Sorti vainqueur de l’élection présidentielle américaine, Donald Trump réintègrera la Maison Blanche en janvier prochain. Quel impact cette nouvelle présidence républicaine aura sur l’économie mondiale ? Pierre Jacquet se livre à une analyse critique du programme économique du président élu
Tout ou presque a maintenant été dit sur les implications potentielles du retour spectaculaire de Donald Trump à la tête des Etats-Unis. Plutôt que de répéter tout ce que d’autres analystes ont déjà très bien relevé, je retiens dans cette colonne trois idées : l’incohérence de son programme économique, la leçon à tirer sur l’attractivité de la démocratie libérale, et les implications économiques et stratégiques pour l’Europe.
Le programme économique de Donald Trump est fondamentalement incohérent. Non pas qu’il faille idéologiquement exclure tout protectionnisme : c’est un autre débat. Mais sa conception du protectionnisme comme une panacée à utiliser sans restreinte pour résoudre les problèmes américains est vouée à l’échec pour au moins trois raisons : d’abord, elle ne peut être qu’inflationniste, car même si des entreprises exportatrices peuvent être tentées d’absorber une partie des taxes sur les importations par la réduction de leurs marges, l’essentiel se retrouvera dans les prix intérieurs, et c’est d’ailleurs le principe même de la protection des entreprises locales. Alors que Trump doit en partie sa victoire au mécontentement de tous ceux qui ont souffert des baisses notables de pouvoir d’achat et se plaignent de l’inflation, il y a une certaine ironie à constater le soutien ainsi apporté à une stratégie protectionniste !
Deuxièmement, le protectionnisme n’est pas non plus une réponse au déficit extérieur américain. L’existence comptable de ce dernier est un problème macroéconomique, un excès de dépense par rapport au revenu ou, de façon identique, un excès d’investissement par rapport à l’épargne nationale. Ce gap est financé par l’épargne étrangère (pour des tas de raisons, dont le rôle du dollar), et la contrepartie comptable est un excès d’importations par rapport aux exportations. Cibler la Chine ou l’UE peut avoir un impact sur les soldes commerciaux bilatéraux, mais pas sur le solde global. Au demeurant, la protection vis-à-vis des importations revient aussi, sur le plan économique, à taxer de façon implicite les exportations ! En effet, la production de ces dernières utilise des inputs importés, d’une part, et la protection apportée aux entreprises en concurrence avec les importations renchérit les coûts pour l’ensemble du tissu économique. C’est donc une stratégie bien peu convaincante.
Troisièmement, tout protectionnisme américain sera suivi par des mesures de rétorsion, ce qui, comme d’ailleurs l’expérience des années trente l’a montré, nuit au commerce, aux consommateurs et aux producteurs, sans bénéficier à qui que ce soit. Certes, Donald Trump considère le protectionnisme comme une arme qu’il se gausse de savoir utiliser dans son approche transactionnelle des relations internationales, et on peut donc s’attendre à ce qu’il ajuste cette utilisation en fonction des accords qu’il obtiendra et des pressions qu’il recevra aussi sur le plan intérieur lorsque les coûts se feront sentir, mais il est peu probable qu’il obtienne par ce biais des marchés plus ouverts pour les produits américains.
L’une des leçons les plus importantes de l’élection américaine me semble en fait être plutôt celle de l’échec du modèle de démocratie libérale représenté par le parti démocrate. Elle est à méditer par des élites européennes toujours tentées par le déterminisme facile des solutions technocratiques, fussent-elles fondées, ce qui est parfois mais pas toujours le cas, sur des certitudes scientifiques avérées. Il y a besoin à la fois de davantage de débat et d’explications, mais aussi et surtout d’un sentiment d’inclusion qui fait souvent défaut : montrer que les politiques publiques prennent en compte les effets négatifs pour des pans de la population qui les subissent, s’intéresser davantage aux processus de mise en œuvre, aux effets de redistribution, récompenser l’effort et pas seulement la rente – financière ou de situation. La lecture à faire de l’élection américaine, c’est que, dans une période caractérisée par des besoins lourds de changements et transitions, le modèle de démocratie libérale peine à faire ses preuves face aux alternatives possibles. Si l’on ne veut pas de ces dernières, d’un retour de formes d’autoritarisme ou de despotisme, il est urgent, de ce côté de l’Atlantique, de repenser les fondements de nos contrats sociaux. Vaste programme, dont les blocages politiques ne semblent malheureusement pas dessiner le contour dans un contexte démocratique insuffisamment apaisé.
Enfin, cette élection présente aussi pour les pays européens et pour l’Union européenne des défis stratégiques majeurs. Le message de Trump, c’est que l’organisation du monde appartient aux puissants, et si les Etats-Unis doivent en débattre avec quelqu’un d’autre, ce sera la Chine, pas l’Europe. Cette dernière doit savoir unir ses forces pour construire un monde multipolaire et ne pas subir un scénario bipolaire, pour exister en tant que force de propositions et d’action. Cela passe d’abord par la remise en ordre interne, et sur ce plan, le rapport Draghi doit être pris au sérieux et inspirer les politiques européennes. C’est malheureusement mal enclenché, car l’Union se débat dans des carcans de règles et d’idéologies peu compatibles avec un tel sursaut, ni avec une existence politique plus convaincante à l’échelle mondiale. Cela passe aussi par un dialogue plus soutenu avec la Chine, qui peut trouver intérêt à s’entendre avec les Européens. Il faut pour cela surmonter préjugés, préventions et prétentions universalistes qui peuvent et doivent inspirer nos visions de long terme mais ne peuvent guère guider la recherche d’accords internationaux.
Le point positif, c’est que l’Union européenne n’a jamais su mieux agir que face à des défis majeurs : acceptons-en l’augure !