Le vieillissement démographique pose de nombreux défis à notre société. Pour réussir deux des plus importants, la profonde transformation du monde du travail et la mise à l’épreuve de notre système de santé, l’intelligence artificielle pourrait se révéler essentielle. Un projet collectif qui pourrait, selon Corine de Bilbao, transformer la contrainte démographique en leviers de progrès.
Cet article est extrait du cinquième numéro de la revue Mermoz, « Démographie, la transition silencieuse ».
En cet an II de l’intelligence artificielle générative, les mutations du travail s’accélèrent : après l’hybridation, une nouvelle vague d’automatisation émerge en parallèle des exigences montantes de créativité et de maîtrise du temps par les actifs. Aujourd’hui pourtant, elles ne sont pas encore suffisamment abordées sous le prisme du vieillissement démographique de nos sociétés – alors même que les experts s’accordent sur une décroissance moyenne de 4 à 5 % de la population active mondiale tous les cinq ans sur les cinquante prochaines années. L’IA peut-elle faciliter l’employabilité et l’inclusion des seniors ? Et surtout à quelles conditions ?
L’IA pour une meilleure inclusion des seniors en entreprise
En seulement deux décennies, le taux d’emploi des 50-64 ans a presque doublé en France, passant de 32 % à 58,3 % selon l’OCDE. Les organisations accueillent ainsi désormais jusqu’à cinq générations en leur sein. Et si la Gen Z suscite une attention grandissante quant à ses attentes et son rapport au travail, rappelons que d’ici une décennie, 50 % des salariés auront plus de 45 ans. L’avenir de l’entreprise sera senior [ou ne sera pas] : l’étude, réalisée en octobre 2023 par TBWA/Corporate, illustre bien ce paradoxe et souligne en quoi une véritable politique intergénérationnelle constitue la meilleure réponse à deux enjeux cruciaux de notre économie. Le premier concerne l’attraction et la fidélisation des talents, de tous âges, alors que le vieillissement démographique exerce une pression croissante sur le marché du travail et conduit à la pénurie de candidats dans de nombreuses professions. Le second touche à la productivité du travail, en berne en France, comme dans le reste de l’Europe, depuis 2019.
Imaginez si les actifs seniors pouvaient tirer parti des opportunités offertes par l’IA comme l’automatisation de tâches administratives voire répétitives ou les gains de temps et d’efficacité. Imaginez s’ils pouvaient ainsi se concentrer sur leur valeur ajoutée en combinant leur expérience, leur expertise et la fine connaissance de leur métier. Il s’agit là de la promesse déjà tangible des outils compagnons d’IA : une étude récemment conduite par Microsoft, le Work Trend Index 2024, révèle ainsi que parmi les utilisateurs intensifs de l’IA en entreprise, c’est 30 minutes de gagnées par jour grâce à l’automatisation de tâches répétitives. Et plus de 90 % d’entre eux affirment d’ailleurs que l’IA contribue à alléger leur charge de travail et à rendre ce dernier plus agréable, ce qu’ils n’arrivent pas à mettre en œuvre sans son aide. Accompagnés par l’IA, les seniors représenteront des ressources indispensables pour nos organisations !
La formation : un impératif à tout âge
Dans cette vision de l’IA au service des employés, l’adoption ne peut se faire sans formation. Et s’agissant des seniors, le moins qu’on puisse dire, c’est que le défi est de taille ! En effet, selon l’Index Senior de l’INSEE, le taux de formation des plus de 50 ans est inférieur de 20 % à la moyenne, leur taux de mobilité est de 22 %, soit 10 points de moins que la moyenne, avec seulement un cinquième des plus de 50 ans ayant bénéficié d’une mobilité en 2023.
Pour inverser cette situation, les organisations doivent développer des politiques de formation intentionnellement dirigées vers toutes les forces vives et leur apprendre à tirer parti des nouveaux outils d’IA. Les collaborateurs, quel que soit leur âge, doivent oser et se lancer. D’autant que l’IA générative marque un nouveau modèle d’interaction entre l’homme et l’ordinateur. Ce dernier devient un copilote et nous interagissons avec lui en langage naturel, aussi bien par l’écrit qu’à l’oral. Pour la première fois, l’IA est ainsi accessible au plus grand nombre, quelle que soit votre formation initiale.
Pour appréhender la révolution du travail qui s’annonce, Microsoft a annoncé, en mai 2024, une ambition forte en France : former 1 million de Français à l’intelligence artificielle d’ici 2027. Parmi les initiatives qui concourront à cet objectif : le lancement, en octobre dernier, d’une plateforme de formation en ligne en français, AI Skills Navigator, qui propose des parcours adaptés à tous les profils. Ou encore notre partenariat avec France Travail et Kokoroe, start-up de l’Ed-tech, dont l’objectif est de former 300 000 demandeurs d’emploi à l’IA d’ici fin 2025, pour qu’ils en tirent parti tant dans leur vie quotidienne que dans leur recherche d’emploi.
Vers un « mieux vieillir »
L’augmentation de l’espérance de vie pose aussi la question de l’accompagnement et de l’inclusion des aînés dans notre société. Et s’il est un secteur qui tire déjà pleinement parti des innovations de l’IA, c’est celui de la santé grâce à la disponibilité de solutions au service d’une médecine préventive et personnalisée. Des applications mobiles dotées d’algorithmes intelligents adaptent les recommandations aux besoins individuels, que ce soit pour la gestion des traitements, l’adoption d’un mode de vie plus sain ou encore le suivi des indicateurs vitaux en temps réel. Ces outils fournissent également des alertes personnalisées pour rappeler la prise de médicaments ou signaler des anomalies, améliorant ainsi l’autonomie des utilisateurs.
Dans un secteur grevé par la pénurie de talents, l’IA offre des solutions innovantes pour alléger la charge de travail des soignants tout en améliorant la qualité des soins aux patients. Grâce à l’automatisation de la prise de rendez-vous, de la transcription des notes et de la gestion des dossiers médicaux, les professionnels de santé consacrent ainsi davantage de temps à leurs patients. Le transfert des expertises et des informations au sein des équipes est également facilité, garantissant ainsi une continuité des soins, même en cas de rotation fréquente du personnel. La vitalité des startups françaises dans ce domaine est remarquable : Doctolib bien sûr, Nabla qui automatise les comptes rendus médicaux ou Milvue qui analyse les radios pour identifier plus rapidement des fractures en sont des exemples emblématiques.