Les acteurs sociaux, puissants leviers de la mobilisation collective dans notre démocratie. Cette belle équation, à l’aube du nouveau quinquennat, mérite d’être entretenue. Le débat démocratique a été échaudé ces dernières années par de violents mouvements de contestation économique et sociale.
Comment repenser notre modèle de fonctionnement face à ce que l’auteure de cette note voit comme une crise de démocratie représentative, démocratie participative inopérante, voire galvaudée ? Selon Claire Thoury, la question n’est pas de savoir s’il faut ou non faire de la participation mais ce que cela implique en matière de partage des pouvoirs.
La présidente du Mouvement associatif, membre fondateur du Pacte du pouvoir de vivre, rappelle ici les grands enjeux et la philosophie de l’action. Un vibrant appel au travail collectif.
« La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres ». Cette phrase de Winston Churchill est-elle encore juste 80 ans plus tard ? Le constat d’une démocratie fatiguée semble aujourd’hui faire consensus. Et si le Pacte du pouvoir de vivre ne veut pas réduire la démocratie à l’élection, les taux de participation aux votes sont des signaux qu’il nous faut entendre. De fait, nos concitoyens se montrent toujours plus distants avec les urnes comme l’atteste le taux de participation à la dernière élection présidentielle, l’un des plus bas de la Vème République. Comment expliquer cette fatigue démocratique ? Peut-on dire de ce régime qu’il est aujourd’hui en crise ? Et si tel est le cas, comment l’expliquer et – surtout- quelles solutions ou alternatives peut-on élaborer collectivement ?
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Voir notamment Beck, Ulrich, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Editions Flammarion, 2008 ; Giddens, Anthony, Giddens, Anthony, Les conséquences de la modernité, L’Harmattan, 1994
Comme le montrent les travaux d’Anthony Giddens ou d’Ulrich Beck, la crise démocratique, dont on parle depuis plusieurs dizaines d’années, semble être le revers de la médaille du passage à une modernité avancée1 caractérisée par l’avènement de l’individu en tant qu’être autonome partiellement affranchi de ses appartenances communautaires. C’est un progrès par les valeurs émancipatrices qu’il porte en lui, mais qui provoque l’émergence d’une société du risque.
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Ehrenberg, Alain, La fatigue d’être soi. Dépression et société, Editions Odile Jacob, 2000
Les maux, les difficultés, les menaces, ne viennent plus de l’extérieur mais sont engendrés par la société elle-même. Le processus d’individuation exige pour chacun de nous de se définir, de se construire et nous rend ainsi responsable de nos succès et de nos échecs. Le passage à la seconde modernité a donc un double effet : les individus sont plus libres, ont le droit de choisir leur vie parmi une infinité de possibilités mais cette infinité de possibilités induit une responsabilité très forte qui peut avoir un effet anxiogène et provoquer une « fatigue d’être soi »2 . La seconde modernité ébranle également le caractère sacré des institutions chargées jusqu’ici de socialiser les individus.
Cette émancipation des individus pris dans une injonction contradictoire les rend beaucoup plus exigeants vis-à-vis du système lui-même. Cette exigence, si elle n’est pas satisfaite, se transforme au mieux en défiance, et au pire en indifférence au risque de remettre en question le système lui-même.
Cet article propose de revenir sur notre modèle démocratique en nous intéressant à sa nécessaire complexité pour un fonctionnement opérant qui réponde aux besoins de notre société dans la durée et aux aspirations des individus qui la composent qui refusent de plus en plus d’être de simples observateurs sollicités ponctuellement pour choisir leurs représentants. Cette évolution dans les aspirations des citoyens pose la question centrale du pouvoir et de son partage : qui décide pour qui, à quelles conditions et jusqu’à quel point ?
Une crise de la démocratie représentative
Le diagnostic partagé – par les chercheurs mais aussi à l’appui des témoignages recueillis au quotidien par plusieurs organisations du Pacte du pouvoir de vivre – d’une démocratie représentative en crise repose sur une distance de plus en plus grande des citoyens vis-à-vis des urnes, d’une confiance ébranlée envers le politique et sa capacité à apporter des réponses aux problèmes ou aux difficultés rencontrées et, d’une défiance très forte à l’égard des institutions jugées inopérantes, inadaptées voire plombantes.
Une abstention croissante, particulièrement forte chez les plus jeunes
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le taux d’abstention, quel que soit le type d’élection, ne cesse de croître pour atteindre le chiffre considérable de 84% d’abstention des 18-24 ans aux dernières élections régionales et départementales.
Cette abstention croissante traduit un éloignement des individus vis-à-vis des urnes, pour des raisons pratiques (la non-inscription et la mal inscription concerne plus de 12 millions d’électeurs en France), sociales et/ou politiques. Parmi les raisons plus politiques ou sociales de l’abstention, le lien avec celles et ceux qui nous représentent, la connaissance et la compréhension de leur rôle, le sentiment d’efficacité de la politique et de l’action publique, le regard porté sur les élus, sont bien sûr à considérer. A ces raisons s’ajoutent le sens et la place du vote qui n’est plus unanimement vécu comme un rituel obligé ou un devoir.
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Voir notamment Tiberj, Vincent, Des citoyens qui viennent : comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France ?, Le Lien Social, Presses Universitaires de France, 2017 ou plus récemment, Haute, Tristan, Tiberj Vincent, Extinction de vote ?, La vie des idées, 2022
Pour les membres du Pacte du pouvoir de vivre, notre démocratie est sans doute moins malade de ses institutions que de l’esprit dans lequel nous les faisons fonctionner. Pour autant, cette abstention croissante interroge la pérennité de notre système : une démocratie représentative avec aussi peu d’électeurs peut-elle fonctionner ? Le rapport à la démocratie des plus jeunes d’entre nous traduit-il un effet d’âge ou un effet de génération ? Autrement dit, si les moins de 30 ans votent si peu aujourd’hui, voteront-ils lorsqu’ils seront plus âgés ou ne voteront-ils jamais ? Cette question n’est pas neutre puisque dès lors qu’il s’agit d’un effet de génération, comme le démontrent les travaux de Vincent Tiberj3 ou l’avis du CESE, Engagement et participation démocratique des jeunes, voté en mars 2022, cela signifie que la part de ceux qui votent diminue de façon pérenne et met donc en péril le système représentatif tel qu’on le connaît.
D’ailleurs, comme le propose l’avis du CESE, cette question nous oblige à interroger plus largement la question de la place des jeunes dans notre société. Catégorie sociale mouvante par définition puisque tout le monde est jeune un jour et que tout le monde finit par ne plus l’être (dans l’acception courante du terme).
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Lima, Léa et Vial, Benjamin, « La jeunesse : l’âge du non-recours ? » in Chevalier Tom, Loncle Patricia (dir), Une jeunesse sacrifiée ?, La Vie des Idées, 2021
Ceci explique peut-être que le législateur, entre autres, se permet vis-à-vis de cette partie de la population des jugements et des discriminations qui ne passeraient auprès d’aucune autre. Ainsi, si le Pacte du pouvoir de vivre demande l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans, c’est avant tout pour permettre à des jeunes – dont 1 sur 4 vit sous le seuil de pauvreté – qui ne sont plus étudiants (donc sans bourses), sans recours ni soutien familial, de ne pas sombrer dans la grande pauvreté. C’est donc une mesure sociale. Mais c’est également une mesure démocratique. En refusant aux moins de 25 ans l’accès aux mêmes droits que leurs « aînés », on enferme les jeunes dans un statut d’enfant dépendant de leurs parents et on renvoie l’image, accessoirement jamais documentée, d’une jeunesse qui refuserait de travailler et s’insérer socialement si elle bénéficiait d’une aide. Comme l’écrivent Léa Lima et Benjamin Vial, « au motif de leur supposés immaturité psychique et détachement par rapport au travail, les jeunes pauvres sont maintenus dans un statut dégradé de citoyenneté sociale »4.
Cette question relève donc d’une bataille culturelle et démocratique que le Pacte du pouvoir de vivre doit gagner avec d’autres. Celles et ceux qui refusent que la société dise aux jeunes qu’ils ne seront pas socialement adultes avant 25 ans tout en regrettant leur niveau d’abstention aux élections, qu’ils ne sont pas assez responsables pour bénéficier des minimas sociaux mais qu’ils le sont suffisamment pour répondre pénalement de leurs actes. Ce faisant, elle fait preuve, à la fois d’un manque de confiance criant, mais aussi d’une méconnaissance ou d’une incompréhension de la situation dans laquelle les jeunes vivent dans ce pays. Ce double défaut de confiance et de connaissance, né notamment de l’absence d’écoute de la société civile organisée, explique une partie de la défiance et de la distance des plus jeunes envers les élus et les institutions.
Qui atteste de colères montantes difficiles à ignorer
La situation des plus jeunes ainsi que leur rapport aux institutions
et à la démocratie représentative sont des éléments essentiels
dont les organisations membres du Pacte du pouvoir de vivre sont
nombreuses à s’emparer pour proposer des mesures systémiques
qui répondent à cette défiance. Une défiance qui se transforme pour certains en désintérêt et qui risque, si nous n’agissons pas de façon ambitieuse, de devenir irréversible.
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Pickard Sarah, Van De Velde Cécile, « Trois portraits de la colère chez les jeunes adultes » in Une jeunesse sacrifiée ?, op.cit
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Ibid
Comme le montrent Sarah Pickard et Cécile Van De VeldeDuis aute irure5 dans l’ouvrage dirigé par Patricia Loncle et Tom Chevalier cité plus haut, la stigmatisation des plus jeunes, la posture infantilisante à leur égard, la pauvreté et/ou la précarité dans lesquelles la société tend à les enfermer ou les assigner, provoquent des colères parfois sourdes, parfois bruyantes. Ces colères se manifestent différemment selon que l’on soit plus ou moins intégré à la société, mais dans tous les cas impossibles à ignorer tant elles sont « à l’origine de changements notables dans la participation politique des jeunes générations »6.
Si ces colères ont des sources différentes, elles s’expriment dans le rapport aux urnes via une abstention très importante ou une polarisation du vote. Elles s’illustrent aussi par des choix de vie qui sont aussi un moyen d’expression politique qui entraine une exigence encore plus forte vis-à-vis du « système ou des élites » accusés -à tort ou à raison- de ne pas incarner les valeurs qu’ils prétendent défendre.
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Ces colères ne sont pas sans rappeler le mouvement des Gilets jaunes qui a surgi dans la foulée de l’instauration de la taxe carbone. Sans imaginer l’ampleur du mouvement, plusieurs organisations à l’origine du Pacte du pouvoir de vivre -initié le 5 mars 2019- avaient prévenu que cette taxe ne serait pas socialement acceptée sans une redistribution vers les ménages les moins aisés qui n’ont pas d’autres choix pour se déplacer que de prendre leur voiture. Qu’elles prennent la forme d’un discours antisystème, d’une abstention volontaire ou d’une radicalisation militante7, ou un peu des trois à la fois, ces colères s’expliquent en grande partie par une défiance vis-à-vis des élus et in fine du système démocratique représentatif dans son ensemble. Provenant de classes moyennes subissant le sentiment de déclassement, des victimes des inégalités ou de jeunes stigmatisés et discriminés, ces colères ne peuvent pas être ignorées.
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https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/grand-debat-national
En réponse à cette colère, le président de la République propose
alors – outre des mesures financières- l’organisation d’un Grand débat national de mi-janvier à mi-avril 2019 dans lequel « les Français ont été invités à mettre des mots sur leurs difficultés, à exprimer leurs attentes, à écrire leurs colères »8.
C’est dans cette période de mise en place du Grand débat dont nous avons soutenu le principe et auquel la plupart de nos organisations ont participé – sans naïveté ni procès d’intention – que naît le Pacte du pouvoir de vivre. La conviction partagée qui réunit nos organisations (19 à cette époque, 64 aujourd’hui) à ce moment-là est double : donner à voir aux citoyens qui expriment leurs colères de façon parfois violente qu’il existe une façon constructive de prendre part au débat d’une part, placer le pouvoir de vivre au cœur de l’agenda politique en élaborant des propositions concrètes qui articulent les enjeux environnementaux, sociaux et démocratiques, d’autre part.
Une démocratie participative inopérante voire galvaudée
La démocratie participative est souvent présentée comme l’une des réponses à la crise démocratique, en réponse à une appétence de citoyens qui souhaiteraient davantage être associés et sollicités dans les processus de décision des politiques publiques. Le Pacte du pouvoir de vivre soutient ce principe qui, en théorie, apparaît comme l’une des solutions pertinentes pour faire vivre la démocratie de façon continue. Néanmoins, si le cadre, la méthode, les attendus et les objectifs de la participation ne sont pas clairement définis et ne garantissent pas la sincérité des processus (comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui), les effets obtenus peuvent être l’opposé des effets recherchés par leur caractère déceptif.
Par ailleurs, répondre systématiquement à la crise de la démocratie représentative par des exercices de démocratie participative alimente deux phénomènes vis-à-vis desquels il faut être prudent. Tout d’abord, celui d’un pouvoir qui peut répondre à la défiance dont il est l’objet en se contentant d’associer les citoyens dans des cadres très institutionnalisés utiles mais insuffisants. Ensuite, celui d’un pouvoir qui dialoguerait directement avec les citoyens et qui se passerait des corps intermédiaires.
Un exercice participatif parfois dépolitisé
Le Pacte du pouvoir de vivre considère que l’exercice participatif des citoyens est essentiel pour inscrire la démocratie dans un continuum, pour atténuer la distance entre ceux qui décident et ceux qui subissent les décisions ou encore pour faire de la pédagogie auprès des habitants d’un territoire comme c’est le cas lorsque des budgets participatifs sont mis en place.
En revanche, le Pacte considère que deux principaux écueils doivent être évités pour que les effets de ces processus participatifs ne soient pas contre-productifs.
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https://www.pactedupouvoirdevivre.fr/projet/propositions/le-pouvoir-de-participer/79-encadrer-de- garanties-les
Le premier est celui de la redevabilité. Pour que cela fonctionne, il faut que le cadre, les règles, les attentes et surtout les marges de manœuvre laissées aux citoyens soient clairement posés. C’est le sens d’une proposition du Pacte qui vise à encadrer de garanties les processus participatifs et délibératifs9, par exemple sur le temps laissé pour la délibération, la temporalité de la consultation, la transparence du processus, l’impartialité des organisateurs, des conditions préalables à la participation… Le cas de la Convention Citoyenne pour le Climat est un exemple qui illustre parfaitement l’exigence de transparence en matière de redevabilité. L’exercice est intéressant aussi bien sur le fond que sur sa forme et son résultat immédiat tout autant avec des propositions sérieuses et documentées, formulées par des citoyens éclairés par 9 mois d’échanges avec des associations, des chercheurs et des ONG. Il démontre concrètement que la transition écologique, quand bien même elle ne relève pas d’un choix mais d’une contrainte qui nous dépasse tous, peut être acceptée voire impulsée socialement.
En déclarant avant la Convention que les propositions seraient reprises « sans filtre », le président de la République en a fait un objet de communication peu respectueux des institutions mais surtout des participants à la Convention. En revenant sur cet engagement irréaliste, il a donné un goût amer à cet exercice pourtant novateur en France.
Le deuxième écueil à éviter est celui de la dépolitisation. C’est assez contre-intuitif, mais l’exercice participatif, trop institutionnalisé et codifié, peut s’avérer descendant ou limitant et participer de la dépolitisation des citoyens qui ne seraient consultés que sur une partie d’un sujet et à qui on ne permettrait pas d’avoir une vue d’ensemble qui nécessite d’autres formes de participation démocratique dans des cadres variés.
La question n’est donc finalement pas de savoir s’il faut ou non faire de la participation mais bel et bien ce que cela implique, notamment en matière de partage du pouvoir avec celles et ceux qui participent. Par exemple, la loi de 2002 sur la démocratie de proximité rend obligatoire la création des conseils de quartiers dans les communes de plus de 80 000 habitants, institutionnalise la consultation, la systématise dans les villes les plus peuplées. Dans la pratique, la façon dont ils sont utilisés ou influent les politiques publiques locales dépend grandement de la volonté de l’élu. Par ailleurs, ces conseils ne sont que consultatifs et se révèlent souvent peu participatifs sur le fond comme sur le nombre de personnes présentes.
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https://ses.ens-lyon.fr/articles/la-democratie-participative-entretien-avec-loic-blondiaux
Lorsqu’on l’interroge sur les raisons qui expliquent les critiques vis-à-vis des exercices de démocratie participative, Loïc Blondiaux10 identifie trois éléments :
1. Les démarches de participation portent souvent sur des enjeux dérisoires, « les autorités publiques hésitent à soumettre à la participation des projets ou des choix importants, par peur de la confrontation politique ou de perdre la maîtrise de la décision. Et, dans la grande majorité des cas, la participation n’influe pas sur la décision. Elle reste de l’ordre de la consultation plus que de la co-construction de la décision avec les citoyens. Bien souvent, elle n’est qu’un habillage pour entériner des choix déjà faits par les représentants. Lorsque les citoyens consultés ont le dernier mot, c’est pour une part de décision très résiduelle, comme c’est le cas avec les budgets participatifs. Il en résulte un manque de confiance des citoyens dans les dispositifs participatifs et une réticence de leur part à s’y impliquer ».
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https://www.pactedupouvoirdevivre.fr/projet/propositions/le-pouvoir-de-participer/80-faire-evoluer-les- processu
C’est la raison pour laquelle le Pacte du pouvoir de vivre propose de faire évoluer les processus d’initiatives citoyennes et leur donner une place dans notre démocratie en garantissant les effets juridiques si certains seuils sont atteints11.
2. Les publics qui se mobilisent sont socialement plutôt privilégiés et généralement plus âgés. On sait que les plus jeunes et les plus socialement défavorisés sont aussi ceux qui votent le moins donc le fait que les exercices de démocratie participative entraînent les mêmes biais limitent de facto son impact contre l’abstention. A ce sujet, plusieurs organisations du Pacte du pouvoir de vivre mènent des actions visant à donner la parole à celles et ceux qui ne peuvent pas le faire dans des cadres collectifs classiques qui comportent aujourd’hui trop de freins si on ne s’exprime pas aisément à l’oral, si l’on est timide, si on ne maîtrise pas le français ou si nous avons trop honte de notre situation pour pouvoir en témoigner.
3. L’échelle des exercices conduits, souvent très limitée et très circonscrite à un quartier/un sujet, ce qui peut limiter l’intérêt de l’exercice « car d’une part, les différentes demandes et points de vue ne sont jamais confrontés et discutés dans un dialogue de face à face entre les citoyens, et d’autre part, les décisions les plus importantes se jouent à un niveau plus élevé, l’échelon intercommunal, la métropole… où la participation est peu présente ». La question de l’échelle s’articule avec celle de la politisation car si les décisions stratégiques sont prises à un autre niveau territorial, l’exercice participatif est dépolitisé.
La tentation d’opposer participation citoyenne et société civile organisée
Lors du dernier quinquennat, les organisations membres du Pacte du pouvoir de vivre ont difficilement vécu l’exercice d’un pouvoir très vertical. C’était en somme le contre-exemple de ce que nous pourrions attendre du fonctionnement démocratique en France qui devrait reposer sur une articulation entre démocratie représentative, démocratie sociale et sociétale et démocratie participative. A l’occasion du Grand débat national, le président de la République a ainsi choisi de ne pas solliciter le parlement (démocratie représentative) ni les corps intermédiaires (démocratie sociétale) en instaurant une sorte de dialogue direct avec les citoyens dont les effets sont contestables et a minima contestés par nombre d’acteurs sociaux.
Cette tentation pose la question transversale de la place des acteurs sociaux dans l’exercice du pouvoir, notamment si l’on fait le constat d’une série d’exercices de participation citoyenne institutionnalisés qui peut avoir pour effet de dépolitiser -comme expliqué plus haut- les sujets traités.
Cette opposition stérile entre participation citoyenne et société civile organisée atteste d’une forte incompréhension de ce que sont les corps intermédiaires mais aussi de leur rôle.
Pour le Pacte du pouvoir de vivre, il n’est pas de démocratie participative sans une société civile dynamique. Autrement dit, le droit au débat et à l’initiative doivent être reconnus à des acteurs collectifs démocratiques, à tous les niveaux de la vie sociale, sur des champs spécifiques de compétence, là où peuvent s’exprimer des responsabilités et prendre des décisions. Toute transformation sociale menée par la voie démocratique suppose une société composée d’acteurs sociaux -syndicats, associations, ONG, Fondations, Mutualité…- reconnus comme tels parce que capables de porter une vision et des projets sur une longue durée.
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https://www.insee.fr/fr/statistiques/5365639
Ces acteurs sociaux sont composés de femmes et d’hommes (notamment, mais pas seulement, 21 millions de bénévoles en 201812) qui s’engagent dans un cadre collectif.Ces acteurs sociaux sont composés de femmes et d’hommes (notamment, mais pas seulement, 21 millions de bénévoles en 201812) qui s’engagent dans un cadre collectif.
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https://www.revue-projet.com/articles/2022-03-thoury-mutations-militantes/10935
Et s’il est vrai que l’évolution des formes d’engagement connue par notre société depuis les années 1970 entraîne un attachement moindre à la structure qu’à la cause de l’engagement13, les corps intermédiaires continuent de jouer un rôle majeur dans notre démocratie, notamment parce qu’ils ne s’opposent pas aux citoyens mais en sont bien l’émanation.
En revanche, comme son nom l’indique, un corps intermédiaire fait la jonction entre les citoyens/les individus et les pouvoirs publics. S’ils ne sont pas des experts dans tous les sujets, ils ont acquis une expertise d’usage qu’il ne s’agit pas d’opposer à celles des citoyens. Il faut simplement la considérer autrement.
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Rui, Sandrine, « La société civile organisée et l’impératif participatif. Ambivalences et concurrence » in Histoire, économie & société, Armand Colin, 2016
Sandrine Rui résume ainsi les tensions entre la société civile organisée et la participation citoyenne institutionnalisée : « Aussi l’offre publique de participation s’avère-t-elle toujours ambivalente. D’une part, elle prétend démocratiser la démocratie : ses instigateurs entendent corriger les défaillances du système démocratique de délibération et de représentation, notamment en réactualisant et en élargissant le domaine d’application des principes normatifs de l’espace public libéral et en étendant la surface de la société civile impliquée. Mais, dans le même temps, elle entérine l’idée que la structuration de l’espace public ne peut être confiée aux seuls mouvements et acteurs de la société civile »14.
Enfin, les corps intermédiaires sont des entités politiques organisées dans l’objectif de porter un sujet ou une cause et « assument le fait que les arguments ne sont jamais neutres et impersonnels et qu’ils s’ancrent dans des rapports sociaux et des rapports de force qui structurent toujours les débats, qui en sont la matière même ».
Les exercices de démocratie participative institutionnalisés sont à bien des égards intéressants. Ils permettent aux individus de se saisir de certains sujets, d’être consultés sur certains enjeux, de mieux appréhender les problématiques d’un territoire, etc. En revanche, comme l’explique Loïc Blondiaux, il peut arriver que certains sujets ne soient traités que de façon partielle ou pas à la bonne échelle, voire de façon trop simpliste. Cela peut être déceptif pour les individus mobilisés, d’où l’importance d’être clair sur les règles et sur la redevabilité de ces exercices.
Réenchanter le système démocratique nécessite d’aller plus loin que des exercices de démocratie participative institutionnalisés très utiles mais pas suffisants. Notre démocratie a besoin de débats exigeants sur des sujets complexes, pris de façon globale. C’est aussi l’objectif du Pacte du pouvoir de vivre que de contribuer à réenchanter le fait politique. Les 90 propositions élaborées par le Pacte ne sont pas toutes consensuelles, au contraire, mais elles posent une vision politique crédible en articulant des problématiques environnementales, sociales mais aussi démocratiques.
Vers une démocratie d’exercice ?
Et si une autre forme de démocratie était à imaginer pour véritablement réenchanter le collectif et répondre à la crise que notre système démocratique représentatif connaît ? Et si cette nouvelle forme démocratique permettait l’association du plus grand nombre à la construction des politiques publiques sans opposer les citoyens et la société civile organisée ? Et si ces espaces existaient déjà sans être véritablement connus pour cela ou compris comme tels ? Et, surtout, ne devient-il pas absolument indispensable d’inventer ou de dupliquer de nouveaux modes démocratiques pour répondre à ces colères grandissantes au risque de voir notre système exploser pour de bon ?
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https://www.pactedupouvoirdevivre.fr/projet/propositions/le-pouvoir-de-participer
En cela, la question démocratique ne peut pas être traitée uniquement sous l’angle représentatif ou participatif mais doit se penser comme ancrée au quotidien, très concrète, offrant un véritable pouvoir d’agir aux individus. C’est le sens des propositions du Pacte du pouvoir de vivre autour du pouvoir de participer16. Faciliter l’engagement, sécuriser les parcours de celles et ceux qui s’engagent, lutter contre les inégalités pour favoriser l’engagement du plus grand nombre, reconnaître l’engagement dès le plus jeune âge, etc., c’est surtout permettre aux individus, aux habitants, de consacrer du temps à un projet, à une cause, à un collectif, et donc d’agir concrètement.
La démocratie d’exercice est une démocratie du quotidien dont nos organisations associatives, syndicales, mutualistes sont l’illustration. Cette démocratie du quotidien concrète, incarnée, renforce le pouvoir d’agir des individus qui ont une prise sur les problèmes et qui s’organisent pour trouver des solutions, en adéquation avec les aspirations des citoyens puisque directement construites par eux.
Un engagement décliné au quotidien qui (re)donne du pouvoir d’agir essentiel à la vitalité démocratique
Les formes d’engagement évoluent, notamment chez les très jeunes, qui ont une exigence très forte vis-à-vis des collectifs et qui entendent bien incarner les valeurs qu’ils défendent. Cette question de l’incarnation passe par un mode de vie en cohérence avec les discours, par une articulation forte entre des enjeux globaux et une déclinaison locale. Une nouvelle forme de la célèbre formule de René Dubos « Penser global, agir local » exprimée lors d’une déclaration en 1972 et popularisée dans les années 1980 par un grand nombre d’associations environnementales.
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https://www.pactedupouvoirdevivre.fr/projet/propositions/le-pouvoir-de-seduquer-et-se/25-investir-dans- les-politiqu
Ce rôle des acteurs associatifs est d’autant plus central démocratiquement dans un pays comme la France dont le système éducatif est particulièrement rigide, favorisant les parcours linéaires au détriment du droit à l’erreur. Le fait que l’âge médian des étudiants en France autour de 21 ans soit l’un des plus bas d’Europe illustre bien la difficulté de notre système à sécuriser les parcours plus atypiques. Sur ce sujet, le Pacte du pouvoir de vivre fait le constat d’une école qui ne tient plus ses promesses d’émancipation, comme en atteste le poids des inégalités et une réussite scolaire largement conditionnées par l’origine sociale. C’est un chantier que le président de la République souhaite ouvrir pour son deuxième quinquennat avec, nous l’espérons, tous les acteurs de l’éducation. Pour autant, nous ne devons pas considérer que l’école doit être l’alpha et l’oméga de la construction citoyenne. C’est pourquoi le Pacte considère aussi indispensable de débloquer des financements pérennes pour l’éducation populaire17 qui facilite l’accès aux savoirs, à la culture et vise à développer la conscientisation, l’émancipation et l’exercice de la citoyenneté. Nombre de responsables associatifs et syndicaux sont issus de l’éducation populaire. C’est une richesse pour notre pays et un enjeu démocratique central pour les années futures. D’autres pays ne s’y trompent pas.
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Van De Velde, Cécile, Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, Presses Universitaires de France, 2008
Ainsi, favoriser l’engagement et les espaces d’engagement contribue à offrir une alternative ou une bulle d’oxygène à cette injonction à « se placer »18 étouffante pour les élèves et qui continue à avoir des conséquences sur leurs parcours, leur perception d’eux-mêmes, leur rapport à la réussite, etc. une fois devenus adultes.
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Pickard Sarah, Van De Velde Cécile, « Trois portraits de la colère chez les jeunes adultes » in Une jeunesse sacrifiée ?, op.cit
Comme le montre bien Cécile Van De Velde dans ces travaux, pour celles et ceux qui s’épanouissent à l’école, le passage à l’âge adulte peut être déceptif en raison d’un sentiment de déclassement fort chez les jeunes diplômés. Pour celles et ceux pour qui le système scolaire n’est pas adapté, cela peut alimenter les fameuses colères évoquées plus haut. Dans un cas comme dans l’autre, la confiance vis-à-vis des institutions et du système se délite et renforce la défiance vis-à-vis de la démocratie représentative. Les deux colères prennent des formes différentes. Celles et ceux qui réussissent à l’école, qui sont diplômés, ont le sentiment, à tort ou à raison, que leur avenir sera moins bon que celui de leurs parents et ce malgré les promesses offertes par le modèle éducatif. Pour celles et ceux qui sont à la marge, qui se sentent moins intégrés que leurs pairs ou qui se heurtent à des plafonds de verre en raison de leurs prédispositions sociales, c’est une colère d’usure qui s’exprime puisque les efforts sont vains. Cette colère d’usure reste durablement mais s’exprime assez rarement dans l’espace public, la rhétorique anti-système est très forte19.
Les organisations de la société civile que nous représentons sont ancrées dans le quotidien et offrent des leviers d’action très puissants au service d’une cause, d’un projet ou encore d’un territoire. Les individus, parfois très en colère, ont besoin de trouver à la fois du sens et de l’épanouissement. Ils ont besoin de s’organiser pour exprimer une indignation, pour partager un besoin, pour mettre des mots sur des maux. C’est bien tout le sens du Pacte du pouvoir de vivre, que de parvenir à donner de la voix, à donner une voix collective, et notamment à ces individus qui aspirent à voir le monde changer, souvent de façon très concrète.
Offrir des espaces d’engagement, les encourager et les reconnaître, a des effets aussi bien sur la société que sur les individus. Les espaces d’engagement sont des lieux d’expérimentation très précieux qui permettent d’inventer avec d’autres, de nouvelles modalités de réunion ou d’action. Ces lieux d’expérimentation, éminemment collectifs, sont aussi des lieux d’apprentissage. Il est possible de faire des erreurs, probable de rencontrer des gens qui ne pensent pas comme nous. Ces espaces favorisent la pluralisation de la notion de réussite.
Qui pose la question du réenchantement des collectifs, du soutien et de la reconnaissance du rôle de la société civile
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https://www.revue-projet.com/articles/2022-02-lebreton-pas-d-avenir-sans-collectif/10948
Renforcer la confiance entre les individus et la société est un impératif majeur pour vivre de façon apaisée. Mais cette confiance n’est possible qu’à condition de donner aux citoyens les moyens de vivre dignement. Lorsque le Pacte du pouvoir de vivre se donne pour ambition de travailler ensemble la question sociale et la question environnementale c’est bien pour atténuer certaines tensions stériles et les transformer en propositions concrètes. Pour tirer le trait d’union entre le récit d’une société plus écologique et solidaire et sa mise en œuvre dans le réel. Dans une contribution à la revue Projet20, la porte-parole du Pacte du pouvoir de vivre Amandine Lebreton prend l’exemple des grandes filières économiques et industrielles et notamment du secteur automobile, acteur clé de la décarbonisation (le transport est à l’origine de plus d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre). D’ici 2030, cette industrie doit répondre aux « objectifs climat » européens puis s’engager dans la voie d’une décarbonisation totale d’ici 2050. « Pour atteindre les objectifs alliant maintien de l’emploi et préservation du climat, [la Fondation pour la Nature et l’Homme et la CFDT] ont tenu à identifier les étapes, les points de passages et les conditions sociales, économiques et politiques nécessaires.
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Ibid
Que retenir de ce travail? D’abord qu’il est possible de concilier emploi, climat et renouveau de l’industrie automobile française. Plus encore, ce que montre notre scénario de transition juste, c’est que c’est bien le déploiement assumé et organisé du véhicule électrique, doublé d’objectifs sur l’économie circulaire et la sobriété, qui permettront de renouer, enfin, avec une dynamique positive pour l’emploi en France tout en répondant au défi climatique. »21
Par-delà cet exemple, chaque proposition du Pacte du pouvoir de vivre s’appuie sur une expertise de terrain qui n’est possible que par la possibilité donnée à chacun de s’engager.
La démocratie d’exercice n’est pas un concept vain, mais une proposition de penser la démocratie comme un triptyque qui articule la représentation, la participation et le quotidien. Penser la démocratie de façon plus globale évite de tomber dans la formule facile d’une crise démocratique sans vraiment expliquer ce que cela implique. Seulement, la démocratie d’exercice n’est possible qu’à condition que les individus puissent s’engager.
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« Voter ensemble. Dispositifs informels de mobilisation et compensation des inégalités de politisation », Céline Braconnier, dans : La politique sans en avoir l’air, aspects de politique informelle XIXe-XXIe siècle, François Ploux, Michel Offerlé, Laurent le Gall, Presses Universitaires de Rennes, p.355-384
Nous avons donc besoin de renforcer cette démocratie du quotidien au service d’une démocratie plus vivante car l’engagement renforce le sentiment d’adhésion et la politisation des individus, ce qui renforce la participation à la vie de cité mais aussi aux élections car plus les gens s’engagent et plus ils votent ou s’ils ne votent pas, c’est souvent le produit d’un choix. De nombreux travaux démontrent une corrélation forte entre le niveau de politisation et le fait de voter. Ces mêmes études insistent aussi sur les effets du niveau de diplômes et de la catégorie sociale sur la participation aux scrutins électoraux22.
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https://www.pactedupouvoirdevivre.fr/projet/propositions/le-pouvoir-de-sengager/83-construire-une- logique-de
La façon dont le Pacte du pouvoir de vivre a construit ses 90 propositions visent à répondre à cette ambition de façon globale, pour renforcer le pouvoir d’agir des individus, précisément parce que c’est un enjeu éminemment démocratique de lutter contre les inégalités sociales. C’est le cas lorsque le Pacte du pouvoir de vivre propose de garantir à toutes et tous l’accès à la culture, aux vacances, aux sports et aux loisirs en faisant le constat que 40% des Français ne partent pas en vacances ainsi que 3 millions d’enfants et en rappelant que l’article 140 de la loi de 1998 de Lutte contre les exclusions reste d’une actualité brûlante : « L’égal accès de tous, tout au long de la vie, à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs constitue un objectif national. Il permet de garantir l’exercice effectif de la citoyenneté ». Pour cela, il est nécessaire de soutenir l’action des corps intermédiaires comme par exemple celle des associations de tourisme social qui gèrent 1600 établissements partout en France et majoritairement dans les communes de moins de 3500 habitants, pour lutter contre les inégalités territoriales. Faciliter l’engagement de toutes et tous, comme le Pacte du pouvoir de vivre le demande23, est indispensable pour faire vivre ces collectifs essentiels mais aussi pour en inventer d’autres.
Quel est le blocage pour que les responsables politiques nationaux soient si peu enclins à ouvrir des espaces de dialogue et de concertation avec les organisations de la société civile ? Certainement une certaine idée du pouvoir, et peut-être de l’efficacité si on considère la-dite efficacité à l’aune du seul temps de la décision. Dans ce cas, c’est effectivement plus rapide de prendre une décision à quelques personnes dans un bureau, qu’en passant par un processus de dialogue. L’ennui, c’est que l’histoire récente nous montre que c’est un peu plus compliqué que cela. Seul, on va plus vite (encore que…). Mais à plusieurs, on va plus loin.
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https://www.revue-projet.com/articles/2022-02-robert-electrochoc-pandemique/10945
Et quand le gouvernement veut réellement être efficace, il sait l’être en associant les acteurs sociaux comme le montre une forme de « parenthèse heureuse » (au strict point de vue de la prise en compte des acteurs sociaux) pendant la première phase de la pandémie de Covid-19. Christophe Robert, Délégué général de la Fondation Abbé Pierre et porte-parole du Pacte du pouvoir de vivre, le raconte dans une interview donnée à la revue Projet24 : « Pendant quelques semaines, de mi-mars à mi-mai 2020, face à une situation inédite, une action politique s’est appuyée sur les corps intermédiaires pour comprendre ce qu’il se passait. Par exemple, qui allait vraiment avoir faim si les épiceries sociales, les maraudes et les distributions alimentaires réduisaient la voilure ? Dans ce moment, nous n’étions collectivement guidés que par la volonté d’essayer de comprendre ce qu’il se passait et de faire ce qu’il était possible de faire, avec des réunions toutes les semaines, des observatoires créés pour l’occasion, des remontées de terrain, des actions mises en œuvre rapidement pour y répondre… »
Le sociologue poursuit en expliquant pour que les pouvoirs publics sont venus chercher nos organisations pour prendre le pouls de la situation sur le terrain et de ce qui devait être fait : « Je pense aussi à la manière dont des ministres ont eu les mains libres, sans être bloqués par des processus de validation très complexes. Alors que bien souvent, de fil en aiguille, des besoins et des idées finissent par se perdre dans des processus de décision qui font oublier le sens initial de l’action. Il faut aussi souligner que pendant cette période, au niveau local, des préfets et des maires se sont fortement mobilisés. », souligne-t-il dans cet entretien.
Les acteurs sociaux sont de puissants leviers de mobilisation collective, notamment parce qu’ils se structurent autour de l’expérience et du vécu des individus qui décident de s’organiser pour défendre leurs droits, pour protéger la planète, pour lutter contre la pauvreté, pour alerter sur les nécessaires transitions sociales et environnementales, pour porter un autre modèle de société, etc. Si les raisons de leur existence sont diverses et les sujets couverts considérables, les acteurs sociaux sont essentiels au bon fonctionnement démocratique et doivent avoir toute leur place dans l’exercice du pouvoir.
La démocratie du quotidien que l’on souhaite voir être mieux reconnue est précisément celle qui considère les expériences de chacun et qui offre un pouvoir d’agir véritable aux citoyennes et aux citoyens qui s’organisent pour répondre à des besoins concrets. Concevoir notre système démocratique de façon binaire avec les citoyens d’un côté et les élus de l’autre est réducteur voire dangereux. Les acteurs sociaux sont un élément clé de notre système, ancrés dans les territoires, capables d’articuler une vision globale et des enjeux locaux, ils sont aussi de précieux espaces d’engagement qui permettent de lutter contre la crise démocratique développée plus haut.
La question de la place des acteurs sociaux dans l’exercice du pouvoir est directement liée à celles du sens et de la conduite de l’action publique. Pour le Pacte du pouvoir de vivre, l’action publique ne se construit pas sur la base de sondage ou contre une partie de la population, elle se construit de façon complexe en articulant les enjeux sociaux et environnementaux mais aussi les aspirations des citoyens. Accepter cette complexité est essentiel pour repolitiser l’action publique et réenchanter notre modèle démocratique. Cela nécessite des corps intermédiaires plus forts, mieux considérés et avec lesquels l’action publique se construit car si les transitions qui s’imposent à nous vont induire des changements radicaux dans nos manières de travailler, de consommer, de vivre, ces changements doivent tenir compte des expériences vécues par les individus pour créer un mouvement puissant de mobilisation collective.
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https://www.pactedupouvoirdevivre.fr/projet/propositions/le-pouvoir-de-participer/77-renforcer-la-place- de-la-s
Le précédent quinquennat a été déceptif dans la considération des corps intermédiaires par le pouvoir en place, dans la façon dont certaines décisions ont été prises en dépit des nombreuses alertes envoyées par la société civile organisée, et donc dans la façon dont ces décisions ont été vécues par les citoyens qui ont le sentiment diffus de ne pas se faire entendre, que tout est complexe et opaque. Chacun sent bien qu’on ne peut pas en rester à de tels constats d’une démocratie en crise. Le quinquennat qui commence ne peut pas être le même, le Pacte du pouvoir de vivre est prêt à y prendre toute sa place et appelle le président de la République, le nouveau gouvernement et les futurs parlementaires a une meilleure association de la société civile organisée dans l’élaboration des politiques publiques pour que les décisions soient mieux partagée25.