprendre la problématique innovation – bonheur comme un juste milieu entre corne d’abondance et luddisme, bien de confort et bien créatif, résonnance et aliénation, eudémonisme et hédonisme pour une innovation positive.
Pour conclure, innovation, créativité et bien-être s’interpénètrent dans un jeu d’influences réciproques et dans cette dynamique l’innovation peut être constitutive du bien-être. Au niveau individuel, c’est un sentiment de flow à l’instar de la figure de l’entrepreneur innovant. Au niveau sociétal, la ville et la classe créative engendrent du bonheur et une qualité de vie plus importants.