La guerre en Ukraine, grenier à blé de l’Europe et d’une partie de la planète, jette un nouvel éclairage sur l’impérieuse nécessité d’une stabilité alimentaire mondiale. Les craintes de pénuries et d’émeutes de la faim dans les pays en développement inquiètent et se révèlent comme un facteur géostratégique majeur.
L’urgence climatique qui met le monde agricole à rude épreuve s’ajoute à ces tensions. Pour nourrir femmes et hommes sur tous les continents, l’auteur de cette note appelle à une nécessaire révision de nos modèles de production et de consommation, à commencer par nous-mêmes. D’où l’intérêt de placer ces objectifs au cœur du nouveau quinquennat, au nom de la souveraineté alimentaire.
Après un rappel exhaustif des éléments de contexte mondiaux, Philippe Tillous-Borde suggère, sans parti-pris, quelques pistes d’action pour porter les politiques publiques à la hauteur des enjeux : sécurité alimentaire, recherche et formation, amélioration des infrastructures respectant les chaînes de valeurs agricoles.
L’alimentation de la population en quantité et en qualité est un facteur clé du développement à travers le monde. « Nourrir les Populations » dresse les enjeux d’augmentation des productions agricoles pour répondre aux besoins d’une démographie croissante, mais aussi les enjeux d’amélioration et structuration des filières agricoles et agroalimentaires, en lien avec les besoins et attentes des consommateurs, pour améliorer la souveraineté alimentaire de chaque pays.
Selon les projections de l’ONU, la population mondiale devrait atteindre 8,5 milliards d’habitants d’ici 2030 et près de 9,7 milliards d’habitants en 2050. Soit près de 1,9 milliards d’habitants supplémentaires par rapport à 2021. Ces évolutions sont hétérogènes entre régions du monde et au cours des décennies à venir : l’Afrique Sub-Saharienne et l’Asie du Sud-Est seront les régions où la croissance démographique sera la plus forte du fait de leur fort taux de natalité, tandis que l’Europe et l’Amérique du Nord connaîtront une croissance faible voire négative (ex : Pologne, Russie).
Cette évolution démographique pose de nombreux enjeux dont celui de l’alimentation des populations. Comment nourrir quantitativement et qualitativement tous les humains de la planète aujourd’hui et demain ?
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Politique Agricole Commune
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Par ailleurs, la situation politique mondiale actuelle, avec le conflit russo-ukrainien, révèle le problème de la globalisation des marchés et la dépendance de certaines zones géographiques de la planète pour leur alimentation ; exemple du blé, dont les problèmes d’approvisionnement de la zone d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient en provenance de la mer Noire, peuvent entrainer des pénuries et des déstabilisations politiques. De même, la PAC1, récemment revue en faveur d’une plus grande prise en compte du changement climatique et de la diminution de la biodiversité, nous interroge sur l’avenir de sa capacité à produire en Europe, alors qu’elle dépend déjà aujourd’hui à 66% des importations en provenance principalement d’Amérique Latine en protéines végétales. Par ailleurs, la France, à elle seule, importe plus de 40% de sa consommation de poulets.
Sécurité alimentaire et nutritionnelle et accroissement des productions issues de l’agriculture et de l’élevage
Une insécurité alimentaire mondiale croissante
De nos jours, les crises climatiques et environnementales, la crise sanitaire du Covid-19 et les conflits (Ethiopie, Afghanistan, Russie-Ukraine…) accroissent le risque d’insécurité alimentaire et questionnent notre capacité globale à répondre aux besoins alimentaires des populations.
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Food and Agricultural Organisation
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Programme Alimentaire Mondial
Depuis 2014, la FAO2 et le PAM3 font état d’une augmentation du nombre de personnes touchées par la faim, elles estiment que le nombre de personnes en situation de sous-alimentation atteindra 840 millions de personnes d’ici 2030 soit près de 10 % de la population mondiale et ce, principalement en Asie (381 M pers) et en Afrique (250 M de pers). En 2021, l’ONU affirmait que la situation alimentaire s’était fortement dégradée dans le monde avec près de 45 millions de personnes en risque imminent de famine. Des chiffres considérablement aggravés si l’on observe l’insécurité alimentaire dans sa mesure la plus large, à savoir la difficulté à accéder à une alimentation saine et équilibrée, avec 2 milliards d’individus concernés aujourd’hui selon la FAO. Force est de constater que l’objectif n° 2 des ODD de l’ONU « Faim zéro » d’ici 2030 est loin d’être attient.
D’un point de vue nutritionnel, l’accès à une alimentation saine répondant aux besoins de chaque individu est également un défi à relever à l’échelle de chaque pays et de chaque catégorie de la population (jeunes enfants, femmes en âge de procréer…). Les carences en oligoéléments tels que le fer, le magnésium et le calcium sont très courantes et à l’origine de maladies, par exemple 30 % de la population mondiale est concernée par une carence en fer. Les carences en acides aminés essentiels et en acides gras essentiels sont également très répandues et ont des conséquences graves chez les jeunes enfants qui encourent des retards de croissance (1 enfant sur 4) ou des retards de développement cognitifs. La malnutrition causerait 45% des décès des enfants de moins de 5 ans.
Cette problématique de la sécurité alimentaire fait l’objet d’un focus particulier sur l’Afrique provenant d’un travail récent effectué sur une zone représentant la moitié de la population africaine.
La sécurité alimentaire dans les pays de la Grande Muraille Verte
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Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Ghana, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Nigéria, Sénégal, Soudan, Tchad, Togo.
La sécurité alimentaire a été analysée dans 15 pays africains4 dans la cadre d’une mission de développement des filières de protéines végétales afin de diagnostiquer la situation alimentaire de ces pays et les conséquences sur la santé de ses populations. Parmi ces pays, 9 font partie de l’initiative pour la Grande Muraille Verte et 6 sont des pays partenaires liés par des accords économiques et politiques.
Premièrement, la qualité alimentaire liée aux apports en micronutriments a été évaluée au travers des enquêtes nationales de prévalence de maigreur, de retard de croissance chez les enfants de moins de 5 ans et par les enquêtes de diversité alimentaire. Ainsi, selon les seuils de sévérité proposés par l’OMS et UNICEF en 2018, la majorité des pays ciblés (10 en l’occurrence) présentent des prévalences de maigreur correspondant à une situation de sévérité moyenne et le Soudan présente la prévalence de maigreur la plus élevée avec un taux de 16,3% (2014). La situation apparait encore plus préoccupante pour le retard de croissance qui touche de 17,5 à 45,1% des enfants de moins de 5 ans selon les pays, avec des prévalences élevées pour six pays et très élevées pour sept pays (Bénin, Ethiopie, Guinée, Niger, Nigéria, Soudan et Tchad).
A défaut de données d’enquêtes nationales récentes sur le statut en micronutriments dans les pays de l’étude, l’anémie est l’un des indicateurs les plus fréquemment utilisés pour évaluer l’importance des carences en micronutriments. L’anémie dans les 15 pays d’étude est un réel fléau, autant chez les enfants de 6 mois à 5 ans que chez les femmes en âge de procréer, tous pays confondus. Chez les femmes en âge en procréer, l’anémie peut augmenter le risque de pré-terme de la grossesse, et donc le faible poids de naissance et des complications associées. De plus, la naissance prématurée est l’une des principales causes de mortalité infantile dans les pays en développement (Mawani and Aziz Ali, 2016).
Enfin, une part importante des populations de ces pays n’a pas accès à une diversité alimentaire suffisante, ce qui peut entraîner des carences nutritionnelles significatives et des retards de croissance chez les jeunes enfants. Dans les 15 pays d’étude, les pourcentages d’enfants ayant accès à une diversité alimentaire minimale sont faibles et varient de 35% (le plus élevé) au Sénégal, à 12% (le plus faible), au Tchad.
Un accroissement nécessaire de la production et une diminution des pertes post-récoltes
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Outlook FAO : la demande céréalière et vivrière augmentera à 3 milliards de tonnes contre 1,8 milliards de tonnes aujourd’hui et la demande en viande et huiles augmentera d’autant plus vite que le pouvoir d’achat augmentera dans les pays en développement.
Pour subvenir aux besoins alimentaires de la population à l’horizon 2050, la FAO estime que la production mondiale devra augmenter de 70%5 tout en répondant aux besoins qualitatifs. Toutefois, l’augmentation observée de la production mondiale depuis les années 1960 dans les pays industrialisés a induit des externalités négatives sur l’environnement qui doivent être identifiées et prises en considération dans les efforts d’augmentation de la production agricole (ex : agroécologie, sélection variétale…) :
- L’augmentation de la production par les surfaces nécessite une prospection des terres disponibles et la mise en œuvre des moyens techniques et financiers adaptés afin de faciliter l’accès à la terre. La FAO estime que 5 Md ha sont actuellement mis en culture ou mis en prairies/pâtures et que 3,7 Md ha seraient encore disponibles. Cependant cette disponibilité est très variable entre pays et elle est concurrencée par l’urbanisation croissante, la déforestation et elle est menacée par l’érosion, la gestion non durable des sols et le changement climatique.
- L’augmentation de la production par les rendements est un enjeu clé. Dans certains territoires, comme en Afrique, les rendements des cultures sont souvent nettement inférieurs à leur potentiel. La variabilité des rendements peut-être très importantes entre pays et entre zones géographiques du fait des différences de conditions pédo-climatiques mais aussi de la faiblesse des investissements agricoles associés. Par exemple, dans les pays africains de la Grande Muraille Verte et les pays du Golfe de Guinée, les rendements du niébé varient entre 0,3 t/ha en Mauritanie et 1,35 t/ha en Ethiopie. Les rendements peuvent être améliorés par associations culturales, par utilisation raisonnée d’intrants, par développement de moyens techniques (irrigation, outils…) et en sélectionnant les variétés les mieux adaptées aux terroirs. Les biotechnologies offrent également des possibilités d’adaptation des cultures aux enjeux actuels comme le réchauffement climatique.
Marchés agricoles et composantes géostratégiques
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Agri-agro : référence aux produits agricoles (intrants, matières premières…) et agroalimentaires.
A travers le monde, il existe une forte inégalité entre l’offre et la demande sur les produits agri-agr6 qui justifie la mise en place de marchés inter-régionaux et internationaux. D’après l’OCDE, les échanges agri-agro n’ont jamais été aussi importants qu’aujourd’hui et sont organisés en oligopole autour d’un petit nombre de pays exportateurs et d’un grand nombre de pays importateurs selon les produits. Les crises sanitaires, sociales, climatiques et politiques peuvent engendrer des fluctuations très significatives sur les marchés en fonction de la situation des stocks mondiaux qui menacent la sécurité alimentaire. Ces échanges internationaux nécessitent des moyens techniques, juridiques et financiers importants.
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ADM, Bunge, Cargill et Dreyfus
Les échanges de produits agri-agro se réalisent principalement par voie fluviale/maritime et par transport routier/ferroviaire, ils nécessitent des infrastructures de tri et de stockage et des moyens de transports importants. Ils sont ainsi soit organisés par des structures publiques ou dominés par un oligopole d’entreprises comme ABCD7 qui à eux quatre, détiendraient 80% des échanges mondiaux du blé ou encore ADM, Cargill, Bunge et Olam qui font partie des principales entreprises qui dominent le marché de la première transformation du soja. Deux nouvelles entreprises comme COFCO et Vittera (filiale Glencore) ont aussi un poids significatif. La dépendance d’un grand nombre de pays aux importations et la faiblesse des stocks associés dans les pays importateurs induit une forte dépendance aux aléas du marché : aléas climatiques, crises politiques et conflits… pouvant intervenir dans les pays exportateurs et ayant ainsi une incidence sur les prix de marché.
Les marchés des céréales
Selon la FAO, la production mondiale de céréales était de 2,7 Mds de tonnes en 2020, dont près de 1,1 Md de tonnes de maïs, 760 Mt de blé et 760 Mt de riz. L’Union Européenne est le principal producteur de blé et d’orge et se situe avec l’Ukraine en quatrième position pour la production de maïs derrière les États-Unis (360 Mt), la Chine (261 Mt) et le tandem Brésil-Argentine (164 Mt). En termes de surfaces, ce sont plus de 720 Mha qui sont cultivés en céréales soit 52% des terres arables.
Sur la campagne 2020/2021, plus de 420 M t de céréales ont été échangés dans le monde, dont plus de 20% de la production de blé, 10% de la production de riz et près de 15% de la production de maïs. A noter que le riz échangé sur les marchés l’est exclusivement à destination de l’alimentation humaine tandis que les autres céréales le sont aussi pour l’alimentation animale. Ainsi globalement, la Chine, le Japon, l’Egypte et le Mexique sont les principaux importateurs de céréales (riz compris) et les Etats-Unis, l’Argentine, la Russie et l’Ukraine sont les principaux exportateurs.
Concernant le blé, la Russie est le principal exportateur avec près de 37 Mt, suivi par l’Union Européenne, incluant le Royaume-Uni avec près de 35Mt et les Etats-Unis avec 26 Mt, l’Égypte et l’Indonésie sont les principaux importateurs avec environ 10 Mt. Ces dernières années, la Russie et l’Ukraine ont accru leur production de blé à destination de l’export principalement à travers le bassin de la mer Noire et à destination des pays du Maghreb et du Moyen-Orient (l’Ukraine exporte près de 15 M t de blé pour 25 M t produites, et la Russie 37 Mt pour 80 M t produites).
Concernant le maïs, les USA demeurent le premier producteur mondial avec 360 Mt, suivi de la Chine qui est à la fois le deuxième producteur mondial avec 260 Mt mais également le premier importateur avec environ 29 Mt. L’Union Européenne, non auto- suffisante, importe également du maïs notamment en provenance d’Ukraine qui en exporte plus de 25 Mt et en produit 35 Mt ou encore en provenance de la Russie qui en exporte 4 Mt sur 15 Mt produites.
Les oléo protéagineux répondant en priorité aux matières riches en protéines végétales
La production mondiales d’oléo protéagineux est de 600 Mt dont 350Mt pour le soja, 70Mt pour le colza et 57Mt pour le tournesol.
Les marchés des oléo protéagineux type soja, colza et tournesol ou oléagineux type palme (non-contributeur aux marchés des protéines) sont concentrés autour d’un petit nombre de pays exportateurs : l’Argentine, le Brésil et les Etats-Unis sont les principaux exportateurs de graines et de tourteaux de soja et le Canada de graines et d’huile de colza. Pour le tournesol, l’Ukraine et la Russie sont les principaux exportateurs sous forme d’huile et de tourteaux. L’ensemble de la production mondiale d’huile de soja est de 60 Mt, celle d’huile de colza est de 28 Mt et celle d’huile de tournesol de 20 Mt. Pour l’huile de palme la production mondiale est de 70Mt provenant principalement de l’Indonésie et de la Malaisie et au second plan d’Afrique équatoriale et d’Amérique du Sud (Brésil, Colombie, Equateur). Cette huile est destinée en priorité à approvisionner la zone asiatique mais s’écoule dans le monde entier notamment en Europe.
A l’horizon 2030, la croissance démographique et la transition des régimes alimentaires vers plus de protéines végétales en Europe et en Amérique du Nord et vers plus de protéines végétales et animales en Afrique et en Asie (Chine et Inde principalement), induiront une augmentation de 43% de la demande mondiale en protéines végétales et de 33% en protéines animales par rapport à 2010. Ainsi, à l’échelle mondiale, l’augmentation de la demande en tourteaux d’oléagineux pour l’alimentation animale est estimée à 53% pour 2030 avec en premier lieu le tourteau de soja qui représente 70% de la production estimée.
La France, et l’Europe dans son ensemble, sont très dépendantes des importations en provenance des continents américains (Sud et Nord) et principalement du Brésil à 60 % pour sa consommation en soja et tourteaux de soja (alimentation animale). En 2020, l’Europe a produit environ 17 Mt de tourteaux (colza, tournesol, soja) et en a consommé plus de 52 Mt, soit une dépendance aux importations de 67%. Le taux d’autosuffisance en protéines est de 74% pour le colza, 42% pour le tournesol et 5% seulement pour le soja. La consommation de soja en Europe est couverte à 90% par les importations.
Les marchés de la viande blanche et rouge
En 2020, la production de viande était de plus de 290 Mt selon la FAO. La viande de volaille était la plus produite avec plus de 130 Mt et les continents asiatique (Chine : 15 Mt) et américains (Etats-Unis : 20 Mt ; Brésil : 13 Mt) en étaient les principaux producteurs.
La viande de porc représente plus de 105 Mt produite, principalement en Chine (47 Mt) qui cherche à accroître sa production mais qui reste très dépendante aux importations de céréales et de plantes à protéines pour l’alimentation de son cheptel.
Enfin, la production de viande bovine représente plus 68 Mt et est portée par les Etats-Unis avec plus de 12 Mt, le Brésil avec 10 Mt puis la Chine avec 6 Mt et l’Argentine avec 3 Mt. La viande bovine est le second produit le plus exporté après la volaille. Les exportations sont majoritairement originaires d’Europe et d’Amériques et à destination de l’Asie.
Quel potentiel impact d’un blocus sur la mer Noire ?
Les pays du Maghreb (incluant la Mauritanie) et du Moyen-Orient sont des importateurs nets de céréales, ils importent près de 90 Mt de blé, maïs, riz et orge et ce principalement en provenance de la mer Noire. La Russie et l’Ukraine en sont devenus les principaux fournisseurs et le conflit actuel questionne la pérennité de cette dépendance. Un arrêt des flux à destination de ces pays et/ou une inflation engendrerait une crise de la consommation dans ces pays dont la demande est forte (par exemple : consommation d’environ 100 millions de tonnes de blé par an). Une envolée du prix des aliments à base de blé pourrait avoir des répercussions sociales et politiques fortes comme en 1984 en Tunisie, en 1996 en Jordanie puis les printemps arabes en 2011.
Concernant les pays de la Grande Muraille Verte et les pays du Golfe de Guinée, les exportations en provenance de la mer Noire ont augmenté ces dernières années. Elles concernent en priorité le blé avec 4,4 Mt exportés en moyenne entre 2018 et 2020 par la Russie principalement au Sénégal et au Cameroun, et près de 0,8 Mt par l’Ukraine et près de 0,6 Mt par la Roumanie principalement vers le Soudan, la Mauritanie et l’Éthiopie.
Diversité alimentaire et évolution des régimes alimentaires : quels impacts sociétaux et sociaux ?
Nourrir les Populations signifie également subvenir à leurs attentes en tant que consommateurs. Ces attentes, qu’elles soient culturelles (voire orientations religieuses : viande halal, kasher) ou environnementales (moins de viandes, locavores, bio…) jouent un rôle central dans le bien-être des populations.
Le consommateur participe largement à l’évolution de la demande, il est dans l’attente de propositions innovantes pour son alimentation influencée par l’utilisation de produits dont ils recherchent l’origine et la naturalité, ou également, par la capacité actuelle de mieux apprécier les plats d’origines géographiques variés. L’industrie agroalimentaire cherche aussi à répondre à ces nouvelles tendances.
Focus sur l’évolution de la consommation de viande dans le monde
Comme le rappelle FranceAgriMer, « les régimes alimentaires ont toujours évolué au gré des transformations sociales ». D’après le Meat Atlas, l’Afrique et l’Asie du Sud-Est et de l’Ouest sont les plus faibles consommateurs de viande avec moins de 20 kg/an par habitant contre 35 kg/hab.an en moyenne mondiale. Tandis que l’Europe consomme en moyenne 77kg/hab.an et que certains pays sont à des taux bien supérieurs comme les États-Unis d’Amérique avec plus de 120 kg/hab.an et le Brésil et l’Australie avec près de 100 kg/hab.an.
La FAO estime que la consommation mondiale de viande devrait augmenter de 76% d’ici 2050 notamment poussée par l’Asie et l’Afrique, avec une évolution de +6% d’ici 2030 attendue en Afrique contre seulement 2% à l’échelle mondiale. En Asie, l’Indonésie, le Cambodge, le Laos, le Myanmar et le Pakistan seront les pays qui contribueront le plus à la croissance de la consommation de viande et de produits de la mer au cours des trois prochaines décennies.
A l’inverse et depuis 20 ans, en France comme dans d’autres pays industrialisés la consommation de viande, hors poisson, diminue. En Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, après une hausse importante de la consommation de viande au cours du 20ème siècle, la tendance est aujourd’hui à la baisse (-33% en Belgique depuis 2000, -21% en France) et des mouvances végétariennes, végétaliennes et véganes ont vu le jour défendant les valeurs des consommateurs. FranceAgriMer évalue d’ailleurs le nombre de personnes se déclarant de l’une de ces trois catégories a près de 8% au Royaume-Uni, 5,6% en Allemagne, 5,2% en France et 2,8% en Espagne.
Ces tendances mettent en évidence le rôle des consommateurs et leur impact sur les marchés. La diminution de la consommation de viande et la recherche de produits carnés de qualité notamment au regard de l’environnement et du bien-être animal entrainent une nécessaire adaptation de l’ensemble de la filière d’élevage de l’amont à l’aval.
La place des données sur les produits alimentaires dans les marchés
Aujourd’hui, le consommateur des pays riches se renseigne de plus en plus sur la composition et l’origine des produits qu’il consomme. Phénomène d’autant plus fort que la présence de produits ultra transformés y est monnaie courante. Toutefois, leurs demandes dépassent souvent les informations disponibles (nutriscore, données emballages…) alors qu’elles existent sous forme de données numériques, il s’agit donc d’inciter à la mise à disposition de l’ensemble de ces données aux consommateurs tout en assurant leur fiabilité.
Une nécessaire révision de nos modèles de consommation
Le gaspillage représente une part considérable des pertes à la consommation. L’ONU estime qu’un tiers de la production alimentaire destinée à la consommation est perdu chaque année soit 1,3 milliard de tonnes. Ce gaspillage, par les détaillants et les consommateurs, est particulièrement élevé en Europe et en Amérique du Nord avec entre 95 et 115 kg/hab.an, tandis qu’en Afrique Sub-Saharienne et en Asie du Sud-Est et de l’Ouest le gaspillage est bien plus faible avec entre 6 et 11 kg/hab.an.
Pour des politiques publiques en faveur du développement des filières répondant aux enjeux de sécurité alimentaire
Le développement des filières agricoles et agroalimentaires est indispensable pour assurer l’accroissement durable des productions animales et végétales, la production agroalimentaire et la disponibilité alimentaire. Ces visions, raisonnées à l’échelle des filières, doivent être appuyées et soutenues par la mise en place de politiques publiques ciblées notamment sur la recherche et la formation, la sélection végétale, la transformation et le développement des infrastructures, et la création d’organisations interprofessionnelles. Ces politiques publiques doivent emprunter des voies agroécologiques afin de prendre en compte la réelle nécessité de la sauvegarde de la biodiversité et la réelle dégradation environnementale qui est accrue par le changement climatique.
Également, une meilleure connaissance des besoins et des attentes des consommateurs doit être engagée pour orienter les filières et améliorer leur structuration.
Des politiques publiques en matière de recherche et de formation
Compte tenu des contraintes à lever pour permettre l’accroissement de la production et de la productivité mais aussi pour favoriser la disponibilité des ressources alimentaires (stockage et transport), un renforcement d’une part de la recherche et de l’innovation, et d’autre part des capacités de formation à la fois des acteurs des filières et des formateurs eux-mêmes sont indispensables. Ces travaux doivent également permettre l’insertion des jeunes dans les milieux agricoles et y valoriser la place importante des femmes.
Au niveau de la recherche, la levée des freins techniques et parfois culturels concernant la production végétale et l’élevage, mais aussi la transformation des productions, doit être développée en diffusant les innovations agroécologiques, socio-économiques et techniques nécessaires à chaque situation.
Au niveau de la formation, des politiques publiques d’accompagnement du renforcement de leurs capacités doivent être promues à tous les niveaux de formation et à toutes les échelles de la filière : de l’amont à l’aval, afin de soutenir des activités d’innovation, de développement des entreprises et de création d’emplois, en particulier pour les jeunes et les femmes.
De plus, ces démarches en faveur de la recherche et de la formation pourront être mieux valorisées par la mise en place de partenariats entre pays pour faciliter la diffusion des connaissances et renforcer les liens de coopération dans une visée globale d’atteinte des objectifs de sécurité alimentaire et de lutte contre le changement climatique.
Des politiques publiques en matière de sélection végétale
Les systèmes semenciers sont très divers en fonction des pays, comme en Europe ou en Amérique, le secteur public a un rôle de contrôle dans la création des semences tandis que le secteur privé dispose de capacités d’innovation dans la sélection variétale.
Cependant, certains pays ont un système semencier dit formel qui est géré par le secteur public et qui laisse insuffisamment d’opportunités au secteur privé. A défaut de faibles capacités d’innovation et d’adaptation des semences, ces agriculteurs n’auront pas accès à des variétés performantes. Dans ces régions, les semences paysannes provenant des agriculteurs dominent, néanmoins il est souhaitable de faciliter la création de liens avec le secteur formel si nous voulons amener l’ensemble de l’agriculture vers de meilleurs performances.
Enfin, l’innovation rendu possible par les NBT devrait être utilisé afin d’identifier et caractériser les gènes utiles au développement d’une approche agroécologique de la production végétales et ainsi participer à l’adaptation au changement climatique.
Amélioration des infrastructures tout le long des chaînes de valeurs agricoles
Dans certaines régions du monde, comme en Afrique ou en Asie (Chine), l’enjeu est aussi celui de la réduction des pertes tout au long des filières notamment en améliorant ou en installant des infrastructures pour le stockage et le transport des matières premières agricoles mais aussi en favorisant la mise en place d’unités de transformation. En effet, dans ces circonstances, des quantités importantes sont abandonnées et une grande partie de la production est exportée pour être transformée, la valeur ajoutée est dans ce cas produite hors des frontières de ces pays.
Dès lors, les politiques publiques devront considérer plusieurs enjeux dont la logistique pour mieux connecter les zones de production et les marchés entre d’une part, les zones rurales où les volumes à traiter sont plus faibles et, d’autre part, les zones urbaines où la demande est plus importante et où le marché est tourné vers des produits plus élaborés. Concernant les unités de transformation, elles doivent pouvoir s’assurer de la pérennité de leurs approvisionnements en matières premières et cela peut être facilité par des contractualisations entre producteurs et transformateurs garantissant ainsi une production agroalimentaire. De plus, ces unités de transformation doivent privilégier la production d’aliments pour l’alimentation humaine et/ou animale à forte valeur nutritionnelle afin d’inciter au développement des filières d’élevage et pour répondre aux besoins alimentaires des populations.
Ces besoins logistiques, d’infrastructures et le développement d’unités de transformation nécessitent des investissements considérables qui sont des freins à l’installation d’acteurs privés et/ ou de jeunes. Les politiques publiques devraient prévoir, en relation avec les bailleurs de fonds privés, la création de fonds d’amorçage et de « venture capital » pour accompagner l’introduction et le développement de l’innovation mais aussi des fonds spécialisés pour financer les capitaux propres des PMEs.
L’organisation des filières en interprofession
L’organisation des acteurs des filières de l’amont (agriculteurs) à l’aval (consommateurs) est primordiale pour connecter l’offre et la demande dans l’atteinte des objectifs de sécurité alimentaire des populations. Les dispositifs d’organisations en interprofession assurent le dialogue entre d’une part entre les acteurs d’une même filière et d’autre part entre les organismes publics et les organisations professionnelles (agricoles, commerciales et industrielles) et participent à l’élaboration de cadres réglementaires optimaux. Ces organisations interprofessionnelles nécessitent une gouvernance avisée entrainant une formation bien adaptée de manière à permettre aux acteurs de travailler conjointement dans le cadre d’un intérêt commun.
Conclusion
La nourriture, tout en répondant aux besoins de notre alimentation, restera toujours étroitement attachée à la culture des populations de notre planète Terre. De ce fait, elle reste mue par un instinct d’innovation propre à l’Homme dans la mesure où ses besoins quantitatifs peuvent être satisfaits.
Néanmoins, l’analyse que nous venons d’effectuer sur les principales productions de matières premières agricoles nous rappellent que :
- La nourriture, tout en répondant aux besoins de notre alimentation, restera toujours étroitement attachée à la culture des populations de notre planète Terre. De ce fait, elle reste mue par un instinct d’innovation propre à l’Homme dans la mesure où ses besoins quantitatifs peuvent être satisfaits.
- Le marché mondial des céréales, longtemps dominé par l’existence de deux blocs : l’Europe de l’Ouest d’une part et l’Amérique du Nord complétée par l’Argentine d’autre part, s’est par la suite étendu aux pays de la mer Noire, dont la Russie et l’Ukraine, qui participent pour 22% hors riz et pour 20% en comprenant le riz.
- Le marché des protéines végétales, dominé par les Etats-Unis après la Seconde Guerre Mondiale, s’est fait largement dépasser par les pays d’Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Uruguay…) qui fournissent aujourd’hui l’Europe, l’Asie et bientôt l’Afrique.
- L’Asie, quant à elle, a accéléré le développement de la production d’huile de palme (Malaisie, Indonésie) pour approvisionner l’Asie puis le reste du monde, notamment une partie de l’Afrique et de l’Europe.
- Enfin, le sucre reste, pour sa part, dominé par le Brésil, l’Inde et les pays ACP participent également au marché.
L’Afrique est très dépendante des importations de riz, de blé en moindre mesure, et reste extrêmement fragile dans la couverture de ses besoins en protéines végétales. Elle présente des risques de pénurie à court et moyen termes si des politiques publiques n’y remédient pas. Mondialement, cette situation nous montre qu’un certain nombre de pays demeurent très dépendants de l’approvisionnement en céréales ou en protéines végétales de quelques autres pays dominants. Nous ne pouvons que plaider pour une amélioration de la souveraineté alimentaire des différents continents, de manière à répondre à la fois aux besoins alimentaires de leurs populations et aussi satisfaire leur identité culturelle.
Pour répondre à une telle situation, l’Europe, par exemple, a jusqu’à présent produit globalement pour ses propres besoins en céréales, mais aussi en partie pour ses voisins de la rive sud de la Méditerranée (blé), ce qui devrait idéalement augmenter dans le futur. Mais l’Europe demeure toujours trop dépendante des importations de protéines végétales (soja principalement d’Amérique latine) avec le risque de déforestation accrue. C’est la raison pour laquelle l’UE a poussé à travers son programme en faveur de l’environnement à un plan protéines végétales (légumineuses) pour mieux couvrir ses besoins structurels.
La France tout particulièrement et l’Europe dans son ensemble possèdent des filières agricoles et agroalimentaires développées et efficaces dont l’expertise peut être bénéfique à de nombreux partenaires internationaux notamment via l’élaboration de partenariats de recherche et de formation (CIRAD, INRAE, IRD…). Ces capacités peuvent être partagées avec les pays dont la croissance démographique est importante, par exemple en Afrique, pour travailler conjointement à l’assurance de leur souveraineté alimentaire tout en luttant contre les crises sanitaires et le changement climatique.
« Nourrir les Hommes » nécessite ainsi la mise en place de politiques agricoles publiques pour répondre à une meilleure souveraineté alimentaire de chacune des grandes zones de la planète où la population s’accroît. Ces politiques publiques devraient pour le moins être harmonisées entre les pays producteurs et les pays déficitaires du globe et mettre en œuvre des outils de régulation des marchés afin d’éviter les lourdes fluctuations de prix de marché liées notamment à des insuffisances de régulation des stocks mondiaux.« Nourrir les Hommes » nécessite ainsi la mise en place de politiques agricoles publiques pour répondre à une meilleure souveraineté alimentaire de chacune des grandes zones de la planète où la population s’accroît. Ces politiques publiques devraient pour le moins être harmonisées entre les pays producteurs et les pays déficitaires du globe et mettre en œuvre des outils de régulation des marchés afin d’éviter les lourdes fluctuations de prix de marché liées notamment à des insuffisances de régulation des stocks mondiaux.
En outre, maintenir une population d’agriculteurs capables de valoriser cet ensemble des territoires de la planète nécessite que cette agriculture soit suffisamment attractive. Ainsi il nous faut réorienter nos politiques publiques depuis la production agricole jusqu’à la distribution de nos produits alimentaires, dernier volet encore marqué par un gaspillage afin de permettre à la filière agroalimentaire d’être plus agroécologique mais suffisamment efficace pour satisfaire les besoins de nos populations.