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Le débat. Le bitcoin, une monnaie comme les autres ?

La valeur du bitcoin s’est envolée dès les résultats connus de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Faut-il considérer cet actif comme une monnaie à part entière ? La question fait débat entre économistes. Si pour Philippe Trainar le bitcoin est une monnaie comme les autres, Catherine Lubochinsky s’interroge sur la rationalité, et la dangerosité, d’inclure de tels actifs dans une diversification de portefeuille.

« Inexorablement, les crypto-monnaies s’installent dans le paysage financier et monétaire »

PHILIPPE TRAINAR, MEMBRE DU CERCLE DES ECONOMISTES

Le cours du bitcoin a gagné 140% depuis le début de l’année et 370% depuis trois mois, pour atteindre un peu plus de 90.000 euros hier à la clôture. Ces fluctuations justifient souvent l’interprétation du succès des crypto-monnaies comme le pur produit de la déraison financière et de la fraude. Le fait que le cours du bitcoin se soit envolé à la suite de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ne ferait que confirmer cela. Si ce n’est que le bitcoin, comme beaucoup d’autres crypto-monnaies, n’est rien de tout cela, ou l’est très peu.

Ecartons tout d’abord l’argument « criminel ». La plupart des crypto-monnaies, et en premier lieu le bitcoin, ne sont plus le havre de paix pour les criminels, qu’elles ont pu être dans le passé. Les pouvoirs publics ont désormais acquis les connaissances nécessaires pour se doter des moyens de contrôler la plupart des crypto-monnaies au regard de ces transactions, même si les choses peuvent encore être substantiellement améliorées.

Quant à l’argument de l’irrationalité et du lucre, il n’a la vie dure qu’en raison des fortes fluctuations du cours du bitcoin alors même qu’on pourrait tout aussi bien l’appliquer à la détention de métaux précieux, voire de titres plus classiques, notamment de titres souverains comme ceux de la Grèce dont on rappelle que ce sont les gouvernements européens qui en ont recommandé la détention aux petits épargnants, au travers les contrats d’assurance-vie notamment, lors de la crise grecque.

Enfin, la création de bitcoin n’échappe pas à tout contrôle. Elle obéit à un algorithme connu, précis et contraignant qui exclut des mésaventures similaires à celles de nombreuses monnaies banques centrales ou des détournements similaires à ceux de FTX. Elle ne dépassera pas 21 millions de bitcoins et les émissions annuelles vont désormais diminuer régulièrement en fonction de cet algorithme qui est bien plus contraignant que l’objectif d’inflation des banques centrales et qui a eu le temps de démontrer sa crédibilité.

Les réactions du bitcoin à l’élection de Trump confirment à nouveau, s’il en était besoin, le fait que le bitcoin est un actif, et même plus qu’un actif, une monnaie comme les autres. Sa valeur est directement proportionnée au volume nominal des transactions qu’il est susceptible de représenter. On avait déjà observé une réaction similaire lors de la décision du régulateur des marchés financiers américains, la SEC, d’autoriser l’émission de fonds indiciels en bitcoin et ethereum. L’élection d’un candidat qui s’est en effet engagé à élargir les usages possibles des crypto-monnaies et qui a exprimé le souhait que celles-ci fassent concurrence aux monnaies banques centrales afin d’en discipliner la création et de mieux contrôler l’inflation, devait fort rationnellement soutenir le cours du bitcoin.

Peu à peu, de façon certes plus ou moins chaotique, mais inexorablement, les crypto-monnaies, notamment le bitcoin, s’installent donc dans le paysage financier et monétaire. La combinaison d’un usage croissant du bitcoin et d’une création marginale de bitcoin supplémentaires, pourrait donner l’impression que l’investissement dans le bitcoin est un « one best way », qu’il n’y a que des gains substantiels à réaliser en investissant dans cette crypto-monnaie. Cette impression fait toutefois l’impasse sur trois inconnues décisives.

La première inconnue concerne la taille potentielle du marché des crypto-monnaies et des transactions que celles-ci pourraient représenter à l’avenir. La deuxième concerne la taille du marché des bitcoins au sein de ce marché des crypto-monnaies, sachant que les banques centrales pourraient entrer sur ce marché pour y faire concurrence aux crypto-monnaies existantes. Enfin, la troisième inconnue concerne la part des anticipations sur ce rôle futur qui sont d’ores et déjà incorporées dans la valorisation actuelle du bitcoin. Du fait de ces trois inconnues, la valorisation future du bitcoin reste encore beaucoup trop incertaine pour constituer une monnaie ou un actif, sinon marginal, pour les petits investisseurs.

« Oublier la très forte concentration des détenteurs, c’est oublier les possibilités de manipulation des cours »

CATHERINE LUBOCHINSKY, MEMBRE DU CERCLE DES ECONOMISTES

L’un des enseignements essentiels de la « théorie moderne du portefeuille » des années 1960 est qu’une diversification optimale d’un portefeuille efficient consiste à détenir tous les actifs. Dans une première version, ce principe s’est appliqué aux portefeuilles d’actions cotées. Le principe de diversification s’est ensuite appliqué aux différentes classes d’actifs (monétaires, taux et actions) et aux différentes zones géographiques. La financiarisation d’actifs réels a également permis d’élargir l’univers des actifs intégrables dans les portefeuilles.

Au cours des 25 dernières années, la caractéristique principale de la gestion est l’inclusion d’actifs dits alternatifs ou de stratégies alternatives. En bref, il s’agit de l’inclusion des parts de hedge funds et d’actifs non cotés (capital investissement, dette privée, infrastructures etc.). Une part importante de leur succès est l’apparente supériorité de leurs rendements que des indicateurs de performance (prenant en compte le risque) relativisent. Les investisseurs institutionnels se sont donc intéressés à ces actifs, ce qui explique l’essor remarquable des encours de ces actifs.

La plus récente innovation est l’inclusion d’actifs numériques, facilitée par l’agrément des ETF Bitcoin et Ethereum par la Securities Exchange Commission en 2024. Ainsi les grandes sociétés de gestion d’actifs et les banques offrent de tels produits.

On peut s’interroger sur la rationalité d’inclure de tels actifs dans un souci de diversification de portefeuille. Il a été largement documenté que ce ne sont pas des monnaies (contrairement aux monnaies numériques banques centrales). Est-ce une réserve de valeur ? Evidemment si on compare le cours actuel avec celui à sa création, mais il ne faut pas oublier que sa volatilité est le double de celle de l’or (calculs Bloomberg) et que son cours est essentiellement dû à une réussite extraordinaire de son marketing, via les réseaux sociaux principalement, incitant de plus en plus d’investisseurs à en acquérir alors que son offre est contrainte.

Les partisans déclarent que le Bitcoin est le nouvel Or en tant que valeur refuge mais des travaux académiques ne semblent pas le confirmer (par exemple, S. Choi & J Shin, Bitcoin : an inflation hedge but not a safe haven, May 2022). Le cours du Bitcoin ne se comporte pas comme le prix de l’or en cas de chocs financiers, ce qui conduit à rejeter la comparaison entre les deux. Certes, son cours s’est envolé depuis début septembre, passant de 50.000 dollars à presque 100.000 fin novembre, porté par l’espérance d’une règlementation plus souple, la démission de Gary Gensler (le président de la SEC qui a assigné en justice Binance, Coinbase, Kraken et plusieurs autres start up) et par la nomination d’Elon Musk à un département dont l’acronyme est DOGE, tout comme le crypto parodique (qui ne vaut que USD 0.40…). Même si le nombre d’américains ayant négocié des actifs numériques a doublé en un an (16% en 2024), oublier la très forte concentration des détenteurs, c’est oublier les possibilités de manipulation des cours.

Alors, question fondamentale : doit-on en inclure dans les portefeuilles par souci de diversification ? Entre FOMO (Fear of Missing Out) ou Pourquoi Pas, voire la stratégie Loto (100% des gagnants ont tenté leur chance), les arguments en faveur d’une telle stratégie sont nombreux.

Il ne faut pas s’opposer au progrès technologique (même s’il s’agit d’une hérésie environnementale). Les œuvres d’art, qui constituent une classe d’actifs, n’échappent pas à la révolution numérique et conceptuelle : la banane de Maurizio Cattelan, l’œuvre nommée Comedian, a été achetée 6,2 millions de dollars par Justin Sun, un entrepreneur du numérique. Il l’a mangée quelques jours plus tard mais en organisant une conférence de presse et invitant des influenceurs… tout en annonçant un investissement de 30 millions dans World Liberty Financial, le projet crypto de la famille par Trump. Et sans doute en espérant gagner la bataille que la SEC a engagée contre sa société TRON.

La créativité financière n’a pas à rougir de la créativité artistique ! Et, n’oubliez pas les fruits et légumes dans votre portefeuille.

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