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Les âges de la vie, objets culturels

Naître, devenir adulte, vieillir, mourir : les caractéristiques des âges de la vie et les moments de passage de l’un à l’autre nous semblent évidents. C’est oublier qu’il s’agit d’une construction sociale et culturelle, qui varie dans le temps et dans l’espace.

Aura 22 Masque du N’tomo, Population Bamana, Mali XIXe siècle, Musée du quai Branly – Jacques Chirac, donation Marc Ladreit de Lacharrière

L’enfance est, dans de nombreuses sociétés, ponctuée de rites obligatoires scandant le passage d’un âge à l’autre. Si, sous toutes les latitudes, ces tournants prennent des formes particulières, une constante semble se dégager : l’enfance demeure le temps de l’apprentissage.

Ce masque du N’tomo, système éducatif autrefois répandu dans un espace large allant du Mali à la Guinée et passant par le nord de la Côte d’Ivoire, est porté par le représentant d’une promotion de jeunes garçons non-circoncis âgés de 6 à 13 ans. Moment d’enseignement obligatoire, le N’tomo peut être rattaché à l’école. Chaque garçon doit alors choisir une fillette qui deviendra sa jeune acolyte et l’accompagnera dans sa formation. L’enseignement est prodigué selon des degrés qui pourraient correspondre à des classes avec un emblème et des noms d’animaux qui leur sont propres. Les leçons dispensées sont de plusieurs ordres : questions métaphysiques, maîtrise de soi, humilité et respect des aînés. Ces derniers, qui offrent conseils et instructions, ne sont pourtant pas admis dans l’espace clos du N’tomo qui conserve ainsi son caractère infantile.  

Ce masque, issu de la culture bamana et donné au musée du quai Branly-Jacques Chirac par Marc Ladreit de Lacharrière, arbore quatre cornes et relève donc, selon l’ethnologue spécialiste de l’Afrique Dominique Zahan, du genre féminin sensé révéler « la nature corporelle de l’homme, sa féminité, sa passivité et sa souffrance ». 

Bouchon de gourde à chaux, population Iatmul, Papouasie-Nouvelle Guinée, région du moyen Sepik, Océanie, XXe siècle, Musée du quai Branly- Jacques Chirac, photo Patrick Gries, Bruno Descoings

L’âge adulte suppose un devenir. Un moment de passage, un rite, qui marque la transition et acte la maturité. Chez les Iatmul de Papouasie-Nouvelle-Guinée, dans la région du Moyen Sepik, c’est au travers d’une longue et éprouvante initiation que les jeunes hommes, faisant corps avec les mythiques crocodiles peuplant leurs croyances, deviennent des adultes accomplis.  

Initiés par leurs frères aînés ou leurs oncles maternels, les jeunes Iatmul subissent une période de réclusion succédant à un temps de douleur et d’épreuves, à l’issue desquels leur sont attribués des attributs qui changent leur statut.  

Ce bouchon de gourde à chaux, taillé avec un raffinement esthétique évident, représente un casoar mêlé d’un crocodile, êtres mythiques et fondateurs dans la culture Iatmul. Les jeunes adultes, ainsi pourvus, possèdent désormais ce récipient particulièrement somptueux avec lequel ils apparaissent après l’initiation sur la place de danse, aux yeux de tous, comme les hommes qu’ils sont devenus. Transmis de génération en génération, cet objet de prestige vient fermer un contenant de bambou conservant la chaux végétale nécessaire à la mastication de la noix de bétel. Il clôt aussi, de façon plus symbolique, les temps de l’adolescence et marque l’entrée dans l’âge d’homme.  

Costume de Naupathies Diablo : masque heaume, Bolivie, XXe siècle, Musée du quai Branly, Jacques Chirac, Dit, RMN-Grand Palais / Claude Germain

La vieillesse ne se niche pas toujours où on l’attend. Souvent, elle évoque l’âge, la sagesse, l’étape ultime d’une vie longue et remplie. Elle peut aussi se référer, sinon aux Hommes, à des visions du monde, comme le grand âge d’une culture, l’ancienneté d’une cosmologie.

Et pour cause, à Oruro en Bolivie, à l’occasion du carnaval annuel, une danse traditionnelle intitulée « la Diablada » invoque une figure de Lucifer qui se distingue du démon malveillant du christianisme. Appelé Ñaupa Diablo, le Vieux Diable, il s’agit en réalité du « Tío de la Mina », divinité amérindienne bienfaitrice des mineurs, associée au Diable à l’arrivée des Espagnols. Fusionnant des éléments de la culture catholique et des croyances autochtones, ce « Vieux Diable » dont la parure richement décorée et colorée ne dissimule pas la chevelure grisonnante, semble presque la réminiscence d’un monde ancien qui affleurerait à la surface contemporaine. La vieillesse, le grand âge, s’amalgame ainsi avec une primauté ou une jeunesse cosmologique résonnant comme des âges distincts de l’univers. Il faut donc pouvoir dire que le monde aussi, peut-être, est un vieillard. 

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