Les Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence 2024 ont eu lieu dans un contexte politique particulier, marqué par la dissolution de l’Assemblée nationale et l’absence de représentants politiques. Leur absence a peut-être permis de mieux apprécier l’apport des autres acteurs au débat et d’interroger la manière dont les Rencontres reflètent la société française.
Cet article est extrait du quatrième numéro de la revue Mermoz, « Aux impôts, citoyens ! ».
Chaque année, les Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence remettent le couvert pour incarner pleinement leur raison d’être : organiser le débat d’idées et faire dialoguer les expertises économiques, sociales, politiques et celles venues de la société civile. Les Rencontres 2024 se sont pourtant tenues à une période particulière : un mois après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, au lendemain du premier tour des élections législatives et, hasard du calendrier, au beau milieu du weekend du second tour des élections.
Outre la suppression des traditionnels échanges dominicaux, la dissolution a eu une conséquence majeure sur les personnalités participant aux échanges : aucun représentant politique ne pouvait s’exprimer, réserve électorale oblige. Quelle surprise face aux habitudes que nous avions prises depuis ces vingt dernières années ! Quelle surprise lorsque l’on sait que les Rencontres ont accueilli, il n’y a pas si longtemps, la première prise de parole d’une Première ministre française à la suite de son discours de politique générale, ou encore les discussions entre ministre des Finances et Président de l’Eurogroupe
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Benrahal Serghini, Z. et Matuszak, C., « Lire ou relire Habermas : lectures croisées du modèle de l’espace public habermassien », Études de communication, n° 32, 2009, p. 33-49
Mais au-delà de l’impact sur l’organisation des Rencontres, quelles conséquences cette dissolution a-t-elle eu sur les débats ? Peut-on réduire l’existence d’un réel débat public à la présence des représentants politiques et des partenaires sociaux ? En juillet 2024, les seuls acteurs présents pour discuter des thématiques traversant la France, l’Europe et le monde étaient académiques (économie, histoire, sociologie, philosophie…), de la société civile, du monde de l’entreprise. Dans cette situation, les Rencontres Économiques d’Aix 2024 réunissaient l’ensemble des parties prenantes de la construction de l’espace public, pour reprendre le concept de Jürgen Habermas. Pour lui, tel qu’Alain Létourneau pouvait le résumer1, il s’agit « de l’ensemble des personnes privées rassemblées pour discuter des questions d’intérêt commun ». Par souci d’honnêteté, il nous est nécessaire de rappeler ici les critiques adressées à J. Habermas dans l’établissement de son concept, pour justifier qu’il nous semble toujours mobilisable et d’actualité pour parler des Rencontres. L’espace public habermassien serait un idéal type de la sphère bourgeoise du XVIIIe siècle, concept fondé sur une raison argumentée, occultant les oppositions provenant des différents groupes sociaux, et masquant ainsi les différents rapports de domination entre classe sociale, pourtant structurant dans chaque société. Malgré ces critiques, il semble que dans le cadre des Rencontres, l’espace public prenne corps.
Mais alors une critique adressée à J. Habermas peut également l’être aux Rencontres d’Aix : sommes-nous réellement représentatifs des différents groupes sociaux ? Les Rencontres sont-elles un juste reflet de la société française (au moins dans la variété de ses composantes) ? Autrement dit, de manière plus directe, les Rencontres représentent-elles une forme de confiscation des débats par les sphères sociales dominantes ? Si ce reproche est parfois fait aux Rencontres, la réalité de la composition des tables-rondes est plus nuancée. Pour 2024, les représentants du secteur privé composaient 42 % des intervenants, laissant ainsi 58 % pour la représentation des différentes composantes de la société française et européenne. En l’absence de forces politiques, nous avions ainsi près de 10 % de représentants des grandes institutions françaises et internationales, un quart d’économistes, un quart de représentants des médias et près de 10 % des représentants de la société civile (associations, ONG, artistes et athlètes).
Que faut-il donc retenir de cette édition des Rencontres post-dissolution de l’Assemblée nationale ? Si la présence des acteurs qui conçoivent les politiques publiques n’empêche pas l’avancée des discussions, organiser les débats avec ceux qui les appliquent et qui, par leurs projets et leurs actions font vivre la société reste important. Dans un contexte politique aussi instable, il nous est possible d’affirmer une chose : si une nouvelle dissolution devait avoir lieu en 2025, nous pouvons sereinement annoncer que le débat prendrait encore et toujours corps aux Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence.
J.H. : Il faut dire la vérité, mais si cette vérité ne peut pas être assimilée par les gens, il faut peut-être la dire différemment. Je peux mentionner certains mécanismes qu’on a identifiés par lesquels les gens arrivent à se mentir à eux-mêmes. L’un des mécanisme est la mémoire sélective : on va oublier certaines informations qui nous ont été données, par exemple sur nous-mêmes. On a tendance, par exemple, à oublier certains de nos échecs. Un autre mécanisme qu’on a identifié, c’est celui d’un raisonnement motivé : on va raisonner de manière à aller vers la conclusion que l’on préfère. On peut avoir un a priori, préférer un candidat à une élection, et donc raisonner pour confirmer notre croyance selon laquelle ce candidat est le bon. Il y a aussi la recherche sélective d’informations. On va préférer ne pas voir certaines vidéos sur la manière dont marchent les abattoirs. On va préférer surtout pas avant d’aller dans un bon restaurant de viande. On va faire ces différentes sélections ou oublis ou raisonnements pour arriver aux conclusions qu’on préfère.