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Comment faire rebondir la France

Comment faire rebondir la France ? La question s’impose à plus d’un titre. Dans le contexte d’incertitudes géopolitiques et géostratégiques mondiales d’abord, dans la perspective du prochain quinquennat surtout. Les défis économiques que la France doit relever sont nombreux mais pas insurmontables. Mais pour ce faire il est nécessaire et indispensable en cette période de campagne électorale que se tienne un vrai débat d’idées et de propositions afin que les français se sentent impliqués et concernés par les enjeux à affronter dans les prochaines années : Comment arriver au pleinemploi ? comment organiser le financement de l’économie face à un endettement massif ? Comment réindustrialiser la France ? comment contrôler l’inflation et redonner du pouvoir d’achat ? investir dans la transition énergétique, etc. ?

Malheureusement, le débat économique est le grand absent de la campagne pour l’élection présidentielle. Pour éclairer le débat, parmi les 30 notes économiques que le Cercle des économistes va commettre dans les prochaines semaines, Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur apportent une réflexion et des propositions sur un modèle de six répartitions : répartition des investissements entre destruction et création d’emploi ; répartition de l’abondante épargne entre actifs risqués et actifs sûrs ; répartition des revenus selon les générations, etc. Dans tous les cas, l’interaction entre offre et demande apparaît en filigrane pour augmenter le pouvoir d’achat et retrouver le plein-emploi, en priorisant la jeunesse.

Les auteurs de cette note en sont convaincus : la France va rebondir… à condition de s’en donner de vrais moyens.


Introduction

Où va la France, vers un lent déclin ou le rebond ? Nul aujourd’hui ne peut répondre à cette question tellement l’incertitude est envahissante, dans tous les domaines, le sanitaire évidemment, mais aussi dans les modes de travail, de consommation et de production que des transformations inédites sont en train de bouleverser.

Qu’on le veuille ou non, les résultats économiques des vingt dernières années ont été franchement mauvais et n’ont pas cessé de s’aggraver. Ainsi, depuis 2008 et la grande crise financière, la croissance du PIB n’a pas dépassé annuellement 1%, du jamais vu depuis le 19ième siècle, en dehors de la crise de 1929 et des périodes de guerre ! Le tout alors que la France s’endettait rapidement et connaissait une généralisation des déficits de toute nature. Avec en parallèle, une jeunesse en partie sacrifiée, une crise des gilets jaunes et des tensions sociales d’une rare ampleur…

Et puis, il y a la triste réalité, cette incroyable désindustrialisation que les Français ont découvert si tardivement, parce qu’on s’est aperçu qu’on ne savait plus produire des biens sanitaires de première nécessité. Et puis, cette humiliation pour le pays de Pasteur, incapable de développer un vaccin alors même que l’ARN fut découvert à l’institut Pasteur ! Et puis, il y a toutes ces tensions géostratégiques dont les impacts économiques sont majeurs et qui laissent augurer des conflits violents, dans les années à venir sur les ressources et les matières premières, dont nous dépendons de manière exagérée, comme l’illustre un déficit commercial abyssal. Et puis, il y a ce chômage trop élevé des jeunes et des seniors qui distingue notre pays des autres pays avancés. Et puis, il y a ce formidable défi climatique qui nous oblige à décarboner nos économies à toute vitesse à l’échelle de l’histoire !

Et pourtant nous sommes convaincus que la France va rebondir. Pour cela il nous faut une véritable révolution intellectuelle, ce que nous avons développé sur le plan théorique dans « La Grande Rupture, réconcilier Keynes et Schumpeter ».

Tout repose sur deux concepts clés, celui des répartitions et celui de l’interaction offre et demande. Il ne s’agit pas d’une répartition mais, comme on le verra, de six répartitions déduites d’une représentation très originale de l’économie française. Quant au couple offre-demande, il est au cœur de toute politique économique créatrice d’emplois et de richesse. Tout cela conduit à l’ensemble de propositions sur les six répartitions, pour le quinquennat à venir à mettre en œuvre dès aujourd’hui, dans la perspective d’une trajectoire qui conduit au plein-emploi dans les deux quinquennats à venir.

Bien entendu, deux éléments d’environnement jouent de manière massive. D’une part, les déchirements géostratégiques dont personne ne sait aujourd’hui ce que ce sera leur résolution, sauf un ralentissement très marqué de l’économie mondiale, et puis les trous noirs de la théorie économique liés à la remise en cause de la théorie monétaire classique qui permettait de prévoir les évolutions des taux d’intérêt réels et de l’inflation.

Mais nos propositions éclairent le débat pour surmonter ces difficultés.

De l’impuissance économique au rebond

C’est sans nul doute la principale difficulté à laquelle sont confrontées les politiques économiques, le fait que la théorie économique est mise à mal par les faits constatés depuis la crise financière de 2008.

Mais il y a presque pire, beaucoup de problèmes posés aujourd’hui à nos sociétés n’ont pas de solutions simples et la tentation est grande de naviguer à vue. Que doit-on faire d’une dette publique et privée qui a explosé depuis 2008, au moment même où l’on se voulait rigoureux. Comment surmonter les incroyables défis que représentent aujourd’hui, la volonté de décarboner l’économie mondiale ? Comment contre-carrer la montée prodigieuse desinégalités sociales ?

Un sentiment général d’incertitude rend toute prévision et toute quantification de l’impact des mesures extrêmement difficile.

Les failles de la théorie économique

Quelle audace de sembler remettre en cause une théorie monétaire affirmée depuis si longtemps ! Pourtant, les faits poussent à considérer que ce qui apparaissait comme vérité éternelle ne l’est peut-être pas tant. Mais il n’y a rien là de nouveau, la théorie fut souvent remise en cause sans que l’on considère cela comme un crime de lèse-majesté. Deux failles apparaissent évidentes : celle de l’explication des évolutions sur les taux d’intérêt réels à long terme et celle du développement de l’inflation. Les deux sont fondamentales puisqu’elles vont conduire à impulser les politiques des banques centrales dans un sens ou dans un autre.

Le débat sur l’évolution des taux d’intérêt, à long terme est virulent. La fluctuation et la volatilité des paramètres économiques tels que la demande agrégée, les prix de l’énergie, la valeur monétaire, rendent réellement difficile l’anticipation de l’évolution des taux d’intérêt à long terme, soulignent les économistes. Ce qui peut mener à des erreurs en termes de politique monétaire.

En fait, deux thèses s’opposent, l’excès d’épargne sur l’investissement, cause structurelle, ou des politiques monétaires expansionnistes, cause conjoncturelle corrélée à l’inflation. Les banques centrales supposent notamment que si la politique monétaire reste expansionniste, à terme le taux d’inflation finira par augmenter. La thèse contraire suppose que si le taux d’intérêt réel dépend des caractéristiques structurelles de l’économie comme la productivité du capital ou le progrès technique, une politique monétaire expansionniste à long terme mènerait à une baisse de l’inflation, celle-ci étant déterminée par le taux d’intérêt nominal.

Mais surtout les économistes s’interrogent sur la simultanéité, pour les consommateurs occidentaux, d’avoir la possibilité de bénéficier d’une inflation faible, d’une monnaie peu coûteuse et donc très accessible et de profits élevés. Car tout ceci entraîne une croissance inédite du niveau de crédit, à des niveaux jamais atteints auparavant et pose la question de la résolution du problème de la dette publique et privée.

Une sortie de crise imprévisible

Tout est aujourd’hui imprévisible, comme le montre le cas des taux d’intérêt réels que nous venons d’évoquer. Cela fait plus de 10 ans que les taux d’intérêt réels diminuent et une hausse trop soudaine entraînerait une crise des dettes, compte tenu des taux d’endettement actuellement excessifs. Aujourd’hui encore, nous sommes incapables de comprendre l’origine des taux d’intérêt à long terme bas, leurs effets sur les intermédiaires financiers, sur l’inflation et sur la croissance et de déterminer les solutions pour rééquilibrer l’épargne et l’investissement.

Même chose pour l’inflation que nous sommes incapables d’anticiper, et que nous présentons pour les mois à venir, soit comme une hausse brutale des prix mais sans conséquence à terme, soit comme le démarrage d’un processus inflationniste extrêmement dangereux pour l’économie mondiale. Il n’y a plus de théorie de détermination de l’inflation anticipée ; or, celle-ci est essentielle dans la formation de l’inflation puisque les ménages préféreront toujours consommer aujourd’hui plutôt que lorsque les prix auront augmenté.

Les interrogations sans réponse

Nous vivons avec l’idée qu’il va nous falloir résoudre le problème de la dette et, de manière simultanée, mener une révolution écologique.

Qui aujourd’hui peut penser, à vue d’homme, à une manière de résoudre les problèmes de la dette publique et privée ? Les économistes ne savent pas comment l’aborder ni la régler. Toutes les théories circulent sur le sujet et certains estiment que la dette n’est pas un mal et que l’on peut continuer de la creuser indéfiniment, car l’Etat, qui ne meurt jamais, n’est pas un ménage ou un être humain. En outre, les uns martèlent qu’il faut annuler la dette publique, d’autres affirment qu’il faut la rembourser, car les conséquences sur les taux d’intérêt seraient désastreuses en cas d’annulation. Les économistes évoquent également l’incapacité à faire la différence, essentielle, entre l’illiquidité d’un acteur – qui est une difficulté de court terme – et son insolvabilité, qui l’empêche de régler ses dettes à long terme.

Quant au coût de la révolution écologique, les chiffres les plus formidables circulent dans le domaine du véhicule électrique, du coût de l’énergie et de ses effets sur tous les biens de consommation. Toutefois, admettre que cela se ferait sans endettement public – qui deviendrait ingérable – conduit à un problème majeur de répartition.

Le coût des dommages économiques provoqués par le changement climatique pourrait changer la donne. 738 économistes interrogés par l’Institute for Policy Integrity de l’Université de New York estiment à 1 450 milliards d’euros par an sur cinq ans. Un coût qui peut notamment se répercuter fortement sur les assureurs, investisseurs institutionnels de premier plan et donc indirectement, sur les marchés financiers. Quelles évolutions faut-il anticiper à l’avenir ? Les tribunaux américains reconnaissent maintenant la difficulté de réaliser de telles estimations économiques mais demande à la Securities and Exchange Commission (SEC) de réaliser des estimations de bonne foi en expliquant les raisons empêchant une quantification complète !

Réconcilier offre et demande

Face à cet univers de failles théoriques et d’incertitudes, il nous faut revenir à une réalité incontestable et incontournable, celle d’un déséquilibre macroéconomique dû à un excès de grande ampleur de l’épargne que la pandémie n’a fait qu’aggraver. Bien sûr, tout ne se réduit pas à cette réalité, mais la surmonter est la condition nécessaire au rebond économique.

L’économiste Lawrence Summers avait annoncé dès 2013, de manière prémonitoire, que les économies occidentales entraient dans une période où elles auraient bien des difficultés à retrouver le chemin d’une croissance forte et durable. L’expression « stagnation séculaire » revient alors sur le devant de la scène économique.

Nous sommes convaincus que, sans transformations majeures, le chemin de la croissance n’est pas compatible avec les inégalités de plus en plus fortes, le vieillissement de la population, le désordre financier ou les mutations technologiques. L’excès d’épargne, alimenté par le nouveau comportement des acteurs économiques et les profits en hausse excessive depuis plusieurs décennies, est tel qu’il ne parvient pas à être absorbé. C’est l’inverse des problèmes macroéconomiques auxquels nous sommes confrontés depuis plusieurs décennies !

Faut-il continuer à choisir entre les politiques de l’offre et celles de la demande, au risque d’y mêler des raisons idéologiques, sans tenir compte de leurs graves conséquences, comme l’a amplement démontré l’histoire ? C’est là une fausse alternative. Il faut abandonner la vision confinée à la seule demande ou à la seule offre. La croissance économique est le fait de l’interaction entre l’augmentation de l’offre et celle de la demande et ce dans une sorte de mouvement perpétuel, stimulé indéfiniment avec l’arrivée incessante de nouveaux produits et de nouvelles technologies. De la qualité de cette interaction dépend le dynamisme de l’économie.

Ce concept de réaction en chaîne est un concept de rupture avec celui classique de la croissance économique dont le moteur reste mystérieux. Il met ainsi fin à la querelle interminable entre les politiques de l’offre et celle de la demande et replace le débat sur ses véritables enjeux, à savoir que l’interaction entre l’offre et la demande est l’élément clé de la croissance économique que fait évoluer en permanence l’innovation.

C’est ce que nous avons fait à travers la détermination des six répartitions qui affectent l’offre et la demande et qui permettent une trajectoire équilibrée et inclusive.

Les six nouvelles répartitions

Le plus grand risque que court le prochain quinquennat, en dehors de chocs extérieurs non maitrisables, c’est celui de retrouver une croissance potentielle faible, légèrement supérieure à 1%. Celle-ci ne permet en aucun cas de revenir dans des délais acceptables au plein-emploi et de faire face au défi climatique. C’est la raison pour laquelle une trajectoire beaucoup plus rigoureuse ne peut se faire sans ce modèle des six répartitions.

Bien entendu, lorsque l’on parle de répartitions, on pense tout d’abord à celle entre profits et salaires. Mais cela ne suffit pas et la croissance souhaitable et vivable ne peut se fonder que sur les six répartitions évoquées, déterminées par les deux principes clés, aussi importants l’un que l’autre, celui de la demande effective chère à Keynes et celui de l’offre, de l’innovation comme destruction créatrice, chère à Schumpeter.

Ce modèle a donc pour prémices ce couple inséparable que forment l’offre et la demande soutenues par l’innovation, une « audace » qui permet d’identifier les leviers sur lesquels il faut prendre appui pour reformuler comment répartir les fruits de la croissance, en particulier entre profits et salaires, entre dépenses privées et publiques.

C’est toute l’originalité de notre approche de faire évoluer alors les six répartitions majeures qui suivent.

La répartition des revenus entre profits et salaires est la première des répartitions par la place qu’elle occupe comme par les controverses qu’elle a soulevées. Le profit a un double visage. Celui de la viabilité d’une l’entreprise et de ses investissements, gages d’une future offre et croissance ; celui d’un prélèvement sur la masse salariale, soit la source d’une moindre demande en biens et services. Les profits en hausse ne ruissellent nullement et leur excès ne se traduit pas par de plus grands investissements. Bien au contraire, face à une demande qu’ils perçoivent comme insuffisante, les entrepreneurs rationalisent les coûts de production, supprimant ainsi des emplois.

Et ce profit alimente aussi des inégalités de revenus et de patrimoines, qui ralentissent comme on l’a vu la progression de la demande effective. L’actuelle répartition profits-salaires est au cœur du ralentissement économique et de la montée inexorable des inégalités. Cette déformation excessive en faveur du profit doit être corrigée.

Mais d’autres répartitions ont, depuis plusieurs décennies, des effets délétères sur la demande effective.

La répartition des investissements entre destruction et création d’emplois doit, elle aussi, être revue. Elle est, par essence, liée aux formes que prend l’innovation et à la nature des investissements. Schumpeter avait de l’innovation une vision des plus larges puisqu’elle concernait autant les produits que les méthodes de production, les débouchés, les ressources ou l’organisation du travail. Cet univers schumpetérien tout comme le concept de destruction créatrice, tant à la mode aujourd’hui, décrit de manière inégalée les mouvements des sociétés face à l’accumulation d’innovations. Or certaines innovations technologiques, on le sait, permettent de substituer le capital au travail, la baisse des coûts, donc la suppression d’emplois, ce qui est l’objet même de leur mise en place.

Cette répartition porte donc sur l’équilibre à trouver entre ces investissements de rationalisation, par des innovations de processus par exemple, et les investissements d’expansion qui conjuguent création d’emplois et innovation de produits et de services. Cette répartition est au cœur des anticipations entrepreneuriales, avec toute la complexité qu’elle suppose. Prendre une décision revient, en effet, à mesurer l’effort de recherche développé par l’entreprise, son état d’avancement, la possibilité ou non d’en faire des innovations de rupture ou, plus modestement, de perfectionnement des produits.

De cette répartition dépend l’équilibre social pour au moins deux raisons. Si elle privilégie les rationalisations, elle engendre des tensions insurmontables sur le marché du travail. C’est revenir là au débat que les économistes ont tenu à propos du chômage technologique ; ou, dans le passé, à la traduction violente d’un rejet du machinisme par les Luddites anglais ou les canuts de Lyon au début du XIXe siècle. A contrario, stopper l’évolution vers une numérisation de nos économies revient à peser sur la croissance dont la faiblesse pourrait faire de la demande et de l’emploi ses premières victimes. Deuxième difficulté : les différents types d’activités n’emploient pas ,dans les mêmes proportions, travailleurs qualifiés ou non qualifiés ce qui pose la question du choix de société à faire.

La répartition de l’épargne entre actifs risqués et actifs sûrs est un autre déterminant, d’ordre financier, décisif pour la future croissance. Aujourd’hui, l’épargne est importante, trop importante, liée en particulier au désir des classes moyennes de se protéger face à l’allongement de l’espérance de vie. Elle est, en majorité, détenue par les seniors dont on connaît la forte aversion au risque et donc tournée vers des actifs sûrs, un phénomène qu’accentue encore la dette croissante de l’État. Or dans une société qui a besoin d’investir massivement dans l’innovation, ne serait-ce que pour faire face au défi climatique, la prise de risque est essentielle. La régulation des marchés ne pouvant garantir une bonne répartition entre épargne et investissement risqué, la puissance publique est invitée à donner des garanties au second.

Ce nouveau rôle de l’Etat pour atteindre une bonne répartition entre actifs risqués et actifs sûrs, ce qui va sans nul doute bouleverser les marchés financiers, est aussi d’inciter à développer l’épargne financière en actifs risqués et à montrer l’exemple en investissant à son niveau d’il y a quelques décennies.

La répartition des revenus selon les générations relève d’un autre volet de la nouvelle trajectoire de croissance. Aujourd’hui en faveur des actifs, donc au détriment relatif des jeunes de 20 à 30 ans, elle ne fait que ralentir la demande et augmenter l’épargne. Si le « dividende démographique », lié à l’arrivée massive de jeunes générations avait dopé pendant longtemps la consommation et l’investissement, ce n’est plus le cas aujourd’hui où elles sont non seulement moins nombreuses, mais aussi plus exposées à la précarité de leur statut et, partant, à la pauvreté comme l’a dramatiquement montré l’épisode du Covid.

A l’autre extrémité, les retraités dont les niveaux de pension étaient très faibles il y a quelques décennies, ont été la priorité légitime durant les dernières décennies et ont atteint des niveaux de vie en moyenne aujourd’hui proches, voire supérieurs à ceux des actifs. Et ce, à tel point que les jeunes retraités ont les moyens d’épargner sans avoir besoin de transformer leur patrimoine en liquidités. Car, conséquence de l’allongement de l’espérance de vie, ce sont ces jeunes séniors qui héritent, en moyenne à 60 ans, au lieu des jeunes actifs qui, destinataires auparavant de ces héritages, les transformaient en biens de consommation ou d’investissements.

La répartition des emplois selon les qualifications doit aussi être revue car la tendance du marché du travail est à une forte polarisation des emplois. La population active condamnée à des emplois très peu qualifiés n’a cessé d’augmenter pour répondre à la croissance soutenue des services, notamment ceux à la personne, tout comme la population des actifs aux hautes qualifications. Cette double évolution qui touche de plein fouet laclasse moyenne se traduit ainsi par la disparition de l’ascenseur social, une des promesses du contrat social à la française dont le mouvement des Gilets jaunes a montré combien cette forme de « trahison », à savoir un niveau de vie inférieur à celui de la génération précédente, était lourde de conséquences. Cette répartition entre emplois non qualifiés et très qualifiés est socialement intenable, d’où cette urgence pour la puissance publique de la rééquilibrer par des efforts très importants en matière de formation et, partant, de mobilité sociale.

La répartition des dépenses selon leur caractère social ou privé est sans doute la plus polémique. Nombreux sont ceux qui la considèrent à l’origine de la faiblesse française en matière de compétitivité. Et pourtant, elle a longtemps soutenu la demande en compensant les pertes de revenus suite à des accidents de la vie, en assurant la solvabilité de nombreux besoins essentiels dont la santé et les retraites. La protection sociale est l’œuvre de cet Etat providence mis en place après la Seconde Guerre mondiale et que de nombreux pays envient pour le haut niveau qu’elle a atteint dans le PIB, autour de 30 %. Quel économiste néoclassique aurait pu imaginer un tel effort de la part d’une économie libérale sans qu’il en menace la survie !

Or en ce début de millénaire, voire avant, l’heure est à limiter cet effort, à le réduire au nom de politiques dites d’austérité. La protection sociale est désormais moins efficace pour soutenir la demande, excluant de son champ d’action les jeunes actifs touchés plus que d’autres par la précarité et le chômage ou ce nouveau risque de dépendance qui touche les personnes âgées tentées ainsi par une forte épargne de précaution. Ces deux faiblesses criantes exigent de l’Etat qu’il les transforme en autant de priorités de la dépense publique, c’est-à-dire qu’il mise sur l’éducation et la santé dont on sait qu’elles sont les lieux où naissent et prospèrent les inégalités.

Les quatre ruptures du prochain quinquennat

Six nouvelles répartitions fondent les politiques économiques pour le prochain quinquennat et se traduisent en quatre grandes ruptures.

Nous affirmons, modélisation à l’appui, que les six nouvelles répartitions proposées sont la condition nécessaire d’une croissance raisonnable, soutenable et inclusive, au plus loin d’une croissance captée par quelques-uns et dont le coût environnemental est dévastateur. Elle devrait atteindre, ce qui à la fois possible et nécessaire, 2,2% du PIB en moyenne annuelle, un chiffre qu’a connu la France entre 1994 et 2008. Cette croissance doit se conjuguer avec un effort d’investissement supplémentaire, ambitieux mais réaliste, d’environ 2 points de PIB, soit autour de 50 milliards d’euros annuellement jusqu’en 2050 pour contribuer à la neutralité carbone.

Rappelons à grands traits les conclusions auxquelles nous avons abouti grâce à notre modélisation afin d’éclairer les évolutions des nouvelles répartitions.

La répartition des revenus entre profits et salaires : la part des salaires doit croître d’au moins 4 points de PIB, soit un transfert d’environ 100 milliards d’euros des profits vers les salaires.

La répartition des investissements entre destruction et création d’emplois : environ 60 % en faveur des investissements doivent être destiné à l’expansion des capacités de production, créatrices d’emplois, afin de limiter la part d’investissements de rationalisation détruisant les emplois.

La répartition de l’épargne entre actifs risqués et actifs sûrs : il faut doubler l’épargne dédiée aux actifs risqués et investir deux points de PIB supplémentaires à part égale, du public et du privé. L’Etat devra apporter sa garantie jusqu’à environ 30 % des investissements privés stratégiques.

La répartition des revenus selon les générations : il faut augmenter progressivement le revenu des jeunes générations d’au moins 20% pour retrouver des revenus au moins égaux aux revenus moyens.

La répartition des emplois selon les qualifications : la part des très qualifiés doit être portée de 20 à 30%, tandis que la part des peu qualifiés doit être abaissée de 20 à 10%.

La répartition des dépenses selon leur caractère social ou privé : il faut accroitre fortement les moyens dédiés à l’éducation et à l’insertion des jeunes dans notre pays, de l’ordre de 2 points de PIB, soit environ 50 milliards annuellement. Il faut également accroitre le poids des dépenses de santé d’environ 2 points de PIB, tandis que le poids des dépenses de retraite dans le PIB devrait baisser ainsi que le poids des dépenses de chômage.

Pour le prochain quinquennat, plein-emploi, pouvoir d’achat, révolution industrielle et jeunesse doivent devenir les quatre maîtres-mots du rebond français, alimentés par l’évolution radicale des six répartitions identifiées.

Retrouver le plein-emploi

Le chômage a réellement baissé durant le mandat du Président Macron, passant de 9,5% à 7,4%, mettant fin à ce qui semblait depuis trop longtemps une fatalité. Cependant les derniers chiffres montrent une hausse notable des emplois en intérim, des contrats de courte durée. Or la réduction du chômage n’a pas à être le synonyme d’emplois précaires et sous-qualifiés.

Selon notre modèle de croissance et ses six répartitions, atteindre le plein-emploi devient possible pour les prochaines décennies. C’est-à-dire créer deux millions d’emplois pour atteindre un taux de chômage de 3 à 4 %, reconnu comme reflétant le plein-emploi. Ce qui ne peut se faire sans investir dans de nouvelles capacités de production, une opportunité offerte par la révolution industrielle à mener comme par les relocalisations d’activités dont la pandémie du Covid a montré la nécessité.

C’est là où s’impose une nouvelle répartition des investissements entre destruction et créations d’emplois. On le sait, seules les vraies innovations, notamment de rupture, tirent la croissance vers le haut comme l’ont illustré les Etats-Unis avec la diffusion rapide à la fin du XXe siècle des microordinateurs et du réseau Internet. Encore faut- il que l’écosystème français de l’innovation, universités, centres de recherche, entreprises innovantes, start-ups, capital-risque, soit à la hauteur de cette ambition.

Le plein-emploi de ces prochaines décennies repose, en effet, sur des innovations qui exigent des investissements d’expansion, ce dont sont incapables les investissements de rationalisation. Ce nouvel équilibre repose, dans notre simulation, sur une part d’environ 60 % en faveur des investissements d’expansion. Les Etats- Unis, encore une fois, montrent l’exemple en ayant, dans la plupart des États, instauré un bonus-malus fiscal pénalisant les entreprises qui licencient trop de personnel.

Tout cela suppose de faciliter la hausse des qualifications intermédiaires en formant mieux les peu qualifiés et en reconnaissant davantage les apprentissages par l’expérience. La révolution numérique en cours reste une source majeure d’emplois à venir sous réserve que la France propose de vraies formations qualifiantes.

Les peu qualifiés qui représentent environ 20% des emplois doivent n’en représenter plus que 10% à l’avenir. Dans les faits, on ne pourra pas échapper à une nouvelle réflexion sur ce qu’on appelle trop facilement les emplois non qualifiés. Et c’est bien le cas de l’aide à la personne dont les rangs ne cessent de grossir. Or le désintérêt, dont les qualités humaines comme l’empathie et la bienveillance font l’objet, participe du désenchantement à l’œuvre dans les pays occidentaux. Construire à grande échelle les nouveaux dispositifs de deuxième chance et de mobilité sociale est aussi l’un des facteurs de réussite de l’économie française.

C’est à ces conditions qu’il est possible, dans dix ans, d’avoir un taux de chômage de l’ordre de 3 à 4 % ainsi que des emplois de qualité, au plus loin du chômage de masse dont la France s’est fait trop longtemps la spécialité.

Augmenter le pouvoir d’achat

Pour réussir le retour au plein-emploi et au dynamisme économique, la répartition des revenus entre profits et salaires doit être revue en profondeur. Or l’opportunité existe, les profits n’ayant jamais été aussi élevés ! La part du profit dans le revenu est en effet passée, en France, de 27% dans les années 1960 à 35 % de nos jours, malgré une croissance affaiblie, ce qui infirme une fois de plus cette vague théorie du ruissellement.

Rééquilibrer fortement la répartition du revenu au profit des salaires revient à dynamiser la demande et, partant, l’économie. C’est un moyen important, certes pas le seul, pour dynamiser la croissance économique et retrouver de notables gains de productivité, gages d’une augmentation durable du pouvoir d’achat.

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    On suppose une croissance salariale à hauteur des gains de productivité annuels de 1,8% et un rééquilibrage en faveur des salaires de 1 point de PIB dès la première année et de 1 point supplémentaire dans 10 ans. Le salaire moyen mensuel étant de 2420 euros, la hausse serait respectivement de 5% et de 23%.

Admettons un transfert en dix ans de 2 points de PIB : c’est dès la première année une augmentation mensuelle réelle de l’ordre de 120 euros pour un salaire moyen, de 560 euros dans dix ans1. Et bien plus si le choix est fait de favoriser les 40% de ménages modestes.

Le prochain quinquennat doit se préparer à initier un vrai choc des salaires, non pas pour seulement compenser l’inflation qui s’emballe, mais plus fondamentalement pour faciliter l’équipement des ménages avec les nouveaux produits de la révolution industrielle. Sans augmentation notable du pouvoir d’achat, la taxe « carbone » sera toujours socialement insupportable et le retour des « gilets jaunes » programmé !

Dès le prochain quinquennat, c’est donc un nouvel élan contractuel dont les pouvoirs publics doivent prendre l’initiative pour un nouveau Grenelle des salaires, des gains de productivité, de la croissance et de sa répartition équitable.

Dans ce cadre, il faut envisager dès la première année une augmentation de 10% du pouvoir d’achat pour les salariés modestes, que ce soit sous forme d’augmentations de salaires, de primes exceptionnelles, de l’intéressement ou de la participation aux bénéfices. Conditionner le versement de dividendes aux actionnaires au versement d’un « dividende salarié » est une proposition à mettre en œuvre systématiquement dans toutes lesentreprises ; leur dynamisme en sortira grandi ! Attribuer du capital aux salariés pourrait avoir aussi un même effet.

De plus, le remboursement des prêts garantis par l’État (PGE) pourrait être quelque peu diminué pour les entreprises faisant un effort en faveur du pouvoir d’achat, car un contexte de meilleure croissance facilitera leur emboursement.

Initier une nouvelle révolution industrielle

Le changement climatique exige d’énormes efforts, comme diviser par un facteur d’au moins 5 nos rejets de GES en moins de 30 ans ! La sobriété énergétique, certes nécessaire, n’est pourtant pas à la hauteur des enjeux.

A abandonner le charbon, le pétrole et le gaz, c’est une véritable révolution industrielle qui s’impose pour changer de système technique en seulement trois décennies. Au menu, des voitures électriques pour remplacer les véhicules thermiques, des pompes à chaleur pour remplacer les chaudières, des éoliennes en mer et des panneaux voltaïques pour remplacer les centrales à charbon et au gaz, des réacteurs nucléaires pour accroître la production tout en stabilisant les réseaux électriques, des avions électriques ou à hydrogène, des installations de biomasse pour fournir de la chaleur et de l’électricité, etc. D’où la nécessité d’une réindustrialisation profonde de la France qui ne peut se contenter d’importations.

C’est bien 50 milliards supplémentaires par an qu’il faut investir dans les technologies, dès le début du prochain quinquennat. Ce qui est possible avec notre nouveau scenario de croissance et l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages qu’il suppose.

Nous préconisons de doubler la production d’électricité via les énergies renouvelables et le nucléaire, au lieu de se contenter de la timide augmentation du scénario RTE. Cet objectif ambitieux est l’occasion de jeter les bases industrielles de tous les écosystèmes nécessaires, piliers d’un futur déploiement à grande échelle et d’une réindustrialisation au bénéfice de l’emploi et de la souveraineté énergétique.

Doubler la production d’électricité d’ici 2050, change totalement la perspective car il faudra utiliser tous les moyens disponibles au maximum de leur capacité de production. Nous avons pris un retard considérable dans la mise en œuvre des éoliennes en mer, du solaire ou du « nouveau » nucléaire. Ces délais de mise en œuvre de nouvelles installations en France sont inadmissibles pour notre pays qui a encore de vraies capacités industrielles et qui a été capable de construire la précédente génération de centrales nucléaires en 6 ans.

Dans les dix ans à venir, la France doit être capable de mettre en service pléthore d’éoliennes en mer et d’installations solaires ainsi que quelques centrales nucléaires, tout en prolongeant la durée de vie des centrales nucléaires actuelles qui le méritent. La France doit alors se fixer un objectif très ambitieux, mais réaliste, d’augmentation de la production d’électricité de l’ordre de 30% afin de s’inscrire dans cette nouvelle révolution industrielle.

Donner priorité à la jeunesse

Le revenu des jeunes générations est de l’ordre de 20 % en dessous du revenu moyen national pour l’ensemble des pays de l’OCDE, un véritable retournement de situation si l’on se place 50 ans en arrière ! Ce mouvement de fond fait des jeunes une « variable d’ajustement », les premiers touchés par le chômage et la précarité, par des revenus en baisse relative et un prix d’accès au logement de plus en plus élevé. Seul un plan d’envergure en faveur des jeunes générations peut les sortir de cette impasse injustifiable dont la pandémie du Covid a révélé au grand jour les effets dévastateurs que sont la détresse financière ou psychologique.

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    Actuellement, 139 écoles E2C accueillant 15 000 jeunes et vingt centres EPIDE offrent environ 3 000 places.

Au-delà du renouveau indispensable du système éducatif, la grande priorité stratégique n’est autre que l’inclusion économique de ces jeunes de 15 à 29 ans qui sont sortis du système scolaire sans diplôme et qui ne sont ni en emploi, ni en formation. Les plans comme « un jeune, une solution », lancé depuis 2020 et offrant une formation à chaque jeune de plus de 16 ans sont très utiles. Mais le défi est immense car ce sont 1,5 millions de jeunes quisont concernés ; encore dénommés les Neets (Not in Education, Employment or Training), ils représentent près d’un jeune sur sept, voire un sur quatre dans les quartiers prioritaires. Il faut multiplier les Écoles de la deuxième chance (E2C) et les Établissements pour l’Insertion dans l’Emploi (EPIDE) qui ont fait leurs preuves. En un quinquennat, il est possible de tripler le nombre de ces écoles2 .

Les jeunes subissent de plein fouet la hausse des loyers devenus prohibitifs tout en étant exclus de l’attribution des logements sociaux, leur population vieillissant sur place. Le logement social doit être repensé afin d’en faire bénéficier les jeunes.

Durant les deux prochains quinquennats, les jeunes générations doivent pouvoir compter sur la solidarité intergénérationnelle. Nous sommes d’accord pour l’allongement de la vie au travail, dans des conditions de prise en compte de la pénibilité et des carrières longues. C’est de nature à générer une baisse du poids des retraites et donc à autoriser un effort en faveur des jeunes.longues. C’est de nature à générer une baisse du poids des retraites et donc à autoriser un effort en faveur des jeunes.

Dans le cadre d’une politique de protection sociale orientée vers les jeunes, il faut baisser la CSG pour ceux qui ont des revenus modestes, comme cela se fait pour les retraités. Pour soutenir les projets des jeunes, il faut aussi attribuer un petit capital à tous les jeunes d’environ 20-22 ans qui ne peuvent bénéficier de transferts de la part de leurs parents. Ces politiques seraient un signal fort d’une nouvelle solidarité envers les jeunes générations.

Conclusion

Le prochain quinquennat ne sera pas facile à l’évidence, car une sortie de crise est toujours très problématique, surtout dans un environnement mondial déstabilisé.

Nous avons construit une vraie ambition pour le rebond de notre pays qui ne pourra être fondé que sur des évolutions radicales des six répartitions que nous avons identifiées. C’est aussi une façon de bâtir une nouvelle économie plus dynamique et plus résiliente face aux défis actuels

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