Des actifs moins nombreux et plus âgés : l’avenir proche du marché du travail français pose de nombreuses questions, notamment en matière de retraites et de santé. Comment gérer ce vieillissement ? Quels sont les leviers pour agir ? Les politiques menées ces dernières décennies ont-elles pris la mesure de la situation ? Nous avons demandé à Stéphane Carcillo et François Hommeril.
« Il est essentiel d’augmenter le taux d’emploi »
Par Stéphane Carcillo
La transition démographique représente un défi majeur pour l’avenir de notre société. La hausse de l’espérance de vie et la baisse du taux de natalité conduisent à une population active qui vieillit et, à terme, diminuera. Ce phénomène va entrainer la stagnation voire la régression du PIB dans les années à venir. Cela entraînera donc des répercussions sur l’emploi des jeunes et des séniors, mais aussi sur l’équilibre de notre modèle social, notamment en matière de retraites et de santé, les deux principaux postes de dépenses publiques (près de 15 % du PIB pour les retraites et 10 % pour la santé).
La baisse tendancielle du taux de natalité, désormais bien entamée en France, est très difficile à contrer. Les études montrent que les dépenses dans les politiques familiales ont des effets positifs mais relativement modérés. D’autres tendances, comme le renchérissement du logement ou le changement de la norme sociale et des préférences vis-à-vis de la parentalité, semblent jouer un rôle prépondérant et durable.
Dans ce contexte, quels leviers peuvent être activés ? Tout d’abord, il est essentiel d’augmenter le taux d’emploi. La catégorie à laquelle on pense de manière spontanée, ce sont les séniors eux-mêmes. Cela implique d’envisager un départ à la retraite à un âge plus élevé, au-delà des 63 ou 64 ans, à l’instar des pays nordiques ou de l’Italie, où l’âge de départ est de 67 ans. Cependant, cette solution ne peut être envisagée sans prendre en compte les limites liées aux maladies chroniques, et à la pénibilité au travail. L’augmentation de la durée de vie ne peut justifier une extension illimitée de la vie active. La question de l’adaptation du travail à l’âge et celle des discriminations envers les séniors restent donc un enjeu majeur.
Nous pouvons aussi chercher à renforcer le taux d’emploi des femmes. Bien que celui-ci ait progressé ces dernières décennies (de 55 % en 1975 à 71 % en 2023), il reste néanmoins inférieur de 6 points à celui des hommes. Améliorer l’accès des femmes au marché du travail passe par une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle avec des politiques de garde d’enfants adaptées, des horaires flexibles, l’égalité de salaire à travail égal. Le taux d’emploi des femmes est d’ailleurs désormais associé de manière positive avec le taux de natalité.
Un autre enjeu crucial est le taux d’emploi des jeunes, qui demeure encore trop faible. Les raisons : une formation souvent inadaptée aux besoins du marché, un lien défaillant entre le système éducatif et le monde de l’entreprise… Il est impératif d’améliorer les dispositifs de formation professionnelle, de renforcer les stages et d’associer plus étroitement les employeurs et le service public de l’emploi au système éducatif pour faciliter le passage des études vers emploi.
Un dernier levier pour soutenir l’emploi, mais non des moindres, réside dans la migration. Le besoin de main-d’œuvre à venir pourrait être en partie compensé par l’accueil de travailleurs étrangers ayant des compétences répondant à celles des métiers en tension. Mais, l’immigration nécessite des politiques d’intégration efficaces et une gestion équilibrée pour éviter les tensions sociales.
En parallèle de cette approche visant à augmenter le taux d’emploi, il faudra mettre en œuvre une autre stratégie visant à renforcer la valeur de ce que produit le travail. Cela passe par l’amélioration de la productivité, dont les gains se sont réduits depuis une vingtaine d’années. Le levier principal réside dans l’investissement public et privé, en particulier dans l’éducation, la recherche et l’innovation. Toutefois, cette stratégie ne peut jouer qu’à long terme et ses effets demeurent incertains, car les raisons du ralentissement de la productivité, sont multiples.
« Le vieillissement profitera à tous ceux qui s’intéressent à la valeur des personnes avant de s’intéresser à leur coût »
Par François Hommeril
Le « marché » du travail n’existe pas. Il est fini le temps où les ouvriers, réunis place de grève, attendaient que le prix proposé pour la journée de labeur suffise à leur subsistance quotidienne. Car si un marché est défini par l’équilibre de l’offre et de la demande fixant le prix de la transaction, alors il faut se rendre à l’évidence, le marché du travail est un concept politique dont le contenu scientifique est maigre et l’utilisation opérationnelle assez suspecte.
Les charlatans du néolibéralisme, affairés à l’arrière de leur roulotte à vendre leur élixir frelaté, marquant « dérégulation » sur leur étiquette jaunie ont oublié dans leur boniment une chose fondamentale : la mobilité. En chimie, on apprend que l’activité n’égale la concentration que si la vitesse de déplacement est infinie. Ainsi, par analogie, il est facile de comprendre que la demande d’emploi, aussi concentrée soit-elle, ne satisfera une offre que si elle est en condition d’en faire le chemin. Bon sang quelle découverte ! Il y a donc de la vie dans l’avalanche de statistiques absconses que l’on doit subir au milieu de justifications vaseuses dès qu’il s’agit de punir le chômeur d’être victime de sa condition d’inactif. Et que tant d’entreprises déclarent, la main sur le cœur, qu’elles ont besoin de lui. Et cette vie est une addition de situations bien concrètes. La distance entre Lille et La Rochelle, la lenteur du train entre Paris et Cherbourg, le prix du logement et l’endettement des ménages. Mais il y a aussi la fatigue, la maladie, un divorce ou encore la mobilité sociale, dans les deux sens. Les dispositifs de formations incohérents et la volonté légitime de ne pas céder au déclassement. Il y a des histoires de vie, des parcours et des individualités. Il y a la richesse et la couleur de la diversité puis l’histoire racontée des expériences, du traumatisme de l’échec à la joie du succès. Et l’âge enfin, comme une synthèse valorisante ou un boulet, c’est selon.
Ainsi va la question de la démographie et du vieillissement et des deux moyens d’aborder le sujet. Il y a celui du légiste, scalpel en main, il dissèque. Il démembre et vide un corps sans vie pour tenter de comprendre ce qui ne va pas. Il produit des rapports et assène des conclusions. Voici les politiques publiques de l’emploi menée depuis 20 ans en France. Assemblage hétéroclite de lieux communs et d’ordonnances périmées, elles prétendent agir sur un corps social théorique pour lequel tout est réductible à un tableur farci de pourcentages. Mais jamais ces politiques ne sont évaluées, avec pour seul résultat mesurable, des centaines de milliards distribués sans discernement ni condition. Politiques dispendieuses et inefficaces qui appauvrissent la France et désespèrent le travailleur.
Puis il y a celui du syndicaliste. Immergée dans la réalité des vies et les désirs de chacun, la vision de la CFE-CGC est dynamique. Il s’agit de concilier les temps de vie et de valoriser l’expérience, d’aménager les fins de carrière et favoriser la transmission. Face à la frilosité d’un patronat bunkerisé dans l’idéologie « financiariste », l’espace de négociation aujourd’hui est réduit mais rien n’est perdu. Le vieillissement profitera à tous ceux qui s’intéresseront à la valeur des personnes avant de considérer leur coût. Les entreprises qui comprendront enfin que l’enjeu de la compétitivité est une question de compétence, de motivation et d’adhésion à une stratégie de développement subsisteront, les autres disparaitront.