Il faut répéter, sans limite, la nécessité de concentrer tous les efforts de relance sur certains secteurs, que, depuis plus de deux ans, je nomme « l’économie de la vie ».
Elle regroupe tous les secteurs qui, d’une façon ou d’une autre, de près ou de loin, se donnent pour mission la défense de la vie, et dont constate tous les jours, très pragmatiquement, l’importance vitale : la santé, la prévention, l’hygiène, le sport, l’éducation, la recherche, l’innovation, la gestion des déchets, la distribution d’eau, l’alimentation saine, l’agriculture saine, la protection des territoires, les villes durables, la distribution le logement durable , le commerce, l’énergie propre dont surtout le solaire et l’hydrogène, le numérique, les biotechnologies, les transports de marchandises, les transports publics, les infrastructures urbaines, l’information, la culture, le fonctionnement de la démocratie, la sécurité, l’assurance, l’épargne et le crédit quand ils sont au service de l’économie de la vie…
Ces secteurs sont évidemment liés les uns aux autres : la santé utilise l’hygiène, l’alimentation saine et le numérique, qui est aussi utile à l’éducation et au sport ; et rien ne se fera, dans aucun de ces domaines sans la recherche, dont dépend la découverte du vaccin et du médicament, nécessaires à la maitrise de cette pandémie. Cette économie regroupe donc toutes les activités permettant à la fois de vivre pendant la pandémie et de sortir des crises (économique, financière, sociale et écologique) qu’elle nourrit. Elle regroupe aussi tout ce qui permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre et l’artificialisation des sols.
Aujourd’hui, au total, ces secteurs représentent, selon les pays, seulement entre 40 et 50% du PIB ; et de l’emploi. Les plus avancés sont évidemment, là aussi, les pays nordiques. Ce sont ces ratios qu’il faut changer dans l’Union européenne : l’économie de la vie doit représenter au plus vite 80% du PIB. Les ménages doivent dépenser une part plus importante de leur budget pour se nourrir, se soigner, se former ; les employeurs doivent augmenter la rémunération et le statut social de ceux qui y travaillent ; l’État doit soutenir les entreprises, grandes ou petites, qui travaillent dans ces secteurs. La fiscalité doit y participer. Le système bancaire doit agir dans le même sens.
C’est aussi vers cette économie de la vie qu’il faut réorienter les entreprises des autres secteurs, que je nomme « économie de la mort », c’est-à-dire toutes celles qui utilisent de l’énergie carbonée, du sucre artificiel ou des pesticides. On les trouve dans l’industrie agroalimentaire, les entreprises automobiles, aéronautiques, celles du textile, de la mode, de la chimie, de la machine-outil, de l’énergie carbonée, du luxe, du tourisme. Ces entreprises ne sont pourtant pas condamnées : si leurs dirigeants, et les dirigeants politiques et syndicaux, se mobilisent pour trouver des façons de rendre tout autrement le même service, et pour en rendre d’autres, dans les secteurs de l’économie de la vie. Toutes ont des compétences dont elles peuvent réorganiser l’usage. Le secteur du tourisme en donne déjà l’exemple : au lieu d’etre celui d’une mobilité excessive, il peut devenir celui de l’hospitalité dont on a tant besoin dans tous les secteurs de l’économie de la vie.
Si, jusque très récemment, les secteurs de l’économie de la vie étaient faits principalement de services, et donc ne portaient pas de potentialité de croissance (qui ne vient qu’avec l’augmentation de la productivité découlant de l’industrialisation d’un service), ces secteurs sont faits, aussi, de plus en plus, d’industries, capables d’augmenter leur productivité, et donc d’améliorer sans cesse leur capacité à remplir leur mission. Ce sont aussi les secteurs qui produisent le moins de gaz à effet de serre.
C’est donc en mettant tous les moyens dans l’économie de la vie qu’on évitera la pire crise de tous les temps, et qu’on remettra le monde en situation d’un projet de haut niveau utile et durable. Ce n’est pas non plus en se contentant d’agir pour le climat : une planète au climat modérée serait invivable sans éducation et sans système de santé. Et l’obsession actuelle pour la lutte contre les gaz à effet de serre pourrait détourner des autres enjeux tout aussi essentiels.
Cette idée commence à faire son chemin. Quelques pays commencent à s’y risquer ; quelques entreprises commencent à comprendre que leur survie passait par leur reconversion dans l’un de ses secteurs.
Mais rien encore de massif, de systématique ; aucun pays n’a encore déclaré qu’il allait se focaliser sur ces secteurs, en leur donnant la priorité dans les crédits, les marchés publics, le financement de l’innovation. Aucune banque n’en a fait son moteur essentiel. Aucun système de comptabilité extra financière n’y fait référence.
On pourrait imaginer que cela soit le plan stratégique de la Commission européenne, de la BEI et, en France, de la BPI. Et même, que la BCE en fasse une condition de la reprise des obligations d’entreprises.
Et mieux encore : il faut le faire à marche forcée, en organisant cette conversation le plus vite possible. Ironiquement, il s’agit de se mettre en économie de guerre, pour produire des biens de l’économie de la vie. Plus précisément, après le « quoi qu’il en coute de la demande », il faut passer au « quoiqu’il en coute de l’offre ».